«Certains ont enterré Aït Ahmed vivant»

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Samir Bouakouir revient dans cet entretien sur la crise qui secoue le FFS. Il évoque également la conférence nationale pour l’alternative démocratique qui vise, selon lui, la mobilisation de l’ensemble des patriotes et des démocrates, pour débattre de l’avenir du pays.

La Dépêche de Kabylie : L’ex-premier secrétaire du FFS, Karim Tabou, vient d’annoncer ses intentions manifestes de créer un parti politique. Quel est votre commentaire ?

Samir Bouakouir : La création d’un parti est le résultat d’un processus dynamique, elle doit correspondre à une nécessité politico-sociale. On ne crée pas un parti pour assouvir une ambition personnelle ou pour régler ses comptes avec d’anciens camarades. Quel intérêt politique y a-t-il à vouloir ajouter un nouveau sigle qui viendrait alimenter la cacophonie politicienne orchestrée par une kyrielle de “partis” sans ancrage sociologique ? Dans le contexte actuel, marqué par l’incertitude et l’improvisation, il ne fera qu’alimenter la confusion et le sentiment de désordre politique et accentuera ainsi la démobilisation citoyenne. Je pense, au contraire, qu’il faut se placer au dessus des contingences stériles du moment, liées à des luttes d’appareils et au choc d’ambitions personnelles postélectorales, pour pouvoir engager un débat démocratique sur les questions politiques et stratégiques auxquelles est confronté notre pays et poser les bases d’un grand projet national moderne et démocratique, qui réhabilitera l’Etat et la Nation et accomplira, enfin, les promesses du mouvement de libération nationale.

Qu’en est-il de votre Mouvement de Rassemblement des Energies et quel est le bilan que vous en faites ?

Notre mouvement de rassemblement va au delà des appareils, il les transcende sans les nier. Il s’adresse aux hommes et aux femmes libres, syndicalistes, jeunes, intellectuels, fonctionnaires, entrepreneurs, journalistes et artistes qui résistent courageusement à la violence politique d’un système en dégénérescence morale et politique. Le coup de force du 10 mai, qui a redonné un rôle hégémonique à l’ancien parti unique, témoigne de la cécité politique d’un pouvoir qui rame à contre-courant de l’Histoire et qui pense échapper à l’onde de choc du « printemps arabe », en ressassant un pseudo-discours nationaliste sclérosé devenu inaudible pour les générations post-indépendance. Nul n’est dépositaire de la conscience nationale et les militants que nous sommes, n’ont d’ailleurs pas de leçons de patriotisme à recevoir de la part de cette « famille révolutionnaire », qui n’a de révolutionnaire que le nom et qui considère le pouvoir, telle une « noblesse», comme un héritage.

L’exemple de certains pays arabes, en particulier celui de la Syrie, doit pourtant inciter les décideurs à des révisions déchirantes, à repenser le projet national pour le rénover à la lumière des bouleversements géopolitiques en cours. Il n’y a pas d’ « exception algérienne », mais une « solution nationale » est encore possible pour peu que se manifeste une volonté politique.

C’est dans la perspective d’une voie algérienne de transition démocratique, que s’inscrit notre action. La conférence nationale pour l’alternative démocratique que nous avons proposée lors du meeting du 12 juillet vise à mobiliser l’ensemble des patriotes et des démocrates, pour débattre de l’avenir de notre pays et proposer ce grand projet national qui hissera notre pays au rang d’une grande puissance régionale et non pas à celui d’un simple sous-traitant des intérêts occidentaux.

Comment comptez-vous dépasser les clivages qui minent le camp démocratique ?

Un nouveau cycle politique s’ouvre et favorise de nouvelles opportunités, peut-être, historiques. Pour les saisir et se projeter dans l’avenir, nous ne pouvons nous dispenser d’un regard lucide et critique. Nous devons tirer les leçons des échecs passés, des impasses stratégiques et de la gestion patrimoniale des partis de la mouvance démocratique. Nous devons surtout réaliser une rupture intellectuelle et culturelle, pour rendre possible la rupture politique. Il n’est pas crédible de dénoncer l’autoritarisme, le sectarisme, le sexisme et l’exclusion et les reproduire aussitôt dans son parti, son syndicat, son association, son lieu de travail, bref dans la vie quotidienne. Par ailleurs, il faut sortir de cet avatar du populisme que représente le mythe de l’ « homme providentiel » et promouvoir une authentique culture démocratique qui redynamisera le processus de convergence démocratique en prenant le soin de dépasser les faux clivages idéologiques, entre islam et modernité éradicateurs et réconciliateurs. Il faut sortir des catégories politiques fictives dans lesquelles le pouvoir a cherché à enfermer la société avec sa théorie des trois familles politiques : nationalistes, islamistes et démocrates. Notre mouvement est d’abord un mouvement d’idées, à la fois de continuité et de rupture. Continuité avec les principes fondateurs du mouvement national, depuis l’Etoile nord- africaine jusqu’au Congrès de la Soummam, et rupture avec l’idéologie nationaliste, islamiste, et populiste qui a bloqué l’avènement d’un Etat moderne et la construction d’institutions politiques démocratiques.

Comment expliquez-vous l’absence de l’action politique du FFS aux niveaux national et international ?

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la force et la faiblesse du FFS, c’est son président Hocine Ait Ahmed ! La particularité du FFS est qu’il a reposé depuis sa fondation, sur une autorité charismatique, au sens wébérien du terme, dont le poids historique et politique est tel que cela n’a pas permis la construction d’un grand parti moderne qui institutionnalise le débat démocratique et qui définit des mécanismes internes, permettant de gérer les divergences politiques sans que cela n’aboutisse systématiquement à des crises ou à des dissidences. Tout au long de son histoire, en l’absence de tels mécanismes, le FFS a eu à se séparer de nombreux cadres qui ont fini par l’affaiblir considérablement. Aujourd’hui, l’âge avancé du président a considérablement compliqué la situation et certains éléments, se réclamant d’une proximité familiale avec lui, n’ont pas hésité à l’enterrer vivant, en engageant l’appareil dans des alliances douteuses qui ont fini par entamer sa crédibilité auprès de l’opinion. La direction du FFS se trouve aujourd’hui sans boussole politique, stratégiquement désorientée, sans perspective aucune sinon celle d’élargir les cercles clientélistes à la faveur des prochaines municipales, selon le même mode opératoire que celui du pouvoir.

Y a-t-il des contacts entre vous et la direction pour asseoir un débat ou trouver des solutions aux questions posées ?

Nous n’avons pas cessé de lancer des appels au dialogue et au débat. Nonobstant certains individus compromis, je reste convaincu que la majorité des responsables du parti sont tristes de la piètre image que donnent certains membres de la direction du parti et souhaitent que le « rassemblement des énergies » se concrétise.

Je tiens à souligner que nous avons refusé de nous associer à un travail de sape ou de casse, en nous démarquant de ceux qui, aveuglés par l’ambition, font tout pour affaiblir le parti, en particulier dans son bastion historique. Notre seule ambition est que le FFS retrouve sa cohésion et son unité pour être un des principaux acteurs de la réussite de la conférence nationale pour l’alternative démocratique.

Propos recueillis par Ferhat Zafane

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