Aux vivants les égards, aux morts la vérité

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Par Ali Yahia Abdenour

Votre journal a sollicité mon témoignage sur la polémique relative au parcours politique de Messali Hadj et Abane Ramdane, engagée dans les colonnes du Quotidien d’Oran, par Belaid Abane et Mourad Benachenhou.

A cause de sa situation géographique, l’Algérie a subi des invasions et des conquêtes. Son histoire est une longue suite de dépossessions et de dominations, longues de plusieurs millénaires. Nos ancêtres ont résisté à toutes les occupations, et ont réussi à se libérer de toutes les tyrannies. Nous avons été un peuple conquis, colonisé, mais nous avons détruit tous nos colonisateurs. L’indépendance du pays est chaque fois payée de son prix du sang et des souffrances. Toute cause suscite des martyrs qui utilisent cette arme ultime, leur vie, jusqu’au sacrifice. Le nationalisme est l’arme politique la plus importante qui ait jamais été mise entre les mains de notre peuple, dominé, occupé.

La valeur humaine de mon témoignage se renforce par la fidélité aux faits. En citant les noms illustres de Massali Hadj et de Abane Ramdane, j’ai le sentiment de commettre une injustice envers les militants anonymes, qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour la libération du pays. Je ne veux pas faire œuvre de biographe, mais raconter brièvement quelques faits de leur vie publique, sans exagération ni omission, sans les idéaliser, sans oublier ce qu’ils ont voulu être, et ce qu’ils furent, en écoutant ceux qui les soutenaient, les approuvaient, mais aussi ceux qui les combattaient.

L’imparfait est le temps des morts, mais c’est au présent que je veux parler d’eux, car ils vivent parmi nous. Leur parcours militant est à revisiter. Ils sont restés tous deux ce qu’ils ont toujours été, des chefs. Ce sont deux leaders de la cause nationale, qu’on peut considérer, avec raison, comme les deux plus grands. Tous deux ont dit à l’Algérien : tu cesses d’être un colonisé, à partir du moment où tu te considéres toi-même comme un homme libre. Juger Messali ou Abane, ne serait-ce pas faire preuve d’une légèreté coupable ?

Mais vous connaissez le mot de Voltaire : “On doit des égards aux vivants, on ne doit aux morts que la vérité”. Par quel aveuglement, a-t-on voulu priver l’Algérie d’hommes capables d’apporter une contribution importante à la libération du pays, et à sa reconstruction?. Si on sait qui a semé le grain de la Révolution, on ne sait pas qui récoltera la maisson, et surtout qui la mangera, qui en profitera.

Ce ne sont pas ceux qui se battent qui recueillent les lauriers sauf à titre posthume.

C’est le propre de toute révolution d’être inachevée. Les aspirations des Algériens sont simples et se résument en un mot : dignité… Dignité en tant que citoyens, et dignité en tant qu’homme ou femme. La seconde ne se conçoit pas sans démocratie, sans liberté et justice, et sans solidarité, où les Algériens retrouveront leur dignité, digne de leurs sacrifices.

L’immortalité consiste à demeurer vivant

I- Le parcours politique de Messali Hadj

Il ne faut pas émousser les souvenirs, mais les aiguiser, pour rentrer de plain-pied dans le vif du sujet. Il faut parler vrai et près des faits. Ils serait injuste de ne relever que la colonne débit, de ne dresser qu’un acte d’accusation contre Messali. Les premières années de son règne furent exemplaires. Il gagna l’estime des militants et le respect des Algériens. Il est difficile de tracer son portait en sa qualité de président du PPA-MTLD, à la fois simple et complexe, sympathique et exaspérant à la fois. Il a mené le combat du peuple algérien et incarné sa cause. C’est un grand orateur, un meneur d’hommes exceptionnel. Le signe distinctif de sa vie est l’indépendance du pays. Il a ses fidèles et ses fervents, sait être affable et attentif à ses fidèles, sait être sincère et sensible devant les siens, et reste une référence pour les militants qui veulent faire bouger les choses au sein du parti. Ses fans considèrent comme injustes et ridicules les attaques qui lui sont portées. Le PPA-MTLD fut un parti de masse, à la fois en raison de son implantation, mais surtout de son influence réelle sur le peuple. Il est représentatif de ce peuple qui a tendance à se reconnaître en lui. L’Algérie profonde a toujours un faible pour les chefs.

Messali est arrivé à Alger, au stade de Belcourt, en août 1936, a regardé l’Algérie et lui a dit : “Lève-toi et marche vers l’indépendance.” Il a fait entendre sa voix sincère, écoutée avec beaucoup d’attention et d’émotion. Venu du peuple, il s’est consacré au peuple. Le premier Congrès musulman du 7 juin 1936, tournait le dos à la question nationale, et optait pour l’assimilation politique. Ferhat Abbas niait l’existence de l’Etat algérien, et le Parti communiste algérien (PCA) a soutenu longtemps que la nation algérienne n’existait pas, parce qu’elle ne répondait pas aux cinq définitions de Staline.

Mesali dominait le bureau politique en le renouvelant, puis en le modelant à sa guise.

Il règne sans partage sur le parti avec le sens de la durée. Il écoute les membres du bureau politique, ses conseillers, mais privilégie la décision personnelle. Les dirigeants évitent de lui déplaire, s’évertuent à prévenir ses désirs ; vont au-devant de sa volonté Hocine Lahouel disait de Messali: “Faute d’une doctrine complète, d’une conception saine du rôle des idées et des hommes, la cristalisation de la lutte autour d’un nom a donné naissance au mythe Messali”. Le parti se résume à son chef, chef suprême et guide incontesté. Mais tout ce qui guide peut égarer. Messali a poussé le culte de la personnalité jusqu’à son paroxysme Mégalomanie et paranoïa, constituent les deux caractéristiques essentielles du pouvoir personnel. La déception chez le peuple après sa trahison était à la hauteur du prestige qu’il avait conquis. Les fautes politiques se paient.

J’ai dit trop de bien de Messali, pour en dire du Mali. Maintenant j’en pense trop de mal pour en dire du bien. Le recours aux tentatives électorales, qui marque la période 1945-1948, et le long sommeil politique apparent de six ans qui suit sont le contrecoup direct de l’échec subi. “Pour les partisans de Messali, le peuple algérien ne va pas aux élections pour faire son entrée politique, mais pour obtenir plus de soutien dans son combat. Pour ses adversaires, le chemin de la liberté n’est pas celui de la participation aux élections truquées, mais le chemin du maquis et de la lutte armée.

Fin de l’année 1948, le PPA-MTLD diffuse une brochure de 50 pages intitulée : “Mémorandum à l’ONU” qui s’ouvre par “La nation algérienne arabe et musulmane a existé depuis le VIIe siècle”. Il occulte de ce fait la composante berbère de l’Algérie. Messali ne connaît du passé que ce qu’il veut en retenir, afin de le remodeler à son gré. Chateaubriand avait forgé une devise : “Tout mensonge répété devient une vérité.” Messali refuse de donner à l’existence de l’Algérie une origine plus lointaine que l’occupation arabe au 7e siècle de l’ère chrétienne. Des confédérations tribales élargies donnèrent naissance à de véritables royaumes, plus de deux siècles avant l’ère chrétienne. La dynastie massyle, dont Massinissa, Jugurtha et Juba II furent les plus brillants représentants, fonda un véritable empire, la Numidie, ancêtre lointain de l’Algérie actuelle. L’Algérie est une vieille nation, alourdie par le poids de son histoire. Jugurtha apparaît à travers la légende avec une stature démultipliée, plus grande que la réalité, et seul demeure le visionnaire politique qui a assumé avec courage sa mission historique malgré les trahisons. Un peuple se découvre nation, qui se déclare Etat.

L’identité nationale à la manière d’un fleuve tranquille qui arrive à l’estuaire ou à l’embouchure, n’a jamais porté le nom d’un de ses affluents si important soit-il, mais porte le nom de sa source. La culture et la langue amazighes, qui s’identifient à la défense de la démocratie, de la liberté, de la justice et des droits de l’Homme, ne sont pas un facteur de division, mais d’unification du peuple algérien, qui renforce son unité en s’enrichissant du pluralisme culturel et linguistique. Nous sommes un seul peuple, fier de ses origines et de son histoire.

L’identité nationale doit être étudiée dans le temps et dans l’histoire, en raison des luttes qui l’ont transformée dans le passé et qui doivent l’élargir dans l’avenir. Les erreurs de Messali sont aussi importantes que ses mérites, mais les deux sont grandes. Sa position n’est que le prologue des longues convulsions à venir. Il s’est laissé griser par la gloire par laquelle il a oublier et trahit le peuple. Le parti a subi après la crise dite berbériste de 1949, une rapide érosion. Elle a sonné le glas du parti, le début de sa descente aux enfers. Un fleuve de sang sépare la Révolution algérienne de Messali et de son parti, le MNA. Il a sa place dans l’Histoire, mais sa réhabilitation est prématurée, une imposture intellectuelle.

II- Abane Ramdane est l’architecte de la plateforme de la Soummam du 20 Août 1956

Dans les nombreuses responsabilités qu’il a exercées tout au long de sa vie, il a mis ses qualités exceptionnelles au service de son pays. Eminant révolutionnaire, ardent patriote, doté d’une particulière capacité de prévision, Abane s’identifiait aux intérêts et aux idéaux les plus hauts de la nation. Ce sont ses propres actes qui façonnent l’image qu’il se donne de lui-même. Homme de conviction, il avait l’envergure, l’aptitude, la capacité à fédérer et à arrimer autour du FLN, les Ouadhias, les parties politiques, les personnalités nationales. Il a donné l’image d’un homme qui sait ce qu’il veut, qui le veut avec fermeté, tôt en adoptant des positions tranchées. La lucidité historique trouva à son service la vertu de persévérance dont il fut généreusement doté par la nature. La compétence dans le domaine politique, son souci de la qualité, lui permettaient à la fois d’analyser et de comprendre les problématiques qui lui sont soumises, et d’être une force de proposition dans l’élaboration et le pilotage des projets. Lorsque l’action est totale, embrasse toute la vie, règle chaque pensée, aucun repos n’est possible. Il était allergique à toute forme de pression.

Il avait des analyses d’une finesse, d’une précision et d’une rigueur étonnante, un souci de clarté qui lui faisait rechercher l’expression la plus exacte. Il avait un grand savoir, une culture, un jugement d’une sûreté étonnante. Il donnait la mesure de son talent, et son habileté dans la répartie, le trait percutant était le sens de la formule. Il laissera à tous ceux qui l’ont connu le souvenir d’un politique professionnel, par sa rigueur, son enthousiasme, sa passion, son talent. Il était grand par le courage, la force de caractère, sa volonté de mener à bien sa mission. Cette force faite pour lui, héritée, peut-être d’un de ses ancêtres, ou née de son tempérament, était son réconfort. Sa vie était placée sous le signe du devoir, de la dignité et de l’honneur.

Il était apprécié, respecté pour l’ampleur et l’efficacité de son action. Pour lui, aucune tactique n’est possible qui ne repose sur la stratégie, et aucune stratégie qui ne repose sur la théorie. Pour lui, qui occupe la montagne tient la plaine et la vallée. Ses idées, son comportement rigide lui attireront la haine et la persécution. Le 27 décembre 1957, il fut assassiné au Maroc. Mort pour quoi ? Pour qui et par qui ? Sa disparition subite et tragique, à la force de l’âge, équivaut à un grand pan de la mémoire collective qui part, ou bien à l’incendie d’une grande bibliothèque nationale où auraient été conservées les archives. Il aura pronfondément marqué l’histoire de son pays. La Révolution dévore ses propres enfants, justifiant par avance les excès commis en son nom. Ceux qui l’ont approché, partagé des moments de sa vie et de ses occupations, garderont, dans le secret de leur cœur, le souvenir d’un caractère entier, d’une personnalité très forte que certains jugeaient encombrante, fier, d’une lucidité sans complaisance, et d’une franchise sans détour ni concession, et par dessus tout, une amitié sûre et exigeante. Il était le chef d’orchestre qui aimait la partition. Il mourut trop tôt pour assister à la libération du pays, pour lequel il a tout donné. Peut-être a-t-il pressenti avec lucidité ce qui l’attendait et s’est avancé avec courage à la rencontre de son destin. Quelques principes éclairent l’ensemble élaboré au congrès de la Soummam, dont deux dans leur concision semblent essentiels : primauté du politique sur le militaire, primauté de l’intérieur sur l’extérieur, auxquels il faut ajouter celui de la direction collective. Les acteurs et les témoins de l’Histoire doivent livrer ce que beaucoup gardent encore dans le secret de leurs mémoires. Il faut trouver une réponse vraie aux trois questions fondamentales : Que puis-je savoir? Que dois-je faire? Que m’est-il permis d’espérer? Trois caractéristiques doivent guider l’opposition démocratique : une analyse approfondie de la situation, la capacité de formuler des solutions en termes clairs, et la volonté de les exécuter.

MR Ali Yahia Abdenour

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