De la transmission du savoir

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Par Abdennour Abdesselam:

La considération donnée par le Chikh à l’héritage au sens transmission du savoir n’est pas le sens habituel de jouissance des biens par succession de père en fils. La jouissance des biens était pour Chikh Mohand accessoire, voire secondaire. Il en était même indifférent. Pour lui, seul le verbe (au sens pensée du terme) était l’héritage et le legs suprême. Mais ce legs ne passait pas par la courroie traditionnelle, qui veut que les enfants héritent des biens de leurs parents. Le Chikh considérait que la transmission du savoir se travaillait, se cultivait, se développait et se consolidait continuellement par l’effort intellectuel de l’individu. Au cours d’un entretien dans «Awal» N°1 avec Pierre Bourdieu, Mammeri dit : « … l’héritage ne survit qu’en changeant sans cesse ; la transmission remodèle continuellement l’héritage, en l’actualisant : le rôle de l’Amoussnaou est de faire comprendre la tradition en fonction de la situation actuelle, seule réellement vécue, et de faire comprendre les situations actuelles en fonction de la tradition, de faire passer la tradition dans la praxis du groupe… ». Chikh Mohand disait exactement cela à travers la réalisation suivante: « Taqbaylit ur tttruh’ara d lewrata, tettruhu d aleqqem d uselqem». Habituellement, les mots «aleqqem» et «aselqem» sont presque inséparables dans l’usage courant. Ils sont simultanément annoncés. Ils signifient dans le cas de leur usage par le Chikh respectivement l’action de «greffer», de développer, et l’action d’augmenter au sens évolution perpétuelle de la pensée. Les deux sens sont solidaires et complémentaires pour émettre l’idée étudiée par le Chikh. Le Chikh ne voyait pas en son fils unique, Larbi, l’héritier de son œuvre. Sans doute qu’il n’avait pas remarqué en lui des signes qui l’auraient prédestiné à cela. On peut penser que Larbi, parce que ne se sentant pas préparé ni imprégné intellectuellement pour être le continuateur de l’œuvre intellectuelle de son père, décide alors d’aller en pèlerinage à la Mecque pour sans doute compenser ses insuffisances. Cette quête forcée du rétablissement dans l’équilibre de ses compétences par le détour d’un acte religieux n’a pas été approuvée par son père. Le Chikh dira: «Muhend laarbi yebgha a d-ihudj, nekwni nebgha ad ifugh» « Mohand Larbi veut le pèlerinage nous, nous voulons pour lui l’accomplissement du savoir). Le verbe «fudj» et son nom d’action «afudju» signifient accomplissement, création ou encore évolution dans la maîtrise des valeurs de la pensée kabyle. Pour y parvenir, il faut de l’impulsion, du labeur et de la détermination. A un visiteur venu lui vanter les mérites et les prouesses de son grand-père décédé depuis plusieurs années (à défaut des siennes), le Chikh lui dira d’abord que ce qui importait était que lui-même puisse être aussi capable et utile à la société que son aïeul. Il lui dira : «Ur yi-d qqar ara dacu i gexdem jeddi-k, ini-d dacu i gexddem weglim-ik. »

A. A. ([email protected])

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