«Mon histoire avec Matoub…»

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Dans cet entretien, le chanteur Ahcène Adjroud relate ses souvenirs avec le Rebelle et parle de son parcours artistique.

La Dépêche de Kabylie : Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs ?

Ahcène Adjroud : Je suis né en 1958. J’ai débuté dans la chanson très jeune, à l’âge de 14 ans. Ensuite, je suis parti en France. C’est Matoub Lounes qui m’a mis en relation avec le chanteur Idir pour enregistrer ma première cassette. A l’époque, enregistrait dans sa maison d’édition Azwaw.

Justement, comment avez-vous connu Matoub ?

Je l’ai connu, en 1977. Je l’ai rencontré lors d’une fête familiale qu’il a animée à Alger. J’ai été invité moi aussi par un camarade du lycée pour chanter. Comme le hasard fait bien les choses, il lui manquait un percussionniste. Alors, je me suis proposé à la derbouka. Et vis-versa, quand j’ai chanté : il était à la percussion. C’était une belle rencontre. Depuis, on est devenu de bons amis.

Vous vous êtes revus en France ?

Oui, je l’ai revu en France et c’est lui-même qui m’a demandé d’enregistrer mes chansons. Je lui ai fait une petite maquette et il l’a proposée à Idir. Quelques jours après, il m’appelle au studio Azwaw. Voilà mes débuts dans la chanson. J’ai produit une cassette de 6 chansons, qui ont eu un bon écho à l’époque, surtout à travers la Chaîne II. Çà a coïncidé avec les années d’or de la musique kabyle. Depuis, j’enregistre un album chaque 10 ans.

Un mot sur votre longue absence avant votre retour sur la scène durant les années 1990 ?

J’ai arrêté de chanter parce que rien ne me motivait jusqu’à ce que Matoub Lounes me sollicite pour la chorale de sa chanson Aɣurru, pendant l’enregistrement de son dernier album, en 1998. Ce jour-là, on devait se retrouver à 7 ou 8 personnes sur le lieu d’enregistrement. Mais malheureusement, il n’y avait que lui et moi. Il était très déçu par l’absence du reste du groupe. Pour pallier ce désagrément et combler le vide, nous avons triplé nos voix et c’était formidable : on a formé six voix à partir de deux seulement. C’était prévu de faire une très grande tournée ensemble, après la sortie de l’album. Il m’a dit que c’est une occasion pour moi de revenir en force. Mais suite à sa mort tragique, j’ai perdu la motivation jusqu’en 2004. C’était une manière de rendre hommage à ma mère. Vous voyez, ce sont des impulsions, il faut qu’il y est quelque chose qui me pousse à le faire.

Ensuite est venu votre album en 2014 Nekni s Leqbayel…

J’ai enregistré ce produit parce que j’ai perdu un ami très cher. D’une pierre deux coups : je lui ai rendu hommage et ce fut aussi un stimulant pour produire de nouvelles chansons. C’est un adjuvant. Le contenu du produit est beaucoup plus un constat de la situation kabyle actuelle qui est, malheureusement, amère mais en restant quand même dans l’objectivité. C’est-à-dire, je fais la critique et l’autocritique. Tout de même, on est tous responsables de cette situation. Autrement dit, nous avons tous les atouts en main pour être un peuple magnifique et émancipé. Il nous manque juste un peu d’union. Mais sans omettre bien sûr d’autres fléaux qui gangrènent notre société. Les titres des chansons sont : «A Leqbayel», «Agerruj», «Qqim yid-i», «Adfel yewwet-d», «Tayri-m», «Iles igezmen», «Ruḥ ay aḥbib», «Aṭṭan», «Win i iḥemmqen», «A yemma yemma».

Que pensez-vous de la chanson kabyle ?

Auparavant, on avait peu de moyens mais ça marchait à merveille. On partait le matin au studio et on sortait le soir avec le produit. Actuellement, on enregistre pendant 6 mois et plus et on sort les mains vides. Ce sont les aléas du progrès, malheureusement. Une arme à double tranchant. Je parle évidemment du piratage. Maintenant, en ce qui concerne la musique et le texte, il y a effectivement une évolution. Quand j’écoute nos jeunes chanteurs, ils me plaisent beaucoup, que ce soit sur le plan musical ou autre. Je signe et je persiste qu’ils sont sur la bonne voie et font de la belle musique. Une relève certaine, d’autant plus que la majorité d’entre eux a étudié la musique.

Des projets ?

Comme je l’avais déjà souligné, je ne programme jamais quoi que ce soit. J’attends une opportunité. Toute ma carrière était spontanée. C’est une question d’envie et de motivation et non de manque d’inspiration ou de produit, puisque je continue à produire et à écrire des chansons. Je continue à chanter un peu partout et je participe également à plusieurs hommages rendus, notamment à Matoub, Slimane Azem, Kheloui. Mais je n’enregistre pas d’album. Je reste tout de même disponible pour tous ceux qui me sollicitent. Personnellement, j’aime me produire dans les villages, c’est le meilleur public. On est en interaction avec toutes les franges de la société : les femmes, les hommes, les enfants, les vieux. Ils s’installent, des fois, à même le sol pour t’écouter chanter. C’est une question de convivialité.

Nous avons commémoré dernièrement le 21e anniversaire de l’assassinat de Matoub. Un commentaire ?

On doit préserver sa mémoire et son patrimoine. Il faut continuer son combat et éviter la récupération. Je pense quand même qu’il y a une relève sur le plan engagement, mais qui n’arrive pas à percer. En tant que Kabyles, nous ne devons pas oublier d’où nous venons et surtout les moments difficiles que nous avons traversés.

Entretien réalisé par F Moula.

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