À travers cet entretien, Amour Abdenour, dont le nouvel album intitulé «Tasghart-iw» sera dans les bacs dimanche prochain, revient, avec sa simplicité légendaire, sur son nouveau produit, l’enregistrement et les différents thèmes abordés, toujours empreints d’originalité. Il évoque aussi d’autres sujets qui lui tiennent à cœur.
La Dépêche de Kabylie : Un nouvel album de Amour Abdenour est fin prêt, a-t-on appris, sa sortie est pour quand ?
Amour Abdenour : Oui, effectivement tout est fin prêt et mon éditeur Melody va le mettre sur le marché dimanche prochain, soit dans à peine deux jours. Plus que le week-end à passer et le dimanche il sera chez les disquaires.
Pour ce nouveau produit, vous avez choisi des studios chargés d’histoire à Béjaïa…
Ce sont les anciens studios de Radio de Bougie dans les années 50. Un endroit chargé d’histoire effectivement qu’il faut préserver mais surtout à faire découvrir aux générations montantes. C’est dans ces mêmes studios que furent enregistrées les fameuses chansons immortelles ‘’Abelyazid’’, ‘’Lvavour Wanaa Tikli’’, ‘’Avava Amghar ’’… Au passage, je signale que j’ai mis sur la jaquette de mon album en photo intérieur l’orchestre de l’époque de radio de Bougie, avec Saddek Abdjaoui, Abdelwahab Abdjaoui et d’autres que je ne connais pas. Il faut dire que quand je suis entré dans ces studios, j’ai ressenti une immense émotion. Pour l’anecdote, après des recherches avec Bazou, on a découvert que Mouloudji, Léo Ferré et Eddy Mitchell sont passés au théâtre de Béjaïa où se trouvaient les studios de la radio. C’est dans ces studios qu’ont été effectuées les interviews de ces artistes avant leurs spectacles.
Pour l’enregistrement de l’album, vous avez aussi choisi un grand monsieur de la musique, Bazou…
C’est toujours un grand plaisir et une immense fierté de travailler avec des musiciens comme lui. Un personnage pétri de qualités humaines et intellectuelles et surtout un grand musicien. Et je voudrais préciser justement à ce titre et c’est un message à mes autres amis artistes en particulier les chanteurs, pour leur dire qu’on ne bénéficie pas tellement du travail de gens aux compétences avérées. Il est dommage que nous n’insistions pas assez pour bénéficier de leurs connaissances en musique. Il faut dire que pour ce qui se fait actuellement sur le marché, comparativement à ce qu’un Bazou peut apporter, c’est loin d’être satisfaisant. Et tant qu’ils sont là, il faut les solliciter pour profiter et bénéficier de leur talent.
Parlez-nous de ce nouveau CD…
C’est un album enregistré en acoustique. J’ai utilisé trois gammes dominantes, riches en tonalités. Même si les thèmes abordés sont universels et connus de tous, tous s’accordent à reconnaître que j’ai une empreinte originale dans l’approche de chacun de ces thèmes.
Pour chaque thème abordé dans vos chansons, vous arrivez toujours à trouver un angle d’attaque différent, C’est chose aisée pour vous ?
Les thèmes, que ce soit pour le sociétal, le sentimental ou autre, sont universels, mais justement, la différence est dans l’angle de les aborder. Dans ce nouvel album, j’ai par exemple adapté un texte du grand poète cubain José Maria Herrera «La mort de l’Aigle». Le poète est né à Cuba et a vécu en France, je crois même qu’il est à moitié Français, par son père ou sa mère. Le texte a déjà été traduit en français.
Dans ce poème, il décrit un aigle, connu pour être le roi des oiseaux, lequel, pour montrer sa puissance est monté très haut dans le ciel, avant de retomber tué par la foudre. La morale de l’histoire est que, pour l’aigle, mieux vaut mourir comme un grand à un moment de sa vie, que petit. Moi j’ai détourné la fin de l’histoire en l’adaptant par rapport à ce qui se passe chez nous en Algérie en général et en Kabylie en particulier. Quand quelqu’un est au sommet, très haut, il ne voit personne et quand il retombera par terre il ne trouvera, juste retour des choses, personne. C’est une chanson théâtrale, puisque dans la version musicale, j’ai introduit le tambour pour marquer que dans la vie il y a toujours un ordre à respecter et on doit toujours se conformer à la règle. Peu importe la puissance ou la force que l’on peut avoir à un moment de sa vie, on finit toujours par retomber par terre.
Et les autres textes ?
La deuxième chanson «Iwache» (pourquoi) décrit des gens qui peuvent faire peur par leur apparence, avec un fort gabarit, mais qui sont vides à l’intérieur. Des gens dépourvus de morale, sans scrupules dans la vie, sans principes, aucune dignité, prêts à tout. La morale est que lorsque leurs enfants grandiront, ils s’apercevront que leur père est un faux, sans aucune dignité. Ils vont être tellement déçus de l’image de leur père qu’ils vont soit devenir comme lui, soit le renier et l’abandonner. Un homme doit toujours avoir des principes dans la vie, vivre dans la dignité. L’indignité n’éduque jamais les enfants.
Vos fans voudront certainement savoir un peu plus sur le reste du contenu ?
Et bien en plus d’un instrumental, il y a aussi «Lqad», «Iyewthagh» (Qu’est-ce que je n’ai pas fait), «Tasghart-iw» (Ma chance) qui est aussi le titre de l’album, ainsi que «Lqahwa Oussekouar», un clin d’œil au fameux café ‘’Tantonville’’ d’Alger. Une chanson nostalgique sur Alger des années 1970 et les très bons moments passés avec des amis dans cette ville aux senteurs et autres que l’on n’y retrouve plus aujourd’hui. Voilà un peu pour certains textes des chansons. Je laisse le public découvrir par lui-même les autres. En tout cas, pour cet album, j’ai essayé de toucher à tout, j’ai fait ce que j’ai vraiment voulu.
D’autres projets ?
Des clips ou galas au programme ? Avec mon éditeur, on va réaliser un ou deux clips, mais s’agissant des galas, rien à l’horizon. On produit des chansons, mais sur le volet galas, il n’y a aucune perspective, rien à l’horizon pour l’instant. Personnellement, je ne fais pas de spectacles car il n’y a aucun professionnalisme. Je demande les moyens appropriés pour l’organisation d’un vrai spectacle. Un orchestre conséquent. Il faut savoir que les musiciens ne viennent pas comme ça. Je demande les moyens techniques, la sono doit être à la hauteur. On n’en a pas beaucoup malheureusement. Il n’y a pas de salles qui répondent aux normes acoustiques, ni des organisateurs à la hauteur qui respectent le timing et savent comment recevoir les gens… Un gala qui doit débuter à une heure précise, il faut le respect du timing. Vraiment aucun professionnalisme. Si c’est pour me produire n’importe comment, je refuse.
Vos apparitions à l’écran sont très rares, c’est un choix ?
J’avoue que généralement je ne suis pas du genre qui court pour se faire montrer sur telle ou telle chaîne mais vous me donnez vraiment l’occasion de pour raconter ma mésaventure avec la chaîne TV4 qui me censure depuis un certain temps. Avec tout le respect que j’ai pour ceux qui font correctement leur travail sur cette chaîne, certains abusent de leur position pour faire leur loi. À l’origine de ma mise à l’écart, il y a une de mes chansons «Lahwa lathekath», reprise par Hassen Fadlia, qui était sous-titrée à chacune de ses diffusions sur cette chaîne comme étant un titre relevant du domaine public.
J’ai eu beau réclamer auprès des responsables de l’époque que cette chanson m’appartient, leur fournissant même tous les documents, à savoir le numéro de code d’identification à l’ONDA, mais ils s’entêtaient toujours à garder la mention du domaine public à chaque diffusion, me privant ainsi de mes droits. Sur ce, j’ai pris la décision de les informer officiellement par écrit que cette chanson m’appartient et si ce manège venait à durer je ferai valoir mon droit par la force de la loi. Depuis, ils ont carrément retiré le clip en question ainsi que les deux autres clips que je leur avais remis. Voilà le fil de l’histoire. Mais ce n’est pas la fin du monde. Cela dit, heureusement qu’il y a d’autres qui font leur travail correctement à cette chaine et ils savent qu’ils ont mon respect. Pour le reste je n’ai franchement pas envie de m’étaler, je suis comme ça, pas du tout du genre à dire du mal d’un frère même si je subirai de lui. Ce serait alors nous casser entre nous et ca ne nous propulse pas haut. Bien au contraire ! Alors faisons l’économie.
Passons à autre chose, vous avez été élu au conseil national d’administration de l’ONDA, en quoi consiste exactement cette nouvelle mission ?
J’ai été élu au conseil national d’administration de l’ONDA l’année passée. On s’est réunis une première fois entre membres de l’ONDA avec le DG, Said Abbes, juste pour une approche, ensuite s’est tenue une réunion officielle avec les représentants du ministère pour discuter du bilan des deux années 2017 et 2018… J’ai soulevé à l’occasion le sujet lié à la retraite complémentaire de l’artiste. Il faut savoir que l’ONDA accorde une aide sociale à travers un complément de retraite. Malheureusement, le complément de retraite n’est pas reversé à la femme de l’artiste après son décès. Le complément de retraite est arrêté à la mort de l’artiste.
À ce sujet, j’ai demandé à ce que la veuve de l’artiste puisse en bénéficier. Une proposition qui a été saluée par mes collègues artistes présents et les représentants du ministère qui nous ont promis d’étudier la proposition et de se pencher sur ce sujet. J’espère que la réponse sera positive. Lors de la rencontre, j’ai aussi proposé d’intégrer dans le système éducatif l’enseignement artistique, la culture est très importante dans l’éducation d’un peuple. Au Conseil national d’administration de l’ONDA, on va œuvrer à l’émancipation et à l’aide des artistes. Je profite de l’occasion pour informer les artistes sur les difficultés. Il y a les importateurs qui n’importent plus de CD et la copie privée dont la ressource générée a beaucoup baissé.
Y aurait-il une question qui vous taraude l’esprit et qu’on ne vous aurait pas posée ?
Pour dire vrai oui, même si ce n’est pas une question mais c’est plutôt un témoignage, un respect, un hommage que j’ai envie de transmettre au grand Idir souffrant et à qui je souhaite un prompt rétablissement. C’est un grand Monsieur qui n’est plus à présenter. Ses œuvres et son parcours artistique depuis 50 ans parlent pour lui. Je le salue et lui souhaite un prompt rétablissement. Et mon souhait serait de dire toute mon admiration pour cet artiste et que tous prennent conscience de ce que cet homme représente et a fait pour la Kabylie. Je confie à votre journal ce message de respect, d’admiration et de reconnaissance pour l’homme, pour l’artiste. Pour Idir.
C’est votre mot de la fin ?
Oui, je pense qu’on a fait le tour et j’ai dit ce qui me tenait à cœur.
Entretien réalisé par Ammar Atmane

