La campagne de la cueillette des olives dans la région des Ath Waghlis, lancée fin octobre dernier, tire à sa fin. Les cueilleurs s’affairent à terminer les derniers oliviers.
Depuis plus de deux mois, la majorité des familles de Kabylie se sont mobilisées pour venir à bout du ramassage des olives. Les ménages se sont consacrés entièrement à cette activité. Qu’ils soient employés, enseignants, chômeurs, étudiants… la cueillette des olives est un rendez-vous incontournable où tout un chacun se doit de retrousser les manches.
La vitesse de croisière de cette activité a été atteinte lors des quinze jours de vacances scolaires, qui se sont soldés par une bonne récolte de l’avis des paysans. Jusqu’au week-end passé, on se rendait quotidiennement et en famille pour ramasser le maximum d’olives. De l’avis de tous, la récolte de cette année est plus que satisfaisante, vu l’exubérance des olives et surtout la bonne santé affichée par les oliviers, qui, pour la plupart, ont échappé aux différentes maladies ravageuses qui touchent le fruit notamment.
Ce rituel est particulièrement vivace dans la région des Ath Waghlis, bassin oléicole par excellence où les habitants sont toujours attachés à leurs oliveraies comme à la prunelle de leurs yeux. Pour ces habitants, à l’instar d’autres populations rurales de la Kabylie, pour qui l’olivier constitue un bien inestimable, la campagne oléicole revêt un intérêt primordial.
Au-delà du côté social, civilisationnel et culturel où elle permet de garder solides les origines, et vivantes les attaches, l’oléiculture occupe une place de choix dans le cœur des Kabyles. «Pour effectuer une bonne cueillette, il est impératif que l’olive soit mûre. Cela parait évident, mais il faut prendre en compte de nombreux critères comme la couleur est le degré de murissage», explique Dda Mokrane, un septuagénaire de la commune de Souk-Oufella.
D’une manière générale, la période de la cueillette se déroule entre novembre et janvier, voire février. La cueillette s’effectue exclusivement à la main à l’aide d’une gaule et d’un filet de cueillette. Ces deux accessoires accompagnent les cueilleurs comme une ombre qui suit son homme. L’olivier jamais avare peut produire entre 10 et 22 kg d’olives ! Pour la cueillette en filet, les paysans s’équipent d’un filet aux mailles serrées pour ne laisser s’échapper aucun de ces précieux fruits.
La cueillette des olives est l’occasion propice aux membres de la famille de consolider les liens en passant de longues journées ensemble. Ces journées sont mises à profit pour avantager la communication entre les fils, filles et les parents sans omettre le côté promenade et pique-nique de cette saison exceptionnelle. Une fois la cueillette des olives terminée, les fellahs les transportent au moulin pour les faire presser et récolter l’huile.
Après la récolte vient enfin le temps des récompenses. Idéalement il faut apporter les olives au moulin le jour même de la cueillette. «Réduire le temps de stockage est conseillé pour bénéficier des saveurs et des goûts les plus intenses de l’olive. En effet, des monticules de sacs pleins d’olives sont superposés, ici et là dans les cours externes des huileries, en attente d’être pressés.
Plus ils restent entassés, plus ils perdront de leur saveur», dit notre interlocuteur. Généralement, les mouliniers réceptionnent les olives en les entreposant en lot dans la cour aménagée de fait pour accueillir le fruit noir. En somme, la fabrication de l’huile répond à des étapes rigoureuses qui sont garantes de la qualité de la production. Elles se résument en trois étapes principales nommées triturage. La première est celle du broyage.
Cela consiste à briser la peau des olives non dénoyautées afin de libérer des gouttelettes d’huile. La deuxième étape est afférente au pressurage. Après le broyage on obtient une pâte, cette dernière est placée dans des scourtins (Tachamets en kabyle), une sorte de sacs de chanvre ou de poil de chèvre dans lequel on met la pâte d’olive destinée à être pressée pour en extraire l’huile d’olive. Quant à la dernière étape, elle est appelée décantation. Celle-ci consiste à séparer l’eau et l’huile. Par ailleurs, aucune transformation chimique n’est requise dans le processus, au grand bonheur de notre santé !
Un rendement de 20 à 28 L par quintal
Le rendement par quintal d’olives varie entre 20 et 28 litres. «On ne va pas se plaindre, d’autant plus que les oliveraies nous ont gâtées comparativement à d’autres régions où la récolte a enregistré une courbe descendante», souligne un moulinier de Takrietz. Au demeurant, même si la production de l’huile d’olive est généreuse, son prix reste élevé selon les acheteurs.
«Cédé à 800 dinars le litre, ce n’est pas exorbitant vu toutes les peines qu’endurent les paysans pour ramasser les olives. C’est le parcours du combattant pour extraire cette huile tant prisée par les consommateurs», ajoute notre interlocuteur. Les propriétaires des oliveraies et les métayers se réjouissent de l’olivaison pour cette année. Beaucoup de ménages ont d’ores et déjà pressé leurs olives, avec de bons rendements en huile d’olive.
Les huileries tournent à plein régime. Des équipes travaillent d’arrache-pied pour livrer dans les délais l’huile, et surtout satisfaire la demande qui explose littéralement. L’olivier assure un rôle multidimensionnel du fait de la niche qu’il occupe dans de larges zones rurales de la Kabylie sur les plans écologiques, économiques et sociaux.
Le fait même que l’olivier se développe sous des conditions agro-écologiques assez aléatoires qui caractérisent la région, donne à cet arbre providentiel une importance particulière qui nous interpelle à renforcer les efforts multidisciplinaires et multi-institutionnels pour la valorisation et la conservation des oliveraies, parfois marginales, et pour la protection de l’environnement.
La culture de l’olivier reste marginalisée en Algérie quant aux contraintes qui entravent son développement. Ainsi, la majeure partie des plantations d’olivier sont situées sur des sols accidentés comme ceux de la Kabylie. Il ne faut pas oublier que de nombreux villages vivent exclusivement de l’oléiculture. Et tout changement affectant cette activité peut prendre des proportions importantes et avoir une forte répercussion sociale et économique sur le mode de vie des agriculteurs.
D’autre part, il convient de souligner que dans cette région, aucune autre activité ne pourrait remplacer l’oléiculture. Cette culture y joue en effet une fonction sociale fondamentale puisque l’amélioration des conditions de vie de ces populations dépend exclusivement de l’amélioration de la productivité des oliveraies. Le secteur oléicole en Kabylie connaît des problèmes touchant à la production, à savoir le traitement des olives, la taille, les maladies et les insectes détruisant les récoltes (la teigne, le psylle, la mouche, l’œil du paon, la fumagine…).
À cela s’ajoute un grand handicap; la mentalité de certains paysans qui ne croient pas aux apports de la technologie à l’olivier qu’ils considèrent comme un arbre sacré ne nécessitant pas d’intervention humaine, surtout en ce qui concerne la taille (certains arbres mesurant plus de 6 m de hauteur), ce qui ne peut que nuire à la production. D’autant plus que, pour eux, l’olivier peut s’auto-régénérer.
Devant ces contraintes qui pèsent sur le développement de l’oléiculture, il est impératif de déployer des efforts pour améliorer à la fois la productivité et la qualité des produits de l’olivier aux fins de faire face aux aléas climatiques ainsi que la réduction du verger oléicole, qui rétrécit comme une peau de chagrin.
Bachir Djaider