Autour de la préservation de l’artisanat kabyle

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L’association Irjen Tura Syin Sya de France propose à Paris, demain vendredi, un débat sur la préservation de l’artisanat kabyle. Cette rencontre-débat se tiendra à la Maison de la vie associative et citoyenne, située dans le 10e arrondissement (Paris). L’association Irjen Tura Syin Sya, qui a élu domicile dans cette structure parisienne, souhaite à cette occasion ouvrir un débat sur l’urgence de la sauvegarde de l’artisanat kabyle, considéré comme patrimoine universel.

En effet, si par le passé, l’artisanat kabyle a souvent joué un rôle économique et social, en s’inscrivant dans un système d’échange où chaque région de Kabylie était spécialisée dans une production artisanale donnée : tapis, poterie, bijoux, habits traditionnels, avec l’avènement de la modernité, ce patrimoine est menacé de disparition. Ce sont alors de multiples savoir-faire ancestraux, et surtout des éléments de notre identité et de notre histoire millénaire, qui risquent d’être balayés de la mémoire collective.

Ces produits de l’artisanat kabyle, qui avaient une utilité sociale, sont devenus pour la plupart, aujourd’hui, de simples objets de décoration d’intérieur. Beaucoup de gens les conservent par nostalgie du passé. Cependant, conscients de l’urgence de sauver ce trésor, quelques collectionneurs ont développé une passion extrême pour l’artisanat kabyle. Ils ont mis à l’abri des pièces rares et réussi à constituer des collections exceptionnelles. Avec cette rencontre à Paris, l’association organisatrice souhaite prolonger le travail de réflexion entrepris chaque année à Irdjen, sa localité d’origine.

Elle vise par là à mettre en lumière le formidable travail de ces acteurs, qui agissent souvent dans l’ombre, qui se consacrent, sans compter temps et argent, à recenser, collecter et préserver les objets traditionnels kabyles. Ces collectionneurs plaident pour la création de musées destinés exclusivement à la sauvegarde de ce patrimoine universel. Pour Belkacem Haouchine, collectionneur et expert en la matière, il y a justement urgence. «Grâce à nos recherches, nous avons réussi à sauver de nombreux objets qui révèlent la richesse de notre artisanat», déclare-t-il.

Au cours de cette rencontre, ce passionné, toujours à l’affût des pièces rares, présentera, entre autres, l’histoire des forges, l’armurerie d’Iflissen et les différentes poteries kabyles ainsi que le rôle de certains musées étrangers, notamment britanniques, français et américains, dans la sauvegarde de nombreux objets de l’artisanat kabyle. Il ajoute : «Je fais découvrir ce patrimoine aux plus jeunes, mais pas seulement, parce qu’il y a des objets que même des personnes plus âgées n’ont jamais vus». Pour les collectionneurs comme lui, la collecte d’objets d’artisanat est plus qu’une passion.

Ils parcourent les brocantes en France, ils surfent sur la toile et parcourent surtout les nombreux villages de Kabylie à la recherche de ce trésor ancestral. Ernest Hamel, ce Français né en Algérie, s’est découvert lui aussi une passion pour la poterie kabyle. Après sa retraite dans l’éducation, il a amassé près de 1 500 pièces et possède d’incroyables techniques de restauration pour des pièces endommagées. Ernest Hamel est décédé à l’âge de 89 ans, soit quelques jours seulement avant cette rencontre à laquelle il était convié. C’est donc tout naturellement que l’association lui rendra un hommage bien mérité.

A Tizi Ouzou, l’universitaire Mohamed Dahmani fait figure de pionnier dans ce travail de sauvegarde. Depuis quarante années, il sillonne la Kabylie jusqu’aux Babors pour sauver de la destruction des Ikoufan, des jarres, des plats, des cruches, des bougeoirs, des meules… Il possèderait la plus grande collection d’objets avec près de 40 000 pièces. Cependant, il déplore souvent, non sans amertume, l’«inertie des pouvoirs publics à mettre en place une politique de mise en valeur de cette richesse artisanale qui ne viendra que par l’ouverture de musées dotés d’espaces et de moyens modernes pour préserver et perpétuer ce savoirfaire ancestral».

De Paris, Tahar Yami

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