Azaghar ou le “Grand paradis” des amoureux de la mer

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Une longue bande de terre recouverte d’une végétation verdoyante cache la vue de la plage. Autrefois, tout le long de cette bande, se dressait une colonnade de pins maritimes sous l’ombrage desquels s’installaient les tentes des campeurs. “Au début des années 1990, des mains criminelles les ont coupés un à un”, se souvient notre accompagnateur. Derrière cet écran verdoyant, la mer majestueuse absorbe la vue et nous laisse rêveur pendant un long moment, comme si on est ensorcelé par un charme mystérieux que notre esprit ne peut saisir. Cette sensation d’étrange quiétude, on l’a ressent aussi dès l’entrée vers la plage, longue d’un kilomètre environ, recouverte à la fois de sable, de galets et de gravillons. La mer, de couleur pers est non seulement propre, mais elle est transparente à tel point que l’on peut voir sans effort ce qu’il y a au fond de l’eau. Hormis le bruit musical des flux et reflux des vagues, on n’entend rien d’autre malgré la présence des dizaines de baigneurs et des enfants jouant ensemble sans entendre au loin leurs clameurs cristallines. Cette sérénité joyeuse tranche avec le tintamarre caractérisant les plages surpeuplées de la côte est de Bgayet. Quoiqu’elle soit située au fin fond de la côte ouest et livrée à longueur d’année aux mains ravageuses de l’homme. Azaghar plage est étonnement propre. Point de salissures ni d’ordures infectes dans chaque coin et recoin. Le respect de la nature contamine tout baigneur qui s’y rend. L’habitude fait le reste, Les Frères Guelma, originaires d’Azeffoun, à qui l’APC de Béni-K’Sila a concédé la location de cette plage pour la deuxième année consécutive (2004 et 2005), ont bien veillé au grain. En plus d’un grand parking auto, on retrouve des douches et des toilettes bien aménagées, payantes bien sûr, mais cela permet l’entretien hygiénique de l’environnement de cette immense plage. C’est à ce titre peut-être qu’elle fut localement surnommée. Le Grand Paradis”. Car, quelques kilomètres plus loin, à Ait Chafaâ (daira d’Azeffoun), une autre superbe plage connue sous l’appellation de “Petit paradis”. En somme, il y a en effet deux “paradis”, différents, seulement par la taille, mais très semblables dans la beauté, ce qui par ailleurs attise leur rivalité que leur prêtent les hommes. “Azaghar plage est la destination de prédilection de jeunes et de familles en quête de tranquillité, d’évasion et de pure communion avec la nature. Ils viennent surtout d’Alger, Hydra, Ain Bénian, mais aussi des différentes localités de la wilaya de Tizi Ouzou”, nous a confié Lounès Guelma sur un ton de fierté. “Beaucoup d’artistes, d’Azeffoun surtout, viennent camper ici”, nous apprend-il encore. Le flux incessant des estivants se déverse notamment après chaque début d’après-midi, quand l’eau de la mer s’attiédit rendant la baignade plus agréable et les rayons du soleil moins vifs. Azaghar vit surtout les après-midi, n’était l’absence d’électrification, les baigneurs auraient souvent prolongé leur plaisir jusqu’à la nuit tombée. “L’APC de Béni-K’sila a déjà prévu l’électrification de la plage. Mais le devis qui nous a été soumis par la Sonelgaz et qui était de l’ordre de 4 millions de centimes, dépasse les moyens de la commune”, a déclaré Farid Ahmed, un jeune élu de la municipalité. Il enchaînera par dire que ce même handicap, “nous a empêché, poursuit-il de revêtir la piste menant vers la plage”. Il pense que si l’Etat dote les communes côtières sans ressources de budgets substantiels, elles auraient mis en œuvre un plan de développement touristique dans les régions comme la sienne et dont les retombées économiques sont plus que sûres. L’élu déplore l’absence totale de l’investissement touristique dans une région dont le développement dépend de la prospérité de ce secteur. Surtout quand on sait que le taux de chômage à Béni K’Sila dépasse les 80%.

La légende de RamiComme dans toute plage qui fascine, il y a certainement une légende qui s’ajoute à sa singularité. Au pied d’un monticule de terre verdoyante accolé à la bande de terre évoquée plus haut, est incrustée la modeste cabane appartenant au légendaire Rami, un vieil homme, ancien campeur et pêcheur de profession qui s’est installé à Azaghar plage des l’Indépendance. C’est là qu’il vit toute l’année, sauf en hiver, période durant laquelle il se réfugie chez lui à Azeffoun. En été, il ramène toute sa famille dans son campement. Le raïs ne pêche plus comme avant à cause de son âge. “Ce sont mes enfants qui partent en barque pour la pêche, je les accompagne quelquefois pour leur montrer certaines ficelles”, a confessé Rami dès l’entame de la conversation. Ce grand connaisseur de cette plage est plus qu’un personnage atypique : C’est un livre d’histoire. “Avant le Cessez-le-feu, raconte-t-il durant la période de 1954 à 1962, cette plage faisait partie de la zone interdite décrète par l’armée coloniale. Tous les villages avoisinants étaient d’ailleurs bombardés. Cette région était comme un désert et il n’y avait pas âme qui vive. Seuls les avions pouvaient planer haut dans le ciel au-dessus de cette zone”. Cet acharnement s’explique par la proximité du siège du PC (Poste de commandement) du colonel Amirouche, installé au cœur de la forêt de Bounaâmane, située à 5 km seulement de Azaghar plage. “Même après le Cessez-le-feu, poursuit-il, celle-ci n’était pas encore fréquentée à cause des souvenirs de la guerre. Les premiers baigneurs l’ont connue à partir des années 1970. Pendant toute la décennie 1980, c’était le grand rush des estivants, essentiellement des familles, d’ailleurs toute la plage était jonchée de tentes des campeurs venus d’Alger, Tizi Ouzou, Bgayet… La plage ressemblant a une ville”. Durant la décennie rouge, dès l’année 1992, la plage est à nouveau décrétée zone interdite cette fois-ci par les hordes terroristes qui ont infesté tous les lieux alentours. C’était aussi pendant cette période de terreur, tandis que des mains tenaient le fusil pour refouler le terroriste, d’autres mains tenaient la hache pour abattre une centaine de pins maritimes, hauts d’une vingtaine de mètres, sous lesquels des milliers d’estivants et des campeurs ont passé d’inoubliables vacances. “Ce sont des arbres plantés par un ancien colon français”, se souvient encore le vieux pêcheur. “C’était sous l’ombrage du pin maritime, là où on installait nos tentes qu’on passait nos vacances chaque été. On pouvait s’éloigner de nos tentes du matin jusqu’au soir sans qu’on constate le moindre petit larcin”, se rappelle aussi avec nostalgie un ancien campeur originaire de Béni-K’Sila. Mais cette plage, même si elle a perdu ses fabuleux pins maritimes, elle reste néanmoins une perle vivace dans l’esprit de chaque visiteur qui ne l’a connue une seule fois au moins. Il y a dans la vie des choses qu’on peut aimer des le premier abord. Azaghar plage illustre bien cet exemple, car elle est vraiment inoubliable.

K. S.

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