«Avec une histoire et une guitare tu as terrassé l’interdit !»

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Aujourd’hui, je vais me permettre de dire ce que j’ai toujours pensé de toi depuis 50 ans. Depuis les années 1970 à ce jour, je n’ai cessé d’être émerveillé à chacune de tes sorties, de tes chansons, émerveillé par ton intelligence, par ta perspicacité à mettre en plein dans le mil à chaque fois que tu ouvres la bouche. Émerveillé par ton humilité.

En revanche, j’ai toujours été frappé par le peu d’analyse conséquente et profonde quant à l’immensité de l’homme que tu es, de ce que tu as fait, de ton exemplarité originale à être toujours un cran au-dessus des événements. Peut-être as-tu été victime de ta simplicité ? En occultant volontairement ou involontairement de parler de l’importance de ce volet, n’a-t-on pas regardé ton doigt quand tu nous montrais la lune ? Toi l’homme, bien que très célèbre comme chanteur, restes méconnu dans ce que tu as réalisé.

En 1970, la politique culturelle de l’époque encourageait le genre procheoriental au détriment de la culture locale – Il faut savoir qu’El Anka n’a pas été invité à la télévision algérienne pendant 17 ans. À ce jour, combien de clips a-t-on vu d’El Anka à la télévision ? Deux ou trois, pas plus. Et ne parlons pas de Cherif Kheddam et des autres… Nous, on était désemparés, marginalisés, on ne passait pas à la télé, on ne nous donnait pas de salles et on n’était pas reconnus. La chaîne II était vouée à la disparition. Puis, toi tu es venu, mine de rien, racontant une histoire du terroir, avec une simple guitare, à la manière universelle, tu as littéralement démoli cette machine oppressante qui nous dévorait et nous imposait ce qui n’était pas à nous et nous enlevait ce qui nous appartenait.

Avec une chanson, sans vociférer, sans colère, avec une voix douce, intelligemment, par une histoire et une guitare, tu as terrassé l’interdit, tu as carrément changé la donne. Cette chanson ayant fait le tour du monde, tu as élevé notre culture à un rang inimaginable. Tu savais que tu ne pouvais prétendre à être toi-même en portant le prénom d’un autre et tu l’as donc changé. Et quand on te demandait pourquoi, tu répondais, gentiment, que c’est une histoire pour la famille et pour ne pas être reconnu… Tu ne voulais pas froisser les gens, tu es un rassembleur, à tel point que des amis, des concitoyens arabophones, se déplaçant à l’étranger, étaient fiers de toi, ils disaient : ça c’est de chez nous.

C’est à nous, c’est nous. Et dire que 50 ans après, j’entends aujourd’hui encore des animateurs t’appeler Hamid. Et quand ils t’appellent ainsi, tu les regardes dans les yeux, sans un mot, avec une lueur semblant leur dire : Vous n’avez toujours rien compris ! Voilà l’homme que tu as toujours été depuis 1970. À travers ton parcours, tu as produit beaucoup d’œuvres extraordinaires, d’une portée universelle, mais il y en a deux qui ont particulièrement retenu mon attention : La première c’est «Tamachahout At Sekourt». Tu y dis que pour faire disparaître un peuple, il est impensable de le faire physiquement, il suffit de lui enlever les trois béquilles de sa culture, à savoir la musique, la sculpture et la peinture, et après plusieurs générations, aucune trace de ce peuple, il est gobé de l’intérieur.

La deuxième chanson qui me laisse toujours dubitatif, c’est «Lafhama». «Chaque peuple a besoin de liberté et la liberté a besoin de vertu, la vertu a besoin d’unité et l’unité a besoin de comprendre…» Et tu le répètes plusieurs fois. Je crois que par cette chanson, tu as tout dit. On ne peut prétendre à rien quand on n’a rien compris. Comprendre, les gens s’instruisent pour comprendre. Le monde avance en essayant de comprendre et comprendre c’est la clé de voûte de tout. Et puis, allant toujours de l’avant, tu n’as jamais ménagé aucun savoir-faire pour faire valoir ta culture et ton identité, les nôtres. Par ton charisme, ta perspicacité et par le respect que tu inspires, tu as réuni autour de toi les grands de ce monde, excusez du peu, Aznavour, Cabrel, Bruel, Le Forestier, Nassima, Mami, Khaled,… Il fallait le faire, toi tu l’as fait (Res Noverba « Agir et ne pas parler »).

Tu as élevé cette culture, qui nous est à tous très chère, à un rang insoupçonnable. Je n ai jamais été déçu par tout ce qui émane de toi. Chacune de tes paroles est une vérité. Chacun de tes gestes est un message. Ta voix tranquille, ta sagesse font de toi un être exceptionnel. Je n’ai jamais parlé de cela auparavant, car chez nous ces choses-là se vivent, se méditent. Mais aujourd’hui, je tenais à en parler et à le faire savoir, une seule fois, et cela me rappelle qu’un jour, mon fils, qui devait avoir 16 ans, m’appela et me dit cette unique phrase : « Je t’aime papa ». J’ai été étonné. Il ne m’avait jamais dit ça avant et plus jamais depuis, mais je n’ai jamais oublié. Aujourd’hui, j’ai dit ce que j’avais à te dire Idir. Bon rétablissement, je te salue grand frère.

Amour Abdenour

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