La jeunesse face à la pesante routine !

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Quelques jeunes tirent des bouffées de cigarette devant l’épicerie des Chadli, la seule dans ce village. Sur le flanc ouest, s’affiche le mamelon de djebel Mohram. C’est un massif rocailleux que même les caprins hésitent à fouler de leurs pattes, tellement aucune végétation ne trahit l’ocre des limons et le blanc du granit.

En ces derniers jours du mois de décembre, le vent glacial qui souffle à partir du sud-est fait s’atterrer les gens dans leurs foyers et les jeunes dans les cafés. Ces derniers se sont multipliés sur cette partie de la RN8 qui partage le chef-lieu communal de Dirah en deux quartiers. On est ici à un peu plus de 50 km au sud du chef-lieu de la wilaya de Bouira, mais le paysage a complètement changé passant d’un relief plus ou moins montagneux avec une couche de verdure malgré l’hiver, à un panorama ocre, uniforme et plat qui n’est interrompu que par les bourgades disséminées dans la vastitude steppique. Dans l’un des cafés grouillant de jeunes attablés autour d’un jeu de dominos, la chaîne Al Jazeera débite les interminables informations sur ce qui est appelé le Printemps arabe. La Syrie et le Yémen tiennent encore la vedette, puisque le sang y coule toujours. Un jeune emmitouflé dans une kachabia donne ses observations à la cantonade : « Dès la mort de Kadhafi, j’ai cessé de m’intéresser à ces soi-disant révolutions. J’ai remarqué que, partout où il y a des mouvements de contestation, c’est toujours le petit peuple qui trinque. Qui pourra, moi, me payer les arriérés de salaires que me doit un entrepreneur qui m’a fait travailler comme un esclave pendant sept mois et qui, maintenant, s’est enfui vers l’Ouest, je crois à Tissemsilt ? Je sais qu’il n’y aura pas de justice dans ce bled !». Le patron du café invite ceux qui ne prennent pas de boissons à libérer leurs places, car l’établissement est saturé. D’autres personnes attendent d’être servies à même le comptoir, mais elles ne peuvent y accéder pour le moment. De quoi peut-on discuter dans ce village hybride, situé à califourchon entre plaines du Tell et plateaux désertiques de la steppe ? Dans la rue, outre le sifflement du vent glacial remontant l’artère principale, les seules voix fidèles sont les appels à la prière lancées par un muezzin à la gorge enrouée.

Les émeutes sont passées par là…

Rien apparemment ne peut déranger la routine ou la fausse quiétude d’une population restée traditionaliste et repliée malgré les vents des changements qui soufflent aux alentours et qui, réellement, commencent déjà à pénétrer les murs de la petite cité d’Oued Djenane (ancien nom de cette bourgade emprunté au nom du cours d’eau qui la traverse et qui déverse ses eaux dans le Chott du Hodna). Avec une population qui dépasse 15 000 habitants et une superficie de 233 km2 (la troisième plus vaste commune de la wilaya), la commune de Dirah est à vocation agro-pastorale avec une forte propension à l’élevage du mouton et du poulet de chair. La superficie agricole utile (SAU) de la commune est de 6 255 hectares, tandis que les terres de pâturages steppiques occupent une superficie de 11 000 hectares. Malgré toutes les tentatives et tous les plans de modernisation de l’agriculture, initiés par les pouvoirs publics pour faire dépasser à l’économie locale ce fatal binôme céréales/élevage, peu de progrès ont été enregistrés dans l’effort de diversification des cultures. Il est vrai que depuis le début des années 2000, des programmes publics ont pu initier des mini-changements, à l’image du FNRDA et du PER 2, qui ont introduit dans la région l’arboriculture, principalement l’olivier. Mieux encore, le Haut commissariat au développement de la steppe (HCDS), dont le périmètre d’intervention touche dix communes du sud de la wilaya de Bouira, a lancé l’année dernière un grand projet dénommé «ceinture oléicole», inauguré sur le territoire de la commune de Dirah, dans la localité de Zeboudja, et devant toucher les autres wilayas situées sur les Hauts Plateaux. Malgré les efforts des pouvoirs publics, par le truchement de projets sectoriels ou communaux, le chômage continue d’être vécu comme une amère réalité par la jeunesse de Dirah. Il y a deux années, la localité avait enregistré des émeutes à répétition liées au mode recrutement dans l’unité Sonatrach de l’Oued Guetrini, là où le premier puits de pétrole a été foré en Algérie à la veille de la guerre de Libération.

Ces revendeurs de la RN8…

Sur les trottoirs de la ville, les vendeurs forains se sont multipliés au cours de ces derniers mois. Outre les dattes, ramenées directement de Tolga et Sidi Okba, les vendeurs proposent aux passants de la RN8 des oranges, mandarines, ail, pomme de terre, oignon et, petite curiosité de fortes quantités de grenades de grande qualité. Renseignement pris, ces grenades proviennent majoritairement de Boussaâda ; une autre partie est produite localement dans les bas-fonds des cours d’eau. Ce sont les jeunes des hameaux de Remoula, Nouara, Khmeiria, Traka, Lahrar qui viennent exercer ainsi une activité qui leur fait oublier leur condition de chômeurs. Ils sont en contact avec les producteurs locaux pour ce qui est des grenades, de l’ail et de l’oignon. Quant aux autres marchandises, ils les acquièrent auprès d’intermédiaires qu’ils ne payent qu’après avoir tout écoulé. A une dizaine de kilomètres du chef-lieu de commune, le hameau de Oued Benayed se dresse dans un creux de torrent entre la pénéplaine et le mont Dirah. Un silence religieux y règne en maître. Quelques jeunes tirent des bouffées de cigarette devant l’épicerie des Chadli, la seule dans ce village. Sur le flanc ouest, s’affiche le mamelon de djebel Mohram. C’est un massif rocailleux que même les caprins hésitent à fouler de leurs pieds, tellement aucune végétation ne trahit l’ocre des limons et le blanc du granit. Le ‘’magasin’’ dégage un air de disette. A part quelques objets d’alimentation générale, qui ne remplissent même pas le quart des rayons, le reste de l’aire fait office de djemââ où se rassemblent jeunes et vieux de Oued Benayed. Le village est l’un des plus importants de la commune avec une population d’environ 3 000 personnes. A part l’élevage ovin, le poulet de chair et les céréales sur des parcelles peu productives, l’économie locale peine à se tracer de nouveaux horizons. Les journées d’hiver sont courtes. «C’est là où apparaît le grand vide en matière de détente et de culture. Même s’ils se rendent dans la journée à Sour El Ghozlane ou à Bouira pour décompresser et pour oublier l’ennui, les jeunes sont obligés de rentrer assez tôt chez eux, à 18 heures au plus tard. La télévision ne pourra jamais combler ce vide. Alors, que faire ?», s’interroge Mohamed, qui vient de sortir de l’épicerie pour rejoindre son foyer.

Amar Naït Messaoud

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