Le destin singulier d’Ighzer

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Assif n’Taghzout descend directement du point culminant de l’Algérie du nord, le sommet de Lalla Khedidja( 2307 m ). Situé à 8 km du chef-lieu de commune de Saharidj, Ihgzer occupe le coude le plus aigu du CW 9 au niveau du pont sous lequel coule l’eau limpide d’Ighzer Uwaqur.

A l’approche d’un grand virage en fer à cheval, au-dessous duquel passe Ighzer n’Taghzout qui prend naissance du sommet de Lalla Khedidja et se prolonge par Ihgzer Ouakkour, apparaît le petit village d’Ighzer engoncé dans des bosquets et des vergers. De ce fait, les maisons, abandonnés au cours de la ‘’décennie rouge’’, se devinent plus qu’elles ne s’exhibent au visiteur. Les pans de murs sont à peine aperçus au travers des vastes frondaisons de frênes et de chênes. Un contraste fort remarquable par rapport à la plaine de M’chedellah : ici, l’eau coule de partout ; elle suinte des talus et des petits escarpements dressés au-dessus des fossés pour imbiber de son humidité une litière épaissie par la chute des feuilles. Comme son nom l’indique, Ighzer (rivière) est situé sur les deux berges de la rivière torrentielle descendant de Lalla Khedidja. Ses habitants, qui sont une autre fraction du aârch Iwakourène, ont fondé, avec ceux de Taddart Lejdid, la nouvelle ville de Raffour, dans la plaine de l’oued Sahel. Cela s’est passé en 1957 après le bombardement des deux villages par l’armée française à six mois d’intervalle.

Ces pâtés de maisons auxquels on n’accède que par les chemins qui montent sont subrepticement dissimulés sous les denses frondaisons de chêne vert, figuier et cèdre.

Le visiteur qui se destine vers cette contrée ne peut vraisemblablement pas imaginer la vie, l’humeur et l’allure qui étaient celles d’Ighzer il y a un peu plus une dizaine d’années.

La matrice de la tribu des Iwaquren était un village bien accordé aux harmonies de la nature, à la musique de l’eau qui glougloute sur les chutes herbeuses, à la verdure tapissant terre et toitures et aux bruissements discrets de la brise sifflotant entre les aiguilles des cèdres. Les sentiers pédestres tracés entre les arbres et les carrés de légumes portaient les traces des troupeaux et des plantes des pieds de femmes marchant pieds nus pour se rendre à leurs jardins potagers ou à la cueillette d’olives en hiver. Des grappes de raisins hmar bou ammar pendaient sur les lisières des sentiers dans un bel élan dessinant un geste d’offrande.

En été, une lumière tamisée par les frondaisons enchevêtrées pleut doucement sur le sol généreux d’Ighzer. Même le son des cigales qui craquettent se trouve adouci par les musiques diaprées de l’eau qui coule et de la brise qui souffle. En hiver, le froid et la neige qui deviennent maîtres des lieux trouvent en face d’eux des chaumières fumantes et des hommes défiant les éléments de la nature pour se rendre à la chasse sur les façades de Tizimis et d’Ighil Arkegoum.

Quand la population s’expatrie

Certes, le village ancestral était plus important et plus peuplé, cela avant qu’une partie de la population n’aille fonder, dans la plaine est de l’ex-Maillot, l’agglomération de Raffour. Cependant, jusqu’au début des années 90, la vie et l’activité avaient un rythme soutenu et un charme discret propre aux patries de labeur et d’authenticité.

Ighzer se réveille en 2000 avec une population expatriée, le plus souvent vers Raffour, et une gueule de bois caractérisant les lendemains d’un vertige inattendu. Les années de terreur intégriste qui ont marqué la RN 30 (M’chedallah -Tizi Ouzou par Tizi n’Kouilal) ont instauré de nouveaux comportements, fait fuir des habitants de leurs foyers et dégarni ainsi des contrées entières de ce qui était la sève et la substance de la montagne. Aujourd’hui, Ighzer Uwaqur voit ses anciens habitants le visiter pour les travaux des champs ou pour une tâche particulière. Une grande partie d’entre eux se sont installés ailleurs. Les sentiers s’obstruent peu à peu avec des rideaux de ronces ou d’asparagus. Les arbres fruitiers non entretenus crient leur détresse de ne pas être regardés comme jadis. Les demeures sont fragilisées. Il faut dire qu’avec le déplacement des populations, de nouveaux besoins surgissent (services, école, santé, transport,…). Ce qui rend la réinstallation des foyers plus délicate. Au silence hébété du visiteur scrutant de tous côtés une présence humaine, répond une sensation de vacuité solennelle, de vide cosmique au pied de Lalla Khedidja.

A. N. M.

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