Nul n’est indispensable !

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Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, l’Algérie est devenue l’un des principaux “bassins de provenance” de l’immigration, qui a pris pied en Europe occidentale, particulièrement en France. Après avoir guerroyé contre des forces et des nations qui ne nous ont jamais agressés, les survivants parmi les tirailleurs nord-africains ont atterri dans les Houillères de la Lorraine, les chantiers navals du Havre et les rizières de la Camargue.

Le chemin venait ainsi d’être tracé pour des milliers de villageois-paysans de l’arrière-pays de l’Ouarsenis, de la Kabylie et des Babors. Les anciens ouvriers agricoles, les artisans et les paysans sans terre vont faire l’amère expérience d’un lumpenprolétariat après avoir été acculés par un système capitaliste colonial qui a pris le soin, quarante ans auparavant, de les déposséder de leurs terres par la fameuse loi dite du Senatus-Consult.

Au déracinement social et familial vont se greffer les phénomènes de déculturation, de mépris et de délit de faciès. Parallèlement au renforcement du pouvoir colonial en Algérie et de ses pires conséquences sur les structures de la société et le niveau de vie des populations, le mouvement migratoire ira crescendo pendant l’entre-deux-guerres et atteindra son apogée entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Libération nationale.

La structure même de l’émigration subira une évolution lente mais assez profonde pour entraîner des chamboulements sociaux et des ondes de choc au niveau de tout le pays. Alors que l’ancien émigré paysan analphabète à l’origine, vivait sa nouvelle situation dans la solitude et la froideur des foyers Sonacotra, les nouveaux postulants sont de jeunes chômeurs, plus ou moins instruits, qui réussiront, au cours des vingt dernières années à s’insérer dans des créneaux (commerces, services…) lesquels, même s’ils sont frappés par la précarité présentent l’avantage de l’absence de pénibilités particulières comme celles qui pesaient sur les métiers exercés dans les galeries souterraines ou les chantiers de construction. Mais, tous les métiers, en fin de compte, sont faits pour construire ou reconstruire la Métropole avec la sueur et les bras des ex-colonies.

Hormis la magistrale contribution de l’émigration algérienne à la naissance et au développement du Mouvement national -Messali et Laïmècehe Amar étaient des syndicalistes dans les usines françaises avant de rapatrier ces idées de combat sur la terre d’Algérie pour lutter contre le colonialisme- ainsi que l’inestimable apport de la Fédération de France du FLN (la 7e wilaya), on sera en peine d’inventorier les bienfaits capitalisés par les pouvoirs publics algériens de l’immense réservoir de l’émigration dispersée dans les quatre coins du monde depuis l’Indépendance. Qu’on n’avance surtout pas une quelconque réalisation de l’Amicale des Algériens en Europe (AAE), une officine constituant un appendice du parti unique à Paris et destinée à embrigader nos émigrés de la même façon que le font les organisations de masse (UGTA, UNJA, UNFA…) en Algérie pour les citoyens résidants.

La fracture entre l’émigration algérienne et les autorités du pays a été consommée au point qu’aucun encadrement institutionnel ou administratif n’a pu attirer l’attention de nos ressortissants en Europe ou ailleurs de façon à ce qu’ils puissent contribuer à la reconstruction du pays et à la refondation de notre économie. Ce n’est pas, en tout cas, l’opération de charme de la création d’une direction de la “communauté nationale à l’étranger” au sein du ministère de… la Solidarité nationale qui bousculera les choses sur ce plan ou qui pourra instaurer une quelconque ébauche d’une confiance fructueuse.

Le déficit d’intérêt accordé à nos émigrés les a acculés à des solutions individuelles ou “individualistes” qui sont très en-deçà de leurs potentialités réelles, qu’elles soient financières ou managériales. L’émigré est plutôt vu chez nous comme un profiteur, une sangsue, qui dérange notre quiétude et nos marchés entre juin et août, qui préfère la somptuosité des demeures assises sur l’euro à des projets porteurs, créateurs de richesses et d’emplois. Oui, c’est là une vérité irréfragable qui contraste en tous points avec la situation de nos voisins marocains et tunisiens. Mais c’est d’abord la vérité d’un système auquel l’assurance de la rente fait bomber outrageusement le torse et qui, à la cantonade, déclare que “nul n’est indispensable”.

Amar Naït Messaoud

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