“Saladin est kurde, le saint roi Nour Eddine est turc, Ibn Sina et ses compères sont perses et Tarek Ibn Ziad est berbère : ne voyez-vous pas que l’islam ne doit pas son essor uniquement aux Arabes ?”C’était la foule des grands jours, jeudi dernier, à la Maison de la culture Mouloud-Mammeri. Les différents accès à la grande salle ont été fermés une heure avant l’arrivée de l’ouléma. Les centaines de personnes qui n’ont pu y accéder se sont contentés de suivre le discours du grand mufti d’El Azhar par une transmission de mégaphones, installés, un peu à la hâte, par les organisateurs. Il faut dire, toutefois, que l’événement était tout simplement historique : il s’agit de la première visite qu’effectue le puissant patron de l’Union internationale des oulémas musulmans en Kabylie. Une visite qui s’est révélée très forte en symbolique, puisque les messages qu’elle a véhiculé étaient d’une audace quasi déconcertante. En effet, et après les courtes prises de paroles effectuées par le directeur de la culture, Ould Ali El Hadi, puis celui des affaires religieuses, le Dr El Karadhaoui a surpris plus d’un, en ouvrant les débats par les traditionnelles salutations musulmanes, puis par un ironique… azul fellawen !. “J’ai toujours souhaité visiter cette terre qui fait la fierté de tout votre pays, mais malgré mes nombreux séjours en Algérie, cette occasion ne m’a jamais été offerte. Néanmoins, le bon Dieu a voulu que j’y mette les pieds pour la date anniversaire de la disparition du colonel Amirouche…” a-t-il laissé entendre avant de renchérir : “ce que je sais sur cette région c’est que c’est la terre des hommes libres, ceux qui refusent l’avilissement et combattent toute forme d’invasions externes. C’est aussi une terre qui a consciemment adopté l’islam et a pris soin de lui-même dans les périodes les plus sombres de son histoire. La Kabylie, pour ceux qui tendent à l’oublier, c’est aussi la terre de Tarek Ibn Ziad, conquérant de l’Andalousie, et cofondateur de la première dynastie musulmane en Europe.” De fait, le grand mufti du prestigieux El Azhar ne s’est nullement gêné pour enchaîner les éloges envers la région de Kabylie : Elle est faite comme ses montagnes : haute et orgueilleuse. Elle demeure, par ce fait, difficile d’accès pour les envahisseurs et paradoxalement à l’Islam” déclare le conférencier en faisant allusion aux milliers de mosquées et de zaouïas parsemées en Kabylie. Une occasion pour El Karadhaoui d’annoncer, publiquement, sa position “tolérante” envers le soufisme modéré de la plupart de ces zaouïas. Mieux l’orateur n’a pas du tout hésité à rendre un hommage solennel à ces minuscules structures religieuses “qui ont, de tous temps, été à l’avant-garde des luttes que cette région a eu à mener”. le discours prôné par El Karadhaoui on l’aura deviné était un prélude pour aborder, quoique évasivement, un autre sujet brûlant sur la Kabylie et la religion. En effet, sans qu’on y attende vraiment, le grand ouléma a placé une déclaration des plus sentencieuses en affirmant que “les campagnes d’évangélisation qui ciblent la Kabylie ne feront pas long chemin parce que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette région demeure farouchement attachée à sa religion…”La conférence s’est, par la suite, transformée en un long récit historique, dans lequel l’orateur s’est attardé sur l’évolution des différentes dynasties musulmanes depuis l’ère des gloires jusqu’à celui de la décadence. Des Oumayades aux Abbassides en passant par les Mamelouk, les croisades et les musulmans. Pour finir, le mufti d’El Azhar s’est dit être très convaincu d’un “futur retour en force de la communauté musulmane”. Pour cela, le conférencier dit que des signes divins prévoient ce “renversement de la vapeur”, et ce “pour peu que les musulmans daignent s’accrocher encore plus honnêtement à leur religion… !?”
Ahmed Benabi