«Il faut considérer les chemins potentiels…»

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Dans cet entretien, l’enseignant, auteur et éditeur Ramdane Achab décortique la situation que connaît la rue ces dernières semaines.

La Dépêche de Kabylie : Quel est votre commentaire sur la situation politique actuelle du pays ?

Ramdane Achab : Je vais m’en tenir à ce que je crois être l’essentiel. Plusieurs signes inquiétants montrent que la récréation est déjà terminée. Pour plus de clarté, on peut dire que maintenant il y a deux grandes forces en présence, en un face-à-face qui sera de plus en plus franc et de plus en plus tendu. D’un côté, les manifestants qui représentent l’écrasante majorité des citoyennes et des citoyens algériens, de l’autre cet ensemble que ces mêmes manifestants appellent «le système».

Chacune de ces forces a ses points forts et ses points faibles. «Le système» est décidé à rester et fera tout pour rester, quelles que soient les conséquences, quel que soit le prix à payer pour la société et le pays, y compris le prix du sang : la constitution, la manipulation, la division du mouvement, la pollution des réseaux sociaux, la pollution des marches, la provocation, l’agression, les rumeurs, les barbouzes, les extrémistes…, tous les coups tordus sont désormais permis : toute la panoplie des constantes nationales, en quelque sorte.

De l’autre côté, il me semble que le mouvement citoyen se trouve maintenant à la croisée des chemins : le respect de la constitution mènera au maintien et au renouvellement du système, à quelques aménagements de façade près, à quelques têtes près, alors que la poursuite du combat pourrait amener ce même mouvement à une perspective révolutionnaire de renversement du système par la force du nombre ou par une pression devenue insupportable pour le pouvoir. Cette contradiction principale entre le «système» et le peuple doit être complétée par d’autres contradictions qui peuvent surgir aussi bien à l’intérieur du «système» qu’au sein du mouvement citoyen.

Ces contradictions «secondaires» ne sont pas à négliger, elles peuvent même décider de l’issue de la crise, ou contribuer à l’infléchir sensiblement. En résumé, en forçant à peine les traits, je ne vois que soumission ou affrontement.

Quel est donc, selon vous, le chemin idéal à emprunter pour aboutir à une transition démocratique ?

Je pense que la notion de chemin idéal relève de la spéculation. Il faut considérer plutôt les chemins potentiels qui, eux, sont déterminés par le rapport de force seulement. Si la transition se fait sous les auspices du système actuel (ou sous son contrôle…), ce sera une transition de système à système, une transition de dictature à dictature, une transition du pareil au même, voire au pire si celui-ci peut exister. La transition démocratique ne peut advenir que si le mouvement citoyen arrive à s’imposer politiquement, c’est-à-dire par le rapport de force, au système. Les modalités pratiques ont déjà été indiquées par un grand nombre d’observateurs et d’analystes.

Lors de vos différentes sorties, vous avez insisté sur le fait que l’État ne fournit pas suffisamment d’efforts pour la promotion de tamazight. Pensez-vous que la situation actuelle n’est toujours pas à la hauteur de son statut de langue officielle ?

Je ne me souviens pas avoir posé le problème en termes d’efforts pour la promotion de tamazight, mais plutôt et toujours, oralement et par écrit, en termes de volonté politique qui fait cruellement défaut. Volonté politique, refondation de l’État, promotion des deux principes cardinaux que sont le principe de territorialité et le principe de personnalité, stratégie non pas nationale mais à l’échelle de toute l’Afrique du nord, c’est là l’essentiel de ma position. Je ne vois pas d’autre issue heureuse pour tamazight. Sinon, c’est l’extinction progressive et la disparition assurée, la mort silencieuse.

Sans nul doute, vous avez suivi l’actualité en rapport avec la nouvelle Académie de tamazight. Comment jugez-vous ce retard dans sa mise en œuvre ?

Je me suis exprimé là-dessus dernièrement. Ce qui est déterminant à mon avis, c’est la volonté politique que j’ai évoquée plus haut, les deux principes de territorialité et de personnalité, la refondation de l’État, la dimension nord-africaine. Si ce cadre-là fait défaut, l’Académie ne sera pour l’essentiel que de la poudre aux yeux destinée à gagner du temps, c’est-à-dire à en perdre, à l’instar des statuts de langue nationale et de langue officielle.

Entretien réalisé par M. K.

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