Engagement dans le combat pour la libération de l'homme

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« Les hommes ne sont impuissants que lorsqu’ils admettent qu’ils le sont » (Sartre) « Je ne puis être libre si tous ne le sont pas », criait Jean-Paul Sartre lors d’une conférence organisée à Rome sur l’Algérie en guerre, en 1958. Sartre fut un de ces intellectuels courageux qui, au mot responsabilité ont immédiatement greffé le concept d’engagement. « Un intellectuel est quelqu’un qui s’occupe de ce qui ne le regarde pas », disait-il, en précisant qu’il n’est pas un intellectuel celui qui a fait des études universitaires, fût-il un des meilleurs chercheurs. Il ne le sera que lorsqu’il dépassera sa condition de savant ou du technicien du savoir, pour jeter un regard critique sur son métier et sur la société. Ce n’est qu’à ce stade qu’il pourra être formateur d’opinions, producteur d’idées et, pourquoi pas, meneur d’hommes. Né le 21 juin 1905, fut de tous les métiers de la production des idées et du sens: dramaturge, romancier, essayiste, pamphlétaire, tout en marquant de façon indélébile la vie intellectuelle française et mondiale. Le 22 octobre 1964, il étonnera tout le monde, à commencer par les cercles de la « bien-pensance » littéraire, en refusant de recevoir le prix Nobel de littérature que s’apprêtait à lui décerner la prestigieuse institution de Stockholm. Déjà plusieurs années auparavant, il a décliné l’offre de certaines distinctions françaises, à savoir la Légion d’honneur, après la fin de la seconde Guerre mondiale, et l’entrée au Collège de France. Il dira à ce propos: « Cette attitude est fondée sur ma conception du travail de l’écrivain. Un écrivain qui prend des positions politiques, sociales ou littéraires ne doit agir qu’avec les moyens qui sont les siens, c’est-à-dire la parole écrite. Toutes les distinctions qu’il peut recevoir exposent ses lecteurs à une pression que je n’estime pas souhaitable. Ce n’est pas la même chose si je signe Jean-Paul Sartre ou si je signe Jean-Paul Sartre, prix Nobel ». Ainsi, ajoute-il plus loin dans la lettre qu’il adressera à la presse suédoise pour justifier son acte de refus: « Il me paraît moins dangereux de décliner le prix que de l’accepter ». Sa position sur le problème algérien, la décolonisation, a été claire, comme le fut pour le peuple vietnamien. À la même période, il soutiendra le peuple cubain dans sa lutte contre le dictateur Batista. Dans le numéro de mai 1955 de la revue Les Temps Modernes, que Sartre avait fondée lui-même en 1945, il s’exprimera sur la guerre de Libération sans ambages, et ce, à peine cinq mois après le déclenchement des événements, en écrivant en grande manchette: « L’Algérie n’est pas la France ». La revue en question a été saisie par les autorités françaises cinq fois tout au long des sept ans de guerre. En 1956, il expliquera, dans un article, que le colonialisme est un « système », thèse qu’il a défendue dans le meeting de la salle Wagram le 27 janvier 1956, organisé par le Comité d’action des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Algérie. Sartre fréquent a l’autre philosophe anticolonialiste, Francis Jeanson, qui créera le réseau de « porteurs de valises » du FLN qui portera son nom. Il signera le « Manifeste des 121″’, déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, le 4 septembre 1960. Sartre prit ses distances avec le Parti communiste français lorsque les représentants de ce parti votèrent, le 12 mars 1956, les pouvoirs spéciaux, procédure qui permettait au gouvernement de donner les pouvoirs de police à l’armée en Algérie et d’y engager les éléments du contingent. Cette distance évoluera en rupture sept mois plus tard, en octobre/novembre 1956, lorsque le même parti soutint la répression sanglante du soulèvement de Budapest (Hongrie) par l’armée soviétique. Outre ses postions anticolonialistes, Sartre se distinguera par son engagement dans les luttes sociales en France, dont le sommet sera les fameux événements de Mai 68. Il en est la figure emblématique. Révolution sociale, culturelle, féministe, libertaire, Mai 68 a remis en cause bien des dogmes, poussé le général De Gaulle dans ses derniers retranchements. La Sorbonne était occupée par les étudiants, les voitures renversées ou brûlées en plein Paris, des gaz lacrymogènes montant de partout, les étudiants se sentaient les rois de la place. On taguait sur les murs: « L’imagination au pouvoir ! Il est interdit d’interdire!,… « . Une grande manifestation estudiantine, à la tête de laquelle se trouvait Jean-Paul Sartre avec, à la main, son mégaphone, avançait vers les Champs-Élysées. Informé par son ministre de l’Intérieur, qui lui suggéra d’arrêter les meneurs, De Gaulle lancera son fameux: « On n’arrête pas Voltaire »! Cette « précaution » du général suffit sans doute à exprimer le poids que représentait celui qui déclara que « l’Algérie n’était pas la France ».

35 ans après la mort de Jean-Paul Sartre, le vide qu’il a laissé dans le champ intellectuel français peine à être comblé. Certains nostalgiques de l’action et de la pensée de Sartre disent qu’ils vivent, aujourd’hui, dans une espèce d’ « Absurdisan », contrée où les idées anticonformistes languissent, versent dans l’indolence et cèdent à la fatalité du capital triomphant et du conservatisme bien-pensant.

Amar Naït Messaoud

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