«Seule une refondation de l’état profitera à Tamazight»

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La Dépêche de Kabylie : Un colloque sur le mouvement d’Avril 1980, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Hamou Boumedine : Si nous sommes ici pour commémorer les événements de 1980, c’est qu’il y a de la profondeur dans les valeurs du mouvement. Ce n’est pas seulement un mouvement de contestation, comme on le voit aujourd’hui, mais plutôt un mouvement qui avait des prolongements politiques, culturels et identitaires. C’était d’abord une lutte contre une domination culturelle et identitaire. Nous étions dans un environnement où il y avait un ostracisme identitaire arabo-musulman. Il y a eu un réveil porté, d’abord, par des élites, autour de cercles culturels au niveau de l’université, de groupes au niveau de l’université de Paris. Ensuite, il y a eu une contestation populaire portée par une certaine élite. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Vous faites justement la transition souhaitée en évoquant le mouvement populaire contre le système…

Actuellement, il y a une mobilisation extraordinaire, on a vu des marches de 20 millions de personnes dans une même journée, mais nous n’arrivons pas à trouver une forme d’incarnation de ce mouvement autour d’un projet politique assez défini. Il n’y a pas de volonté de débattre de certaines questions de refondation de l’Algérie. Ce sont-là déjà des éléments de différences entre le mouvement de 1980 et le mouvement d’aujourd’hui. En 80, il y avait beaucoup de réflexions en amont, beaucoup de référents dans les luttes des syndicats, dans les luttes estudiantines, dans les luttes populaires. C’est tout cela qui a permis de se cristalliser pour parler des valeurs. En termes plus clairs, il y avait un projet politique même dans les déclarations. Une certaine maturité des idées et c’est ce qui manque aujourd’hui au mouvement populaire.

La deuxième valeur qui a été portée par le mouvement 80, c’est la domination politique. Nous sommes sortis après 1962 d’un système pluriel, parce que le mouvement national a été à l’origine un système multiparti, il y avait plusieurs tendances. Après, on s’est retrouvé avec une dictature qui s’est installée par Benbella, Boumediene,… Donc, le mouvement était contre la domination politique. Il a inscrit le paradigme de lutte pour la démocratie et des luttes pour la liberté d’expression. Il y avait des slogans très politisés : des revendications démocratiques, les libertés de consciences, des libertés individuelles et collectives.

C’est-à-dire, nous n’étions pas seulement porteurs de revendications identitaires, mais également des valeurs universelles qui doivent être intégrées dans cette dimension de démocratisation et de pluralisme politique. La troisième valeur, c’est le combat pacifique. Une ressemblance avec le mouvement actuel qu’on peut considérer comme un acquis de 80.

Quelle est votre vision sur le futur de ce mouvement ?

En tant que mouvement politique, on a proposé un modèle qui doit intégrer les spécificités de l’Algérie. Actuellement, nous sommes dans une impasse à cause de cet Etat-nation qui ne peut pas répondre à la diversité de ce pays. La Kabylie a ses spécificités par rapport à d’autres régions, c’est une communauté. L’Etat doit s’adapter à la réalité, or il n’y a pas, de par le monde, un pays qui a des spécificités comme l’Algérie et qui continue à gérer avec un système jacobin. Il faut aller vers l’autonomie des régions ou un système fédéral le plus approprié. Ce n’est que dans un projet de refondation de l’Etat que les questions identitaires et linguistiques berbères peuvent trouver leur pleine reconnaissance.

Entretien réalisé par F Moula.

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