» Le tabac est un grand tueur mondial….  »

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La Dépêche de Kabylie : Nous entendons souvent parler des dégâts occasionnés par le tabagisme. Pouvez-vous nous rappeler succinctement les effets néfastes du tabagisme sur la santé?

Pr. Djamila Adghar : Principalement, les maladies liées au tabac sont les broncho-pulmonaires et le cancer.

Le tabac est à l’origine de plus de 70% des cancers et des bronchites : la pneumopathie, la bronchite obstructive, des maladies cardiaques, notamment ce qui est lié à l’infarctus, surtout à l’obstruction des artères périphériques, les membres inférieurs, ce que nous appelons l’artériopathie. Il donne aussi des maladies qui touchent pratiquement tous les organes.

Il touche également la sphère ORL, dont les cancers de la bouche, la gorge et du cavum. C’est donc un grand pourvoyeur de maladies. C’est ce que nous appelons le grand tueur mondial, silencieux et admis légalement. Il n’est pas considéré comme une drogue, alors que dans sa physiopathologie le tabac est une véritable maladie. C’est une addition car cela devient une habitude.

Pouvez-vous nous parler du coût social et économique des maladies engendrées par le tabagisme ?

D’abord le tabac alourdit les maladies qui sont graves et qui demandent des soins très coûteux et très lourds. Si l’on diminue la consommation on diminue tout. Par exemple, en France on vient d’interdire le tabac dans les lieux publics, et le fait d’avoir pris cette mesure, ils ont eu en deux mois une diminution des infarctus de 15%. Et il faut les imiter. Il y a des lois, elles existent en Algérie, mais elles ne sont pas encore appliquées. Il faut insister déjà sur l’application des lois qui existent.

Y a-t-il une différence entre le tabagisme passif et actif ?

Le tabagique actif est celui qui fume, tandis que le passif c’est celui qui subit le fumeur, c’est la personne qui ne fume pas mais qui est dans un milieu de fumeurs. Cette fumée que dégagent les fumeurs est absorbée par une personne non fumeuse aussi, à moindre degré que le fumeur mais elle est plus nocive.

Quel rôle doit jouer le médecin dans la lutte contre le tabac ?

Tout le monde est appelé à jouer un rôle ; il faut que cela soit fait à tous les niveaux. Les médecins dans leur ensemble : généralistes, spécialistes, infirmières ou infirmiers, et même les pharmaciens peuvent jouer un rôle. Il faut faire participer toutes les forces vives parce que dire que le tabac relève des tabacologues seuls ce n’est pas possible. Il y a trop de fumeurs : le médecin ne peut pas les contrôler tous ou les prendre en charge, donc tout le monde doit participer, bien sûr après une certaine formation.

Les tabacologues doivent prendre en charge les malades difficiles et compliqués. C’est-à-dire ceux qui souffrent de tabagisme avec une accoutumance importante et très élevée ; ils doivent prendre aussi des malades qui ont d’autres maladies, notamment psychiatriques avec des cas très spécifiques car c’est aux tabacologues de les suivre, et leur expliquer ce qu’est le tabagisme, l’accoutumance et les méthodes à suivre et à appliquer pour la lutte contre ce fléau.

En Algérie existe-t-il des spécialistes dans ce domaine ?

Non, malheureusement. Mais il faut qu’il y ait des formations de base. Il faut qu’ils sachent qu’est ce que le tabagisme, l’accoutumance quelles sont les méthodes à suivre et à appliquer pour la lutte contre ce fléau.

Comment arrêter non seulement de fumer mais aussi d’en finir avec la cigarette ?

Il faut d’abord qu’il soit conscient en tant que fumeur qu’il accepte son statut de fumeur. Il faut qu’on le lui accorde. Cela veut dire que même si le médecin sait que le malade est un fumeur il doit lui poser la question suivante : “Est-ce que vous fumez ?”

A ce moment-là, le malade est obligé de dire oui ; cela veut dire qu’il reconnaît déjà son statut de fumeur, donc il faut ensuite voir sa disposition à vouloir arrêter ou pas ; au cas où il ne veut pas, il faut l’initier à arrêter et surtout à bien écouter. A chaque fois, il faut revenir dessus. Peu à peu, le chemin se fera et la personne finira par vouloir arrêter. C’est ce qu’on appelle le sevrage tabagique.

Au cas où ils n’a pas pu tenir et qu’il se reprend à fumer, il faut bien évidemment le valoriser.

En effet, le principal ennemi du sevrage c’est la rechute. Quelles en sont les causes ?

Parfois, le sevrage dans le sens où le syndrome de manque est trop important, à un point où la personne n’arrive pas à gérer et recommence à fumer, et parfois c’est dans les situations dans lesquelles la personne est poussée à fumer et ce pour plusieurs raisons qui rentrent dans cet enjeu. Le contact entre médecin et fumeur doit être excellent. Le médecin doit décortiquer les choses avec lui (la personne fumeuse), donc il faut le valoriser parce qu’il a pu arrêter de fumer ne serait-ce que pour une journée. Je dirai que c’est un travail que doivent apprendre à faire tous les médecins.

Que faire en cas de rechute ?

Analyser les causes, insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un échec mais d’une habitude et d’un nouveau comportement à acquérir. Enfin, prévoir un soutien psychologique prolongé associé à une thérapie plus pertinente.

Des conseils aux fumeurs qui veulent arrêter ?

Ceux qui arrêtent brutalement, avec une grande volonté : il y a parmi eux 5% qui réussissent. C’est très difficile. Ils peuvent avoir leur premier abord avec leurs médecins, discuter avec eux. Il existent actuellement des moyens sous plusieurs formes : timbres patch ; faible, moyenne ou forte dose ; gomme à sucer ou à mâcher ; pastilles sublinguales ; inhalateurs.

Ces forme peuvent aussi être associées. Il faut savoir seulement les utiliser car très souvent on les utilise mal. Il faut savoir encore calculer le dosage du timbre.

Il y a donc des solutions, mais jamais tout seul ni avec une décision du médecin : ce sont des méthodes que ce dernier doit juste expliquer au malade car celui-ci peut choisir.

A partir de là, il faut l’accompagner, car au cours de cette opération d’arrêt du tabac 20 à 25 % rechutent et reprennent à fumer….. Enfin, il faut rechercher les solutions pour y faire face, valoriser les progrès accomplis et encourager les efforts.

Doit-on prendre exemple selon vous sur les pays européens quant à l’interdiction de fumer dans les lieux publics ?

Oui ! Bien évidemment, je suis d’accord avec cette mesure, car nous militons pour interdire non seulement de fumer dans des lieux publics mais même à créer des espaces non-fumeurs. Je pense que le Comité de lutte contre le tabac travaille là-dessus. La preuve est là : le problème émerge et les gens en parlent.

Propos recueillis par Nabila Belbachir

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