Le déclin d’un patrimoine

Partager

La 9e édition du Festival de la poterie de Maâtkas n’a pas eu lieu, cette année non plus. Et la population locale s’interroge sur le sort réservé à ce patrimoine, en net déclin, notamment les dix dernières années. La région est indéniablement en train de perdre son patrimoine ancestral, «dans l’indifférence, voire la complicité, consciente ou non, de beaucoup d’acteurs», déplore-t-on. «On assiste, impuissants, à la disparition graduelle d’un legs, pourtant jalousement et précieusement préservé par les femmes qui tiennent à le transmettre aux générations futures», nous dira un citoyen. «Connus depuis la nuit des temps pour cette activité, les villages de Mâatkas ne produisent plus autant ces beaux objets, prisés de tout le monde et émerveillant tous les visiteurs de la région», dira un autre. «Jadis, chaque famille de notre région avait sa propre production.

Je me souviens parfaitement de l’époque allant de l’indépendance à la fin des années soixante-dix. Les touristes venaient, en voyages organisés, de toutes les régions d’Algérie et de l’étranger. Il y avait des Français, des Allemands, des Suisses, des Américains… Ils venaient admirer nos produits et les acheter en grands nombres. C’était l’époque où les familles, en plus de s’auto-suffire en ustensiles ménagers, écoulaient leurs produits, notamment de décoration, en grandes quantités. Mais à présent, des objets en d’autres matériaux ont inondé le marché. Je n’en reviens pas que cette activité, notre source de vie pendant des siècles, disparaisse à jamais.

Cela me fait de la peine de voir nos jeunes se désintéresser complètement de cet héritage légué par nos aïeux», dira Nna Ouardia. Native du village Agouni Boufal, cette vieille dame est l’une des rares potières de la région encore en vie et qui s’adonne toujours avec passion à cette activité. Le nombre d’artisans potiers se compte en effet sur les doigts d’une seule main. Les raisons de cet état de fait sont multiples selon les observateurs et analystes.

Elles résultent aussi bien de l’inefficacité de la politique de préservation que de la défaillance de la valorisation et de la commercialisation. «D’abord, très peu de mécanismes ont été mis en place par l’État, à qui reviennent la mission et le devoir de la sauvegarde, en sa qualité de détenteur de décision et des moyens. Le peu de dispositifs actionnés en la matière sont de loin insuffisants et sont passés à côté de l’objectif de promotion et épanouissement de cette activité artisanale. Ils ne sont pas exploités à bon escient. On en veut pour parfaite illustration le Festival local de la poterie de Mâatkas, institué justement et théoriquement pour la promotion de cette activité, en remplacement et en prolongement de ce qui fut la Fête nationale de la poterie qui en était à sa dixième édition.

Censé booster la production et la commercialisation dans ce domaine, avec injection de fonds assez considérables pour atteindre cet objectif, force est de constater, et l’Histoire le retiendra, que, paradoxalement, c’est au moment où l’État a mis les bouchées doubles et à en croire les déclarations d’intention et les moyens financiers mis à contribution, que la poterie de Mâatkas, sur tous les volets, a commencé à décliner.

Le Festival, un tape-à-l’œil, du folklore, sans lendemain…

Une sorte de folklorisation s’est installée en lieu et place d’une réelle manifestation culturelle qui devait servir de carrefour et d’aubaine profitable pour les artisans. Elle devait servir à la sensibilisation autour de ce thème et à un investissement dans la formation. Le Festival a servi beaucoup plus à des fins protocolaires et du tape-à-l’œil qu’à autre chose. La culture ne s’entretien pas sur facebook», nous dira un amoureux de cet art, reconnaissant avoir pris ses distances de l’entourage de ce festival depuis sa première édition.

Les autres observateurs et anciens éléments qui activaient dans cette manifestation du temps de son ancien intitulé et avant sa mise sous la tutelle du secteur de la culture sont aussi unanimes à adhérer à ce point de vue, combien amer mais malheureusement vrai. «À quoi ont servi les 8 éditions de ce festival et les colossales enveloppes investies ? Certainement dans des volets secondaires comme la restauration, le transport, les cadeaux,… Mais pas à la sauvegarde et la promotion de l’art lui-même et les retombées économiques sur la région et les artisans que cela était censé charrier», constate-t-on.

«La culture ne s’entretient pas sur Facebook»

«Je me souviens qu’à l’époque où nous avons lancé la Fête de la poterie, en 1992, nous ne recevions que d’infimes subventions de la part de l’État. Le reste, ce sont des sponsors que nous sollicitions. Les citoyens, particulièrement les jeunes, pour la plupart issus du mouvement associatif, travaillaient bénévolement et veillaient au bon déroulement de cette manifestation qui avait un cachet populaire, dans la mesure où même des comités de villages y étaient associés. Tout le monde apportait sa contribution dans un décor culturel des plus rayonnants et des plus joyeux.

On agissait donc par esprit de responsabilité et de devoir envers cette activité. C’était plutôt du militantisme culturel que nous faisions. Voyez maintenant, tous ceux qui agissent et gravitent autour de l’organisation ne sont mus que par l’aspect pécuniaire que cela procure. On ne se bouscule au portillon de l’organisation que pour les indemnités qui se profilent à la fin de l’évènement. À notre époque, nous organisions l’évènement avec un maximum de 300 millions et nous couvrions plus de cinq sites, entre ceux réservés aux expositions strictement culturels, destinés par exemple aux musées, associations, artistes,… Ceux des exposions ventes, ceux de la restauration et de l’hébergement, ceux des conférences et rencontres, ceux de l’animation…

À tout cela s’ajoutaient des visites vers les villages connus pour leurs activités dans le domaine et où se tenaient également des expositions et autres activités de démonstration sur la fabrication du produit, sa décoration, sa cuisson, etc. L’espace couvert par la Fête permettait une vraie et authentique virée dans les tréfonds de l’art et la société qui le véhicule, avec toutes les retombées que cela signifiait. De nos jours, l’évènement donne l’impression d’une expédition dont on a hâte d’en finir au plus tôt. La manne financière investie s’est finalement apparentée à un simple oripeau flamboyant qui a vidé cette activité de toute sa substance», dira avec un grand regret un ancien membre associatif qui a toujours participé à cette manifestation du temps de la Fête nationale de la poterie.

Par ailleurs, toutes les infrastructures promises pour accompagner la préservation et la promotion de l’activité n’ont à ce jour pas vu le jour ou ont été affectées à d’autres missions pendant ou après leur réalisation. C’est le cas de la bâtisse sise au chef-lieu de daïra et destinée à abriter une maison de la poterie, mais qui, pour l’impératif sécuritaire dû aux évènements du printemps noir, a été affectée aux besoins d’un siège pour une sûreté de daïra. Quant au musée, promis au niveau de l’assiette où était implantée l’ancienne salle de cinéma «Nedjma», et l’auberge de jeunes, condition nécessaire pour l’inscription de la région dans le circuit culturel et touristique de la wilaya, ils sont restés au stade de vœu pieux et relégués aux calendes grecques.

Rabah A.

Partager