Le devoir de pédagogie politique

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Les résultats auxquels ont abouti les élections législatives du 10 mai dernier et la campagne qui les a précédés constituent une étape de la maturation de l’activité politique dans notre pays; maturation qui tarde à s’agréger dans un corpus pouvant constituer une expérience porteuse et référentielle, à partir de laquelle nous pourrions considérer que le pays est sorti de la zone des incertitudes. Sur ce plan, il y a de la coupe aux lèvres, et le forum de l’année dernière organisé par le Conseil national économique et social (CNES) sous l’intitulé d’ “États généraux de la société civile” est là pour apporter sa part de nuance à tout excès d’optimisme. Après le retour du FLN pour peser de ses 221 sièges dans la vie parlementaire nationale, des analystes, fouillant dans leurs vieux papiers produits au début des années 1990, rappellent aujourd’hui que la période de transition entamée au lendemain des émeutes d’octobre 88 et avec l’adoption de la Constitution de février 1989, n’est pas encore terminée, malgré un intervalle de temps de 23 ans, fait de terrorisme islamiste, d’errements politiques et de navigation à vue sur le plan économique. Sur le plan social et culturel, c’est la déréliction humaine qui a happé les populations algériennes dans un mouvement qui a délité les liens familiaux, instauré l’individualisme en maître des égos, brouillé les repères identitaires algériens au profit d’un charlatanisme oriental colporté par la parabole et jeté dans l’abîme le niveau de formation scolaire et universitaire. À la lumière du scrutin législatif qui aura consacré le “vote refuge” au profit du FLN, selon le jugement du ministre de l’Intérieur- jugement qui comporte une grande part de vérité-, transparaissent les hantises, se voient les hésitations, surgissent les peurs et se dressent les blocages qui tiennent encore en otage les électeurs algériens. Si le camp islamiste offre de moins en moins de perspectives- et le score obtenu le 10 mai par cette mouvance n’est certainement pas loin de la réalité quoi que l’on dise des possibilités de fraude, le camp des démocrates et des républicains n’est malheureusement pas encore pris ou considéré en tant qu’alternative crédible.

La raison est assurément partagée entre l’élite qui se présente sous ce label de démocrate et les électeurs. La première est tristement rongée par ses clivages, ses mésententes et ses éternelles désunions. Les seconds peinent encore à opérer un vote logique, soumis au seul jugement de la raison. Les conservateurs de tous bords ont compris le retard culturel qui grève les communautés rurales et les quartiers pauvres des villes. Ils jouent souvent sur le sentiment d’appartenance régionale et de solidarité tribale, en plus d’un certain clientélisme permis par des positions déjà bien avancées occupées par les reliques de l’ancien partie unique dans certains secteurs clefs de l’administration. En outre, parallèlement à l’analphabétisme qui affecte plus de sept millions d’Algériens-chiffres officiels-, l’école algérienne n’a rien intégré dans ses matières Histoire et Éducation civique, des grands bouleversements qu’a connus notre pays au cours des 23 dernières années. L’Algérie politique dans les écoles s’est arrêtée avec le parti unique. Aucun texte n’est venu faire la vulgarisation du multipartisme, des assemblées élues, des droits de l‘Homme, ni même… du séisme de Boumerdès! Ces deux volets- droits de l’Homme et séismes- étaient une vague et vaine promesse de Boubaker Benbouzid au milieu des années 2 000 pour en faire des sujets d’étude dans l’école algérienne. En outre, le pluralisme politique initié en 1989 et hâtivement complété en 2012 n’a pas pour vocation de vider ex nihilo un lourd passif fait d’hégémonie du FLN, de pensée unique, d’économie rentière et d’incommensurables retards culturels.

La fougue et l’empressement ayant accompagné ce formalisme juridique ont été rapidement attiédis, et même compromis, par la montée des périls sortant d’une sorte de boite de Pandore qui a pour noms islamisme politique et économie rentière. Ainsi, plusieurs facteurs se sont ligués contre des choix démocratiques immédiats.

Au cours du forum cité plus haut consacré à la société civile, des intervenants n’ont pas hésité à qualifier l’Algérie de pays sous-développé qualificatif que l’on a tendance à oublier ou à rejeter juste parce que les fortes recettes pétrolières des ces dernières années ont permis des investissements publics (infrastructures et équipements) de grande envergure.

Mais, sachons qu’à elles seules, les recettes des hydrocarbures sont loin de pouvoir hisser l’Algérie au rang de pays développé. Lorsque les valeurs du vrai travail sont niées, perverties ou congédiées, et lorsque la culture-moteur de tout épanouissement de l’individu et de promotion de la citoyenneté- est dévalorisée au profit des joujoux, du clinquant et du charlatanisme religieux, l’on ne peut pas s’attendre à la formation d’un citoyen autonome, conscient des ses devoirs et intransigeants quat à ses droits. En d’autres termes, on n’a pas encore formé l’électeur qui ait pleine conscience de la valeur du bulletin de vote, du caractère décisif de l’entrée dans l’isoloir et du poids de l’urne.

Que l’on aspire à une transition pacifique pour ébaucher l’avenir démocratique du pays, ou que l’on appelle de ses vœux, par importation de concepts ou de substantifs, l’instauration du 2ème République, le passage obligé sera inévitablement une certaine pédagogie politique- dût-elle longue et harassante-, à développer par les partis et le reste de la société civile qui tiennent à jeter les bases d’une république moderne, démocratique et sociale, selon les principes du congrès de la Soummam.

Amar Naït Messaoud

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