Mohand Bentranti est un artiste peintre, calligraphe et poète dans trois langues, tamazight, l’arabe et le français. Originaire d’Ighil Ali, c’est au village Tazla qu’il a fait ses études primaires, puis son cycle secondaire à Akbou. La chance ne lui a pas souri pour aller à la faculté mais l’homme, qui porte dans ses gènes la maîtrise du verbe, a vite retrouvé le chemin des classes.
C’est dans son village natal qu’il intégra le monde du travail en tant qu’instituteur. À mi-chemin entre la poésie, la calligraphie et la peinture, entre le signifiant et le signifié la calligraphie est pour cet artiste est un héritage de plus en plus présent autour de nous. Mohand ne puise pas dans un océan de mots. Il cisèle plutôt le silence qui convient entre les mots détectés, choisis, pensés… Dès lors, il n’y a plus grande différence entre les textes et la calligraphie. Entretien.
La Dépêche de Kabylie : Comment êtes-vous venu à la poésie ?
Bentranti Mohand : Après que ma première femme m’ait quitté j’ai vite ressenti le besoin de trouver un remède à cette séparation. Ainsi m’est venue l’idée d’écrire de la poésie, un retour aux sources, pourrait-on dire, puisque j’ai déjà écrit deux poèmes, le premier à l’âge de 14ans et le deuxième à 18ans, quand je fut appelé pour passer mon service militaire.
On croit savoir que la majorité de vos poèmes traite de l’amour…
Exact, l’éloignement de l’être que je chéris jusqu’à présent m’a été une source inépuisable pour la créativité car elle a renforcé mes idées et l’expression artistique m’a magnifiquement exalté.
Parlez-nous de votre recueil ?
Mon recueil contient cinquante poèmes en Tamazight que j’ai intitulé Uliw tameghras n tayri ce qui veut dire «mon cœur est un martyr d’amour ». J’y ai traité beaucoup de thèmes, mais la majorité se rapporte à l’amour. Tous étaient des déclarations d’amour, mais aussi des poèmes d’adieu, une manière de faire mon deuil et de tourner la page une bonne fois pour toutes.
Et la calligraphie ?
La maîtrise de soi est un tremplin nécessaire à toute réussite, qu’il s’agisse de vie privée, d’études ou autres. C’est dans cette optique que j’ai décidé d’aller vers la calligraphie pour oublier, puisqu’on faisant de la poésie je sens mon cœur tout déchiré entre le présent et le passé. C’est comme si j’enfonçais le couteau dans la plaie toujours ouverte, c’est-à-dire je ne sais pas faire de poésie sans jeter un coup d’œil sur mon passé mon passé de couple.
Parlez-nous de vos productions calligraphiques…
Je fais de la calligraphie mais je peints aussi. Pour ce qui est de la calligraphie, j’ai produit plus d’une cinquantaine de tableaux écrits en arabe à travers lesquels des sourates et des versets coraniques sont reproduits. Pour ce qui est de la peinture, j’ai fait beaucoup de tableaux et tous avec du doré sur noir. Les premiers temps, mes tableaux traduisaient juste des proverbes en Tamazight, mais le goût de la découverte et de la recherche m’a contraint à toucher à tout et j’ai peint beaucoup de tableaux
Avez-vous participé à des expositions ?
Oui, j’ai participé à beaucoup d’expositions où j’ai eu des félicitations et des tableaux de mérite. Ma dernière exposition fut lors du festival de la chanson patriotique qui s’est tenu récemment à Béjaïa et où j’ai vendu tous les tableaux que j’ai exposés.
On croit savoir que vous faites de la poésie en français, est-ce vrai ?
C’est vrai, la situation qui bouleverse le monde arabe, à l’heure où nous sommes, me fait peur, j’ai peur pour mon pays et ça m’a donné de l’inspiration pour écrire un poème que j’ai intitulé
« j’ai peur… », et où je disais :
J’ai peur pour mon pays,
Peur pour mon Algérie,
L’Algérie bien chérie,
Quand un million et demi,
Pour l’indépendance ont péri,
Et très chèr, ils l’ont payé
De leur vie pour la liberté
Aujourd’hui l’histoire veut
nous rattraper,
De l’Égypte à la Tunisie,
Le vent des révoltes a soufflé
Un printemps qui ne dit pas
son nom,
Yémen, Syrie, Libye…
À qui le tour ?
Tout est mal joué
El djazira, Al-Arabiya aboyaient,
Comme des chiens enragés,
Pour l’oncle Sam,
Pour la France perfide,
Pour les Anglais impitoyables,
Ils applaudissaient,
Sans état d’âme,
Sans regrets,
Ils jouent aux pyromanes…
Quel est votre dernier mot ?
Tout d’abord je remercie notre journal La Dépêche de Kabylie d’avoir bien voulu nous ouvrir ses colonnes. Je veux aussi remercier tous ceux et celles qui m’ont épaulé avec sincérité durant les moments difficiles, mais les mots sont faibles, seulement, je souhaite être, à leurs yeux, ce qu’ils espéraient de moi.
Tahar Bouallak