Au chevet de Lounès Kheloui…

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Hôpital Belloua, hier matin. Dans le service pneumologie, les box sont tous pleins. Beaucoup de patients. Pas de place pour les éventuels nouveaux admis. Et heureusement, il n’y en avait pas.

Mais le chef de service par intérim est conscient qu’une urgence peut survenir à tout moment. Donc, il faut voir avec les patients en amélioration pour libérer tout au moins une place, un lit, au cas où… Ici, les médecins du service témoignent qu’ils soignent des patients de toutes les wilayas. On y enregistre même des cas originaires de Tamanrasset. Ce n’est pas chose évidente, surtout en ces temps d’instabilité de la température. C’est un sale temps pour les cas fragiles. Un simple oubli pour quelqu’un qui passe la nuit, la fenêtre ouverte peut lui valoir une admission. Une inflammation du visage et vite arrivée avec la brise du matin qui prend place après la chaleur étouffante de la nuit. Pour les malades chroniques, il est évident que les choses s’avèrent vite plus compliquées. Comme c’est le cas de ce patient, un peu spécial, pris en charge au premier box de ce côté hommes. Lui, c’est Kheloui Lounès. Aussi paradoxalement que cela puisse paraître, le personnel avait l’air de se réjouir de sa présence… On «profite» bien pour prendre des photos souvenirs, oubliant parfois complètement qu’il était là pour des soins. En simple patient. Un mortel qui tombe malade comme tous les humains. C’est sans doute l’admiration ! Certainement même. Et lui, ça l’arrange quelque part ! C’est comme si ça lui faisait oublier son mal, et il joue le jeu avec plaisir. Comme il a l’habitude de le faire après chaque concert. Chaque gala. Ah, ces galas avec des salles combles ! Une source de plaisir et de douleur pour le Cheikh. Car, raconte-t-il, c’est en prenant des excédents de cortisones pour bien tenir le coup qu’il en arrive là. Ses soucis remontent à bien avant 2009. C’est cette année-là qu’il décida d’aller en France, consulter pour une faiblesse généralisée.

«Ma maladie ? Un mal que je traîne depuis 2009»

«Je n’arrivais pas à tenir debout, ni à marcher, c’est comme si je n’avais plus de muscles. Alors, on m’a admis à l’hôpital. C’était la toute première fois. On m’avait alors diagnostiqué une maladie rare appelée dermatomyosite. C’est à partir de là qu’on m’a prescrit des cortisones pour avoir quelques forces et me remettre d’aplomb. Mais ce n’était pas tout, puisqu’à l’occasion on m’a découvert aussi des soucis au niveau des contours d’un de mes poumons. C’était le début de mes malheurs, mais à l’époque j’étais jeune… (Rires !). Entre temps, du temps a passé. Et le poids des années semble lui peser. Au point de ne plus avoir en mémoire la date de son dernier spectacle. Mais il se rappelle sa toute récente tournée aux USA, notamment à Washington, New York, Philadelphie, New Jersey, Californie et au Canada, avant de rentrer sur Tizi-Ouzou en mai dernier. Mais ne cherchez pas les détails, il n’en a pas gardé grand-chose, à part que «ça s’est trop bien passé». Quand il fait un effort pour dire plus, il n’y a que cette jeune Américaine, professeur et musicienne sur violon (voir la photo) avec qui il a tant improvisé sur scène en Californie, qui semble l’avoir marqué. Bien marqué même ! Il dit qu’ils gardent toujours contact et elle serait même prête à venir pour participer à l’enregistrement de son nouvel album. Sacré Lounès ! Faut-il rappeler que ce n’est pas la première fois que de jeunes musiciennes occidentales tombent sous le charme de sa musique. Il n’y a pas si longtemps que ça, une Espagnole ne l’a pas lâché avant d’enregistrer un duo avec lui. Lounès reparle de cette histoire avec nostalgie.

Jamais sans sa mandole !

C’est comme si c’est de l’histoire très ancienne pour lui. Normal avec ce mal qui le ronge et cette fatidique date du 28 août dernier au soir, lorsqu’il fut pris d’un terrible malaise. Il ne pensait pas que les choses étaient graves, mais quand il a été évacué de nuit aux urgences du CHU de Tizi-Ouzou, on lui a tout de suite expliqué qu’il était hors de question qu’il rentre chez lui. «J’ai été alors transféré par ambulance ici au Sanatorium de Belloua et j’en suis à ma cinquième nuitée». Le Cheikh dit, le plus normalement du monde, qu’il est conscient qu’il traîne une maladie avec laquelle il devra continuer à faire. «Je sais que c’est un mal dont les médecins ne peuvent que me soulager, on me l’a déjà dit en France et c’est ce qu’on a répété encore en Algérie. J’ai un poumon qui ne travaille plus», se confesse-t-il entre deux souffles. Et ça n’a pas l’air de le travailler plus que ça, il endure juste physiquement.

Ce qui lui tient à cœur : sortir son nouvel album déjà prêt et un gala d’adieux à Tizi-Ouzou

Quand ça lui passe, il n’hésite d’ailleurs pas à parler de son album en préparation. Il l’a préparé quasiment sous la même douleur, «chez Mouloud Mohya. Il ne me reste qu’à peine quatre heures de travail pour tout finaliser», lâche-t-il avec une bonne dose de réjouissance de l’avoir mené au bout. Enfin presque. En tout, il dit y avoir mis quatorze chansons. «Ce fut difficile, mais on y est parvenu quand même», se réjouit-il, avec cet empressement à quitter ce box qui lui illumine le visage. Le monde de la musique et de la chanson, Lounès reste accroché et accro. D’ailleurs, sa mandole n’est jamais loin de lui. Hier, profitant d’une permission de deux heures que lui ont accordée les médecins pour faire un saut chez lui à Tizi-Ouzou, en matinée, il n’a pas raté l’occasion pour en revenir avec cet instrument qu’il chérit tant. Il se souvient qu’il l’avait aussi à son chevet lors de son hospitalisation parisienne. Il se rappelle même y avoir composé des chansons. Et personne n’y a vu du mal. Hier, les «locataires», comme le personnel des lieux, ont vu aussi ça avec un bon sourire au coin… Pour lui, c’est sa manière de rester dans son monde, là où il est, même s’il est conscient que son état ne lui permet plus de garder la cadence d’antan. Il en est même très conscient, lui qui ne souhaite d’ailleurs que mener vraiment au bout ce nouvel album et un gala d’adieux, pourquoi pas vers fin septembre, à la Maison de la culture de Tizi-Ouzou. C’est son vœu !

Reportage de Djaffar Chilab.

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