Le blocus

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Le climat de l’investissement demeure très rude en Kabylie, que ce soit pour les porteurs de projets PME ou pour les détenteurs de capitaux -nationaux ou étrangers- qui envisagent de s’installer dans la région.

La pêche et le tourisme, sur lesquels table l’Etat pour relancer le développement économique local, croûlent sous des lourdeurs bureaucratiques et suscitent des désillusions.

Théoriquement, Tizi-Ouzou, incrustée dans un ensemble national et centralisé, est sujette à la même politique de relance économique prônée pour l’ensemble du pays, excepté les Hauts-Plateaux et le Grand Sud. Bien que la Kabylie ait bénéficié d’un programme de rattrapage depuis 2005, pour combler le retard dans l’exécution du programme du développement « freiné » par les événements de 2001, elle demeure loin d’être une région attractive pour les investisseurs et les détenteurs de capitaux.

Les paramètres qui détournent les potentiels investisseurs de la destination Kabylie sont multiples bien qu’on avance assez souvent la rareté du foncier industriel. Une excuse somme toute fondée vu la nature de la région dominée par des reliefs. Les porteurs de capitaux, eux, ne contredisent pas cet argument même s’ils sont plus fixés sur d’autres raisons d’ordre purement administrative quand ça ne relève pas de disposition affective dominante et permanente des personnes chargées de faciliter le lancement des projets.

L’administration continue malheureusement de traîner sa réputation qui n’honore aucunement ni ceux qui la détiennent encore moins l’Algérie d’une façon générale.

“Une administration frileuse et indolente”

Pour s’installer à Tizi-Ouzou, le détenteur de capitaux doit posséder un nerf d’acier et une patience inébranlable. Les démarches sont longues, très longues pour nombre d’hommes d’affaires à qui nous avons posé la question sur le climat de l’investissement dans cette wilaya, cernée par les deux grands ports d’Alger et de Bejaia et dotée d’un réseau routier appréciable.

« Les choses n’avancent pas dans une administration frileuse et indolente. Parfois la mauvaise humeur d’un agent de bureau ou de son chef hiérarchique fait que l’entretien soit reporté ou le dossier remis au casier », témoigne un investisseur local qui a préféré garder l’anonymat pour ne pas « susciter les représailles des gens susceptibles. »

Une réalité avouée par l’actuel wali en personne lors du dernier colloque sur l’investissement organisé au siège de la wilaya l’année dernière. En effet, lors de ce rendez-vous M. El Hocine Mazouz a révélé à l’assistance qu’il a été « outré de savoir qu’un simple agent de bureau a bloqué l’avancement d’un grand projet d’investissement. » Le wali a omis de préciser de quel genre de projet s’agissait-il et s’il est du secteur public ou privé.

Quoi que les projets d’infrastructures structurants avancent à pas de tortue, à l’image de la voie ferrée Tizi-Ouzou-Oued Aïssi et des deux ports de Tigzirt et d’Azeffoun, le privé, lui, ne semble pas trouver ses assises d’où il peut se lancer concrètement dans la création des richesses et des postes d’emplois. Encore pire, les chiffres sur la création de PME, en l’absence de PMI, du taux du chômage qui reste plus élevé que la prévalence nationale alors que celle-ci est officiellement en nette baisse, mais aussi de ceux des rentrées fiscales au Trésor de la wilaya, témoignent, en ne peut mieux, sur une situation des plus asthéniques que connaît l’économie locale.

L’indicateur d’évolution des PME dans la wilaya de Tizi-Ouzou établi par la CNAS (Caisse nationale d’assurance sociale) pour 2005 et 2006, affiche une tendance au sous-investissement dans la wilaya pour les secteurs privé et public. Même si le premier secteur a enregistré la création de 690 nouvelles petites entreprises entre les deux années citées, ce qui représente environs 2000 nouveaux postes d’emploi, il reste que ce genre d’entreprises, dont la majorité d’entre elles relèvent des différents dispositifs à l’emploi de jeunes (ANSEJ, CNAC et ANGEM), est souvent menacé d’une extrême fragilité à subsister au climat des affaires local. Celui-ci, pas tout à fait différent du climat des affaires du pays, est loin d’assurer la pérennité des entités microscopiques au moment où les entreprises solides se mettent à des séances de dialyses.

Le secteur public quand à lui n’a enregistré durant la même période qu’une seule entreprise créée, passant de 24 entités économiques à 25 en 2006. Le nombre de postes d’emplois assurés par les 8 334 PME privées s’élève à 58 185, soit une moyenne de 6,98 ouvriers pour chacune d’entre elles, et à seulement 895 emplois dans les 25 PME publiques, soit une moyenne d’embauche de 35,84 dans chaque PME publique créée.

Les statistiques fournies par l’ANDI (Agence nationale du développement de l’investissement) allant de 2002 à 2006, font ressortir que l’activité du transport se taille la part du lion en matière de projets ayant transité par cet organisme, mais qui reste loin derrière le BTPH en matière de création d’emploi. L’activité du tourisme reste néanmoins le parent pauvre de toutes les statistiques. Et quand il existe un projet dans ce secteur, ça concerne soit l’ouverture d’un hôtel basique entièrement exempt de culture gastronomique ou au mieux, d’une agence de voyage !

Pour la pêche, dont les aides et autres avantages sont centrés au niveau de la direction du secteur, les projets d’investissement demeurent individuels et artisanaux où le nombre de marins inscrit est de l’ordre de 301 en 2007 contre 207 en 2000, soit une très faible évolution du créneau qui se chiffre à 94 nouveaux inscrits en 7 ans.

Pourtant entre 2003 et 2007, près de 600 millions de dinars ont été investis pour lancer les projets du secteur de la pêche dans la wilaya de Tizi-Ouzou. La part de l’Etat se situe à 200 millions de dinars et 400 millions de dinars restant concernent les apports personnels des opérateurs ainsi que le concours des crédits bancaires. Les projets en cours de réalisation devront ingurgiter une bagatelle de 1 milliard de dinars, selon le directeur de la pêche de Tizi-Ouzou, M. Mourad Djabali. Celui-ci précise que le second programme triennal d’investissement (2007/2009) coûtera 2 milliards de dinars dont 700 millions de dinars en subvention.

Certes, l’Etat injecte de l’argent, beaucoup d’argents même au point où les chiffres donnent le tournis y compris pour ceux qui ont l’habitude de manier des portefeuilles aussi conséquents, mais la panne est si grande que les intentions des argentiers qui distribuent la cagnotte de la rente pétrolière.

Quand l’administration a peur des investisseurs

Si le climat sécuritaire n’encourage pas les opérateurs étrangers à choisir la destination Kabylie, les locaux et nationaux sont plutôt découragés par « le climat de terreur administrative » qui s’abat sur eux dans chaque étape de la longue procédure qui précède l’obtention du sésame autorisant le début du chantier. Il est arrivé à des investisseurs d’avoir l’aval du CALPI, non sans suer, sans que la maquette du projet ne soit matérialisée sur le terrain. Souvent, c’est la direction des domaines qui est employée comme pare-chocs pour justifier les lenteurs dans l’exécution des projets. Deux exemples de projets économiques, et non pas des moindres, témoignent sur le climat de l’investissement nous sont offerts pour illustrer les capacités de l’administration à faire traîner les porteurs de capitaux à Tizi-Ouzou.

Si l’un paraît trop « monstre » pour que les seuls fonctionnaires de l’administration locale puissent le maîtriser, l’autre est tellement « chétif » pour qu’on lui accorde de l’importance combien même sa portée en valeur ajoutée devra exciter la salive du Trésor public en perte constante d’entrées fiscales.

En effet, le grand projet du complexe de pêche intégré qui sera implanté au cap Tadlest, sur les côtes maritimes de Tigzirt, est ralenti pour la simple raison que le créneau, pourtant envisagé sur les côtes maritimes de la wilaya, parait si grand que cela suscite beaucoup plus d’appréhension mais surtout l’incompréhension des autorités locales, envers l’investisseur qui « s’acharne » à s’installer en Kabylie.

« Nous ne connaissons ni l’investisseur, ni les gens qui sont derrière lui. C’est un grand projet qui implique des multinationales canadiennes et coréennes, cela nous fait peur », avoue un fonctionnaire de la wilaya. De quelle peur s’agit-il au juste ? Il s’agit tout bonnement de l’interprétation de l’adage qui dit « C’est trop beau pour être vrai », lâche le fonctionnaire pour justifier les trois années de démarches et de sollicitations entreprises par le promoteur du projet qui est à la tête de la société algéro-canadienne, Sacib (société algéro-canadienne des infrastructures de bases). Pourtant, cette société de droit algérien a présenté toutes les garanties pour concrétiser son projet dans les délais et à respecter le cahier de charges imposé par l’administration, nous informe M. Tekouk, P-DG de la Sacib.

Le deuxième exemple est celui du producteur de crème glacée, Gini Glace, de Fréha. Cette entreprise devenue leader national dans son domaine, peine à en découdre avec les lenteurs de l’administration locale pour pouvoir ériger son usine d’extension dans la région.

Les péripéties de Gini Glace durent depuis plus d’une année et demie sans que son dossier ne soit traité de la meilleure façon qui se doit. Ça dénote plutôt qu’aucun effort n’est fait pour encourager l’investissement privé dans une wilaya qui en manque terriblement.

La société familiale de glace industrielle Issiakhem et Nait-Kaci (Gini) de Fréha, créée en 1984, est pressée par le fort succès qu’elle enregistre d’année en année au point de devenir le numéro 1 national en produits de crème glacée. Son usine implantée sur le terrain familial situé à Fréha, s’est avérée trop exiguë pour satisfaire la demande de plus en plus grande, notamment durant la saison des glaces. Si son succès est réel dans la région toutefois celle-ci ne semble pas prête à accueillir la deuxième usine que les propriétaires veulent ériger.

Ayant sollicité un terrain à Fréha, du côté du complexe des moteurs et transformateurs électriques (ex-ENEL), dans le cadre de la récupération des actifs résiduels et excédentaires appartenant aux entreprises publiques, l’investisseur a investi une bonne dizaine de mois de démarches et sollicitations avant que l’administration ne « l’incite » à aller investir ailleurs. Ailleurs, c’est à Boufarik, dans la wilaya de Blida, avons-nous appris des proches de l’investisseur. La proposition d’aller s’installer en dehors de la wilaya de Tizi-Ouzou lui a été faite par l’actuel directeur des mines et de l’industrie lequel a été chargé de présider le conseil de wilaya tenu en mars 2007, en l’absence du wali.

Mohand Nait-Kaci, en sa qualité de responsable des relations externes au sein de son entreprise, avait été alors abasourdi d’entendre cette phrase lâchée par le DMI : « Pourquoi n’allez-vous pas investir ailleurs ? Si jamais vous décidez de vous installer dans une autre wilaya, nous ferons tout pour vous aider. » Voila qui témoigne, on ne peut mieux, sur les intentions de l’administration locale à vider la Kabylie de ses investisseurs.

Contacté le 1er mars pour savoir où en sont les démarches d’installation de leur nouvelle usine, M. Nait-Kaci, bien qu’il nous a précisé qu’il ne croit plus trop au rôle que peut jouer la presse pour l’aider dans son combat quotidien pour la réalisation de son projet, nous informe que l’administration a enfin accédé à sa demande d’un terrain de deux hectares à Oued Aissi, en attendant l’appréciation du Calpi.

Autre paramètre qui n’encourage absolument pas l’investisseur à s’implanter en Kabylie, à Tizi-Ouzou notamment, c’est l’état quasiment piteux des zones d’activités qui n’en finissent toujours pas avec l’interminable souci de viabilisation, pourtant vieux de plus de 10 ans.

M.A.Temmar

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