À bout de souffle!

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L’une des raisons avancées par un responsable du Festival du tapis d’Aït Hichem, M. Mokrane Ould Belaïd, pour expliquer la « délocalisation » de ce qui était appelé la « Fête du tapis » de ce village au sommet d’une colline de plus de 1000 m d’altitude, pour l’installer dans la Maison de la culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, renseigne sur les difficultés par lesquelles passe actuellement le secteur de l’artisanat en Kabylie et partout en Algérie. En effet, Ould Belaïd a mis en relief l’infranchissable barrière de la commercialisation du produit artisanal, fabriqué par les mains habiles des femmes de notre montagne. « On a beau aimer à la passion un métier, on finit par lâcher lorsqu’il ne rapporte rien », déplorait-il il y a trois jours sur les ondes de la Radio chaîne 2. Il justifie ainsi le déplacement, apparemment contesté de cette manifestation culturelle et économique, d’Aït Hichem à la ville de Tizi-Ouzou en disant : «L’ambition est d’aller vers Alger et pourquoi pas à l’étranger pour exposer notre produit ancestral. Il n’y a pas lieu ici de discuter la justesse d’un tel choix ou d’une telle ambition. Mais, délocaliser une manifestation culturelle aussi prestigieuse pour l’extraire de son terreau d’origine, est un signe que l’activité en question vit un malaise certain». En effet, la Fête du tapis ne peut légitimement développer sa fierté son imagination et son authenticité que sur la terre où les aïeules ont ébauché dessiné épuré et porté aux nues un métier qui se reproduit depuis des générations, de mère en fille. C’est là-bas que se sont inscrits en lettres d’or les gestes inauguraux, l’art incréé le savoir acquis sur le tas et les motifs d’une esthétique toute flamboyante des valeurs authentiques. C’est sur ces collines qu’a été initié l’alphabet du tapis dont le nom a dépassé la wilaya de Tizi-Ouzou, l’Algérie et la Méditerranée. Il ne s’agit nullement de nourrir la polémique qui s’est enclenchée au sujet de cette délocalisation. Il s’agit de constater les retards, les fausses promesses, les ambitions mal dimensionnées de certains secteurs de l’administration dans le domaine de la prise en charge de l’activité artisanale dans notre pays. C’est là un cri d’alarme, comme celui émis, il y a quelques années, par un ancien président de l’APC d’Ath Yenni lorsqu’il reçut chez lui, au cours de l’inauguration de la Fête du bijou, deux ministres de la République. Leur exposant les grandes difficultés dans lesquelles se débattent les artisans-bijoutiers de la région, grands orfèvres d’argent reconnus à l’échelle du monde, l’édile reçut des promesses. On s’en doute, rien n’a changé dans la vie des concernés. Le disque revient chaque année; il est probablement rayé. De la disponibilité de la matière première jusqu’à la commercialisation, en passant par les barrières des crédits bancaires, du fisc, les métiers ancestraux sont en train de vivre leurs plus mauvais moments. L’importation de produits de fantaisie, fabriqués selon des procédés industriels et positionnés comme étant des produits d’artisanat venant de Chine ou d’Europe, est déjà en train de tuer à petit feu certains métiers de chez nous. Comment compte-on diversifier les activités économiques sans le concours de métiers ancestraux qui sont déjà là qui n’ont besoin que d’un coup de pouce et de beaucoup de considération? Comment compte-on faire connaître l’âme, la personnalité et la culture de l’Algérie à l’étranger si les pouvoirs publics ne se sentent pas concernés et impliqués par cette grande œuvre située à la confluence de l’art, du tourisme et de l’économie?

Amar Naït Messaoud

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