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“Je défends toutes les langues maternelles”

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Le titre de votre dernier ouvrage sonne très « universitaire ». Est-ce à dire que le militant linguistique que nous connaissions cède le pas au « prof » d’université ?

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ll Si vous me le permettez, je voudrais saluer, avant toute chose, les lecteurs qui auront l’occasion de croiser cet article. Parmi eux il y aura certes des amis de longue date, des amis de combat : mes alter égo. Il y aura aussi des amis de distance et de respect à la fois. Il y aura enfin ceux qui, par faiblesse ou manque d’information, suspectent mes interventions et se demandent pourquoi je défends TOUTES les langues maternelles. A tous, sans exception : « Azul Fellawen ».

Pour revenir à votre question, non. Mon dernier ouvrage n’est pas aussi « universitaire » que son titre pourrait le faire croire. Certes, il traite de choses sérieuses et sérieusement, mais dans un style « bon enfant ». Dans un dialogue entre amis. C’est aussi une sorte de pacte d’éthique vis-à-vis des langues maternelles. En d’autres termes, il s’agit d’un militantisme d’une autre nature. Un militantisme d’un patriote quinquagénaire qui a, en écho permanent, cet adage, l’unique héritage que mon grand-père paternel m’ait légué:

« Kayene elli hlib umou fi femmou, w-kayene elli yemchi and jarou yjibou »

« Il y a ceux qui ont leur lait maternel dans la bouche et ceux qui vont le chercher chez le voisin ».

Pouvez-vous nous dire, en quelques mots, de quoi vous traitez ?

ll Il s’agit d’une initiation à deux domaines : le premier est la science du langage. Le second, la didactique des langues. Après avoir vécu en Europe, je suis retourné, il y a près de 5 ans, au pays. Je découvre alors que l’enseignement de la linguistique est quasi inexistant et que la didactique des langues est réduite à une sorte de « didactique générale ». Or l’enseignement des langues répond à une logique qui ne peut être mise sur un même pied d’égalité que celle de la chimie, des mathématiques, voire de la plomberie. Et la restitution d’une telle logique spécifique repose sur une appréhension du langage et des langues qui doit être en adéquation avec la réalité de notre espèce. On a trop tendance à réifier ces choses.

Qu’est-ce que vous entendez par réification, au juste ?

ll Réifier revient à donner corps à une lubie. Donner corps à une vision de l’esprit, quoi ! Et, cela est très courant avec les langues.

Pourquoi précisément les langues ?

ll A cause de leur nature complexe. Une langue, c’est à la fois un habillage sonore, une mémoire collective, l’expression de ses propres désirs, un patrimoine collectif. Allez tirer tout cela au clair !

La nature fuyante des langues facilite cette fuite en avant qui réifie non pas la langue (puisqu’elle est fuyante) mais ses productions (mots, phrases, textes). On refoule le producteur et la genèse de production au profit du produit fini. On est dans la position du primitif qui implore son bout de bois qui lui sert de « gri-gri ». Attribuer à des productions langagières des vertus et autres valeurs identitaires, c’est oublier que la valeur est dans le producteur et non pas dans le produit fini. Elle est dans l’Homme, quoi !

Voilà une position qui décape ! Cela dit, qu’y a-t-il de si particulier dans le langage ?

ll Le langage humain est une potentialité qui repose sur une matérialité à la fois biologique et génétique. Avant d’être une modalité psycho-cognitive et sociale. Pour y voir clair, il faut d’abord rendre compte de cette réalité physiologique. Nous voilà donc renvoyés vers l’étude du cerveau, des neurones, des connections synaptiques ainsi que de toute la circuiterie vasculaire qui constituent, en fin de course, l’organe humain du langage. Limiter les langues humaines aux seuls schèmes morpho-syntaxiques, c’est procéder à une réduction inacceptable d’un fait humain universel. De la même manière, vouloir légitimer une langue (ou une pseudo-langue) par les seuls schèmes morpho-syntaxiques, c’est produire un artefact sans implication identitaire. Car une langue n’est langue que si sa matrice bio-génétique est sollicitée. C’est le cas des langues naturelles. Ce n’est pas le cas des langues artificielles.

Tout cela a l’air passionnant. Pouvez-vous nous en dire plus ?

ll Je ne vais tout de même pas déflorer mon bouquin ! Considérez que vous sacrifiez le prix de 2 kg de pommes (le prix de vente publique du livre) et allez donc à la pêche aux questions qui vous turlipinent.

Je ne savais pas qu’un commerçant sommeillait en vous … Qui, selon vous, serait intéressé par le contenu de votre ouvrage ?

ll Je verrais en premier lieu les étudiants de lettres (toutes langues confondues, y compris en traduction), plus particulièrement ceux qui sont dans la filière LMD. Les étudiants en didactique ou sciences de l’éducation sont également visés.

A côté de cette catégorie, je pense à tous ces enseignants dont la formation a été insuffisante. Ceux de tamazight, plus particulièrement. Sans oublier nos ministères de la Culture, de l’Education nationale et celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Quant à l’aspect mercantile que vous suggérez, il importe plus pour mon éditeur que pour moi-même. Vous le savez.

Au fait, comment définissez-vous « l’exception linguistique » ?

ll L’exception linguistique repose sur la spécificité de la « connaissance langagière ». Depuis Noam Chomsky, ce linguiste américain qui bouleversa l’ordre des choses dès la fin des années 50, l’activité langagière n‘est plus perçue comme un « habillage culturel » (donc inter-changeable), mais comme un fondement biologique et culturel de l’espèce. A partir de là, l’approche des langues ne peut plus être « opportuniste », mais essentialiste. La science rejoint la demande identitaire … pouvait-on rêver mieux ?

Votre ouvrage remet au goût du jour le statut des langues maternelles dans notre pays. Dans quelle mesure pourra-t-il y contribuer pour amorcer, au moins, le débat ?

ll La question des langues maternelles est mon crédo depuis un quart de siècle maintenant. Elle a donc toujours, déjà été un enjeu de taille dans le débat sur la politique linguistique nationale. Ce qui change par rapport à ce que j’ai fait auparavant, c’est que cette fois-ci, j’ai les neurosciences de mon côté. La langue maternelle est, avant tout, la forme de matérialisation initiale et définitive de notre organe biologique et génétique du langage. Vouloir réduire ce dernier, c’est commettre un crime contre l’humanité, puisqu’il s’agit de l’intégrité physique et psychologique de la personne humaine. Et ceci est valable pour TOUTES les langues maternelles.

Maintenant que le statut de langue nationale pour la langue tamazight est acquis. Est-il suffisant selon vous ? Et surtout, peut-on connaître pourquoi le maghribi n’a pas été réhabilité au même titre que tamazight, sachant que ces deux langues sont toutes les deux des langues maternelles des Algériens ?

ll La reconnaissance juridique d’une langue est une condition nécessaire mais non suffisante. Il faut maintenant favoriser la circulation, en profondeur, des formes linguistiques naturelles et natives. En somme, il faut que la langue se réapproprie les espaces dont l’histoire l’a exclue (techniques, agriculture, sciences, arts, etc.).

Quant au maghribi, cette autre langue maternelle des Algériens, elle ne jouit même pas de cette protection juridique, alors qu’elle est la langue vernaculaire majoritaire de ce pays ! C’est vous dire l’impasse conceptuelle dans laquelle sont nos dirigeants en la matière… Espérons que notre dernier ouvrage redonnera à nos décideurs le goût de soi, la réhabilitation d’un lourd patrimoine, la fin de la « honte-de-soi » (auto-odi).

Pourriez-vous animer des conférences au cas où votre ouvrage suscite un intérêt chez les lecteurs ?

ll Si c’est à Tizi, alors je suis preneur tout de suite !

(*) Abdou Elimam est actuellement membre de deux laboratoires de recherche : LESCLAP (Amiens, France) et LTE (ENSET, Algérie).

Ses recherches portent sur l’acquisition du langage, de manière générale, et sur les retombées de l’Antiquité linguistique nord africaine sur les parlers contemporains.

C’est de cette rencontre que sest affinée, au fil des ans, sa passion pour une épistémologie de la science du langage (au singulier cette fois-ci).

Propos recueillis par Mamou Aït-Ouahioune

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