Ighzer Oubellot, le village du bout du monde

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Ighzer Oubellot ou “le ravin des chênes” est le nom d’une bourgade située à 20 kilomètres du chef-lieu de la commune de Béni Maouche à proximité de la rivière du Boussellem, frontière naturelle séparant la wilaya de Béjaïa de celle de Sétif. Administrativement il dépend de Béjaïa mais vu son éloignement, rien ne l’y prédispose.

Pour se rendre dans ce village, dans lequel vivent quelques 500 âmes, il faut emprunter une route sinueuse serpentant à travers les collines et quelques étendues de terres noires entrecoupées de lignées d’arbres et de buissons clairsemés, la plupart du temps, denses par endroits. Jusqu’à Tala Tinzar, un autre village pas mieux loti, la route est goudronnée mais totalement cabossée et pleine de nids-de-poule, de crevasses et de larges fissures tracées dans le bitume par le ruissellement des eaux de pluie et le glissement de terre émanant des profondeurs. Après 17 kilomètres de trajet au rythme du vrombissement de la voiture ayant du mal à avancer, on quitte la route pour bifurquer à droite et amorcer la descente… aux enfers. C’est un chemin en pente abrupte, totalement défoncé que nous suivons pour parvenir à ce village de l’extrême. Après trois kilomètres de descente vertigineuse, Ighzer Oubellot apparaît, tel un champignon émergeant de terre. La bourgade se languit sous le triste soleil d’hiver, nichée entre une colline et le cours d’eau de Boussellam. A première vue on dirait une contrée du far-west ou un village de Malaisie ayant survécu à un tsunami ! Il n’y pas âme qui vive ou,… c’est tout comme. Surgis de nulle part, Mourad Issaâd et son cousin Djamel sont venus à notre rencontre. Après les salutations d’usage, nous commencons notre visite à travers les dédales des ruelles étroites et totalement délabrées sous les yeux intéressés d’une ribambelle d’enfants en bas-âge. Sur notre passage nous remarquons une fontaine qui est, d’après nos hôtes, le poumon du village, étant donné qu’elle est l’unique endroit où l’on peut puiser de l’eau, vu l’inexistence du réseau AEP, même si les forages sont situés à quelques kilomètres seulement à vol d’oiseau. C’est l’évocation de cet endroit indispensable à la vie des citoyens d’Ighzer Oubellot qui a poussé nos deux compagnons à se lancer dans une diatribe acerbe et très critique à l’égard des autorités qui se sont succédées à la tête de la commune-mère. “Comment voulez-vous vivre dans un endroit pareil ! Voyez par vous-même et jugez-en ! Faites le constat car nous n’avons rien à cacher ! Le village se vide et les gens le quittent vers des contrées plus clémentes non pas à la recherche du luxe mais pour au moins assurer la scolarité de leurs enfants. Ils partent avec beaucoup d’amertume car derrière eux, ils laissent des terres fertiles et des maisons bâties à la sueur de leur front”. Ceux qui sont restés, parce qu’ils n’ont point où aller, endurent mille et une souffrances. Loin du chef-lieu de la commune, ils ne bénéficient d’aucune prise en charge sanitaire ! Nos interlocuteurs nous avancent qu’ils ont vu mourir des personnes transférées en urgence vers un quelconque centre de soins, le plus proche se situe à 70 kilomètres. Ils ont vu des femmes accoucher dans les voitures sur la route des lointaines maternités ! Il suffit d’une petite averse pour que la route devienne impraticable et le village coupé du monde. Un homme d’un certain âge nous a révélé que ce semblant de route menant au village est l’œuvre des citoyens dont la grande mobilisation a donné ses fruits en 1972. Depuis ce temps, hormis un insignifiant revêtement en houille (tout-venant) et quelques fossés bétonnés construits à la hâte, le tronçon n’a subi aucune modification.

Vu son état abrupt, les voitures l’empruntent avec beaucoup de précautions et aucun bus ni fourgon de transport ne s’y aventurent, de sorte que les élèves pour se rendre au CEM ou au lycée sont contraints de parcourir chaque matin les quatre kilomètres de piste les séparant de la route goudronnée, par laquelle passent les cars et autres véhicules de transport censés les emmener à plus de 17 kilomètres pour étudier. En l’absence d’un quelconque service assurant la collecte des ordures ménagères, c’est la rive de l’oued longeant le village qui s’est transformée en une décharge sauvage. Comme un malheur ne vient jamais seul, l’assainissement est inexistant dans cette bourgade où les fosses sauvages sont devenues légion, menaçant la contamination des quelques puits à usage domestique creusés dans les champs. Une épidémie n’est pas à écarter ! Même la mosquée n’a pas échappé à la précarité, du moment que l’imam qui gère ce lieu de culte était payé par les villageois avant que l’on ne daigne le recruter dans le cadre de… l’emploi de jeunes ! Avant de quitter ce hameau de l’au-delà, nous avons rencontré un enseignant qui nous a rappelé avec amertume que “c’est justement dans ce village qu’on a réussi à jumeler trois classes de niveaux différents pour pouvoir assurer un enseignement hybride et saugrenu !”.

Certes, il est difficile de s’imaginer totalement le vécu et la réalité de ces citoyens mais ce qu’on a vu était suffisamment révélateur. Nous avons quitté Ighzer Oubellot sans avoir tout vu mais sans pour autant que l’on nous cache quelque chose. Rien n’a été occulté par ces habitants chaleureux et plein de vie malgré, comme nous l’a dit l’un d’eux. “Leur mort programmée”.

Arezki Alem

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