Tiferdoud, le village le plus haut de Kabylie

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Si vous devez prendre la route nationale n° 15, vers la wilaya de Béjaïa, inévitablement, vous traverserez un village situé au sommet d’une côte, à mi-chemin entre Aïn El Hammam et Abi Youcef. De quelque endroit que vous veniez, les routes serpentent et montent jusqu’au sommet de cette colline, connue pour être le point habité le plus haut de la Kabylie. En effet, c’est ici, à 1 200 mètres d’altitude que trône Tiferdoud qui, du haut de son piédestal, semble défier les cîmes de Lala Khedidja, culminant à 2 308 mètres. Que ce soit du versant sud, faisant face à la main du juif, ou de l’autre côté, vers le nord, un panorama splendide qui s’étend à perte de vue s’offre au visiteur. Aucun obstacle ne vient troubler ce tableau.Au sud, nous pouvons admirer la chaîne du Djurdjura, au-delà d’Azrou N’Thour, jusque vers Tala Guilef et Boghni. On domine les Ath Menguellet et toutes les collines environnantes, jusqu’au Ath Yenni. Nous pouvons à loisir contempler, sans se lasser, ce paysage multiforme qu’on dirait sorti tout droit d’une carte postale. Au nord-est, s’étend la plaine de Azaghar, d’Imsouhal jusqu’aux limites d’Azazga, à une trentaine de kilomètres et l’oued Boubhir dont on aperçoit les méandres.La situation du village, à une telle altitude, n’a certainement pas que des avantages. Il subit, de plein fouet, les affres de l’hiver plus que tout autre. Les vents y arrivent directement avec toute leur violence et les neiges s’y installent dès qu’elles commencent à “descendre”, comme on dit chez nous, à la montagne ? ou que le thermomètre baisse. Dès le mois d’octobre, les cheminées commencent à fumer pour ne s’arrêter qu’en juin, avec le début des chaleurs. Les habitants se plaignent constamment du prix de l’électricité, de la bonbonne de gaz ou du mazout utilisé couramment pour le chauffage. Quant au gaz naturel, indispensable et bon marché, on désespère de le voir arriver un jour. Un projet d’alimentation de la ville d’Aïn El Hammam en gaz naturel existe. Tiferdoud à deux kilomètres, sera-t-elle concernée ? Nul ne peut le dire pour le moment. C’est paradoxalement, dans les régions les moins froides que ce précieux combustible est disponible. En attendant, les moins nantis d’entre les citoyens se rabattent sur le bois que l’on brûle dans des appareils de chauffage de fabrication locale ou dans le bon vieux “kanoun”.Longeant la route nationale sur plus d’un kilomètre, le village est divisé en trois parties principales. Il y a d’abord “Thaddarth” (ou le village), appelée ainsi vu qu’elle est la fraction principale, représentant le centre qui devait à l’origine être la première zone habitée. A ce noyau, sont venus se greffer, par la suite, deux grands quartiers “Agwni Bouchène” et “Ixerbane”.Au cœur de l’agglomération est construit le centre de rassemblement des hommes, “Thajmaâth”. Celle-ci, érigée il y a plus d’un siècle, revêt un caractère authentiquement berbère, comme en témoignent sa situation et son architecture. Comme toutes les places des villages kabyles, des dalles en ciment permettent aux villageois de tous âges de s’installer pour venir aux nouvelles ou passer le temps à papoter. Par contre, lors des réunions de l’assemblée générale, ces bancs sont réservés aux adultes. Afin de permettre aux hommes de rejoindre rapidement Thajmaâth, en cas de nécessité, celle-ci est accessible directement à partir de tous les quartiers. Notons que la place demande une réparation urgente si on ne veut pas qu’elle tombe en ruine.Ainsi, les différentes issues aboutissent toutes en ce lieu qui devient une sorte de carrefour. C’est là que les grandes décisions engageant la communauté sont débattues, et prises souvent à l’unanimité. Quant à la concrétisation des objectifs tracés, elle est du ressort du comité élu démocratiquement, suivant le même modèle que la plupart des villages kabyles. L’Amine, le délégué, est entouré de “Teman” qui ne sont rien d’autre que les représentants des diverses fractions du village. Si Thajmaâth est le domaine des hommes, les fontaines en revanche sont les lieux de rassemblement des femmes qui viennent y puiser de l’eau et en profiter pour se retrouver “entre femmes”, en dehors de la maison. Tiferdoud compte deux fontaines et ne se plaint pour ainsi dire jamais du manque d’eau bien que le débit des robinets soit réduit en été.Tout comme Thajmaâth, la mosquée est généralement réservée aux hommes. Ce qui explique sa proximité avec ce lieu de culte, évitant de la sorte aux fidèles de se déplacer, sur une grandes distance à l’heure de la prière.Les femmes quant à elles, font leur prière à la maison, bien que rien n’interdise leur présence dans les mosquées. Pourtant le nombre de religieuses est au moins égal à celui des hommes.Fidèle aux traditions, le village de Tiferdoud organise, thiwizi (volontariat) lorsque le besoin se fait sentir.Tous les hommes valides participent alors à des travaux d’intérêt général.Cela peut aller de la réparation des lieux publics au nettoyage des dépotoirs ou toute autre action décidée par le comité. En outre, durant l’Achoura, les habitants ramassent de l’argent (cotisations ou offrandes) afin d’organiser Thimechret, rituel qui consiste à sacrifier des bœufs ou des moutons dont la viande sera distribuée équitablement à tous les membres de la communauté.Cette coutume rassemble la plupart des habitants y compris ceux résidant en dehors du village. Les gens tiennent à ce rituel et à leur part de viande quel qu’en soit le prix. La dernière a révélé un nombre d’habitants dépassant les 2 500 âmes. Le cimetière, à quelques encablures, du village qui le partage avec le hameau voisin Thazrouts à la particularité d’abriter, en plus des martyrs de la révolution et autres anonymes, la tombe d’un illustre personnage qui n’est autre que le célèbre Kamel Amzal, l’un des premiers martyrs de tamazight. Tiferdoud est le village qui a vu naître puis grandir Kamel, lequel ne l’a quitté que pour des études. Il y est revenu en 1982, dans un cercueil.Il a été assassiné à la fleur de l’âge alors qu’il était étudiant à Ben Aknoun. La population comme pour ne pas l’oublier, a donné son nom à l’association culturelle des jeunes.Celle-ci très active a, à son actif, plusieurs réalisations dont la bibliothèque située à l’entrée de l’agglomération au lieudit la Pllate-forme.Ces dernières années, la cité prend de l’ampleur et s’étire en longueur le long de la route nationale. Elle s’étend surtout vers l’ouest (Michelet) jusqu’à se confondre avec les dernières habitations du quartier de Sidi Ali Ouyahia si bien qu’on ne distingue plus la limite entre les deux communes limitrophes.Bien que Tiferdoud fasse partie de la commune d’Abi Youcef depuis le découpage administratif de 1985, ses habitants continuent à se considérer comme faisant partie de la commune de Michelet.Ils ne peuvent changer leurs habitudes.Ils ont toujours été au marché de cette ville, beaucoup d’entre-eux y travaillent ou y tiennent des commerces comme au bon vieux temps.D’ailleurs le quartier est de la ville d’Aïn El Hammam est pratiquement celui du arch Ath Bouyoucef.Les commerçants ou les voyageurs de la station de fourgons et même une grande partie de la clientèle des cafés viennent de ce arch. La réflexion du cheikh du village illustre parfaitement la situation : “Ce n’est pas parce qu’on a changé de commune administrativement qu’on va changer nos habitudes et quitter Michelet”.Le grand problème du village est le fait qu’il soit traversé par une route nationale.Des centaines de véhicules et fourgons desservent tout le côté Est vers Abi Youcef, Iferhounène et au-delà empruntent quotidiennement ce tronçon. Cette partie du village qui jouxte l’école représente un danger permanent pour les habitants et surtout pour les enfants. On se rappelle que l’an dernier une fillette de dix ans a perdu la vie en ces lieux. Les jeunes, comme tous ceux des villages des montagnes, se plaignent du manque d’infrastructures sportives et culturelles. Ils occupent leur temps libre avec leurs maigres moyens. Cependant, bravant les conditions de vie de montagne, tout comme leurs aînés l’ont fait avant eux, ils font face à la dure réalité et ne perdent pas l’espoir de voir un jour s’améliorer leur quotidien.

Nacer B.

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