Le mendiant de la justice

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S. Ait Hamouda

Le mendiant de la justice est toujours devant les huis du palais de justice, dans son burnous effiloché, ses savates trouées et sa canne en bois d’olivier qui ne le quitte jamais. Il supplie, il quémande des étrennes, pour lui et ses semblables, mais des étrennes de justice. Les passants passent devant sans le remarquer, sans même pas le voir.

Il est quotidiennement là, de l’aube au crépuscule, qu’il fasse soleil, qu’il vente, ou qu’il pleuve, quel que soit le temps qu’il fait, beau ou à ne mettre le nez dehors. Il prie Dieu et tous ses saints de le protéger de l’injustice qui le frappe sans raison. Pourquoi Grand Dieu me fait-on, sans discontinuer, l’affront de ne pas me voir, de ne pas m’entendre et de surcroit m’ignorer alors que je fais tout pour que ma voix atteigne leurs oreilles insensibles à mes supplications ?

Il n’y a pas de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, disaient les sages d’autrefois, mais en ces moments de graves turbulences et de mortelles perturbations pourquoi avec leur ouïe fermée à mes demandes passent-ils comme des ombres qui traînent leurs pas devant moi, sans même capter le moindre mot de mes insistantes suppliques ? C’est le destin du mendiant de la justice, ou plutôt d’une once de justice. Lui reconnaître le statut de quémandeur de la magnanimité tout simplement. Comme disait Héraclite d’Éphèse : «S’il n’y avait pas d’injustice, on ignorerait jusqu’au nom de la justice».

C’est ce qui soulève des peuples, c’est ce qui détruit des pays, ce qui leur donne l’illusion de fausse grandeur, c’est ce qui fait sentir aux hommes leur nombrilisme exacerbé, c’est ce qui donne le désespoir à la majorité des individus. Il vient de l’aurore à la tombée de la nuit, devant le palais de justice, emmitouflé dans son burnous au blanc sale pour donner des leçons, asséner des vérités, enseigner ce que sagesse veut dire. Enfin, la justice existe mais elle est en même temps présente et absente, elle existe pour le justiciable et non pour celui qui la fabrique à partir des bouts de papier. C’est ce que nous apprend le mendiant de la justice.

S. A. H.

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