Quelle place pour la Kabylie dans le nouveau paysage médiatique ?

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Avec la naissance, il y a quelques mois, de chaînes de télévision privées en Algérie, il serait sans doute intéressant de se pencher sur l’évolution du paysage médiatique dans notre pays, et particulièrement sur la manière dont il est perçu, vécu et appréhendé en Kabylie.

Par Amar Naït Messaoud:

Bien avant que la loi sur la libéralisation de l’audiovisuel soit réellement mise en œuvre- dans son volet réglementaire et légal-, des chaînes satellitaires se son mises à émettre en direction du public algérien. Certaines ont leurs bureaux à l’étranger. Ce qui a amené la presse écrite et même certains responsables, y compris le ministre de la Communication, à utiliser un adjectif venu de la lointaine industrie pétrolière telle qu’elle est exercée sur les plates-formes de la Mer du Nord et du le golfe du Mexique; il s’agit, nous nous-dit-on de chaînes « off shore » »! Pas moins! La facilité à trouver ironiquement une telle comparaison n’exonère pas les Algériens de se demander comment va évoluer, dans notre pays, le paysage médiatique en général, et le paysage audiovisuel privé en particulier. Si le besoin de divertissement dû aux nuits moites et chaudes de ce mois de Ramadhan a fait que des familles ont pu, peu ou prou, trouvé leur compte dans des sketchs-chorba, certains sitcoms ou quelques émissions que l’ENTV n’avait pas l’habitude de nous livrer, le développement réel et la stabilisation du champ audiovisuel algérien sont loin d’être acquis. Plus spécifiquement, pour les téléspectateurs de Kabylie, c’est le statu quo fatal. En toute apparence, aucun projet nourri par cette fièvre de la télévision privée ne leur est destiné. Avec la chaîne publique TV 4, on évolue avec Akham n’dda Méziane, en suivant les péripéties du héros qui le font passer de simple chef de famille sage et débonnaire, au poste de président d’APC. Ca se limite à cela car le reste n’est pas du tout un programme digne d’une télé publique nationale. Avec les budget consenti, le téléspectateur est en droit de réclamer des programme plus «sérieux travaillés», des figures de qualité variées… Mais rien de tout cela. C’est les mêmes têtes qui défilent à longueur de la nuit… Ca sent un bâclage ! Rien de nouveau donc sous le ciel de Kabylie ou pour la diaspora kabyle d’Algérie et de l’étranger. De son côté Berbère Télévision (BRTV) n’arrive pas à se donner les moyens de sa politique. Elle n’arrive pas à accrocher un large public, outre le fait que ses plages horaires en clair son limitées. Son journal télévisé est, pour ainsi dire, presque « muet » du fait de l’absence de correspondants, d’acteurs politiques, sociaux ou culturels sur le plateau. Dans les moments les plus tendus de la vie en Kabylie, l’on s’est contenté d’appels téléphoniques venant de certains citoyens-appels dont il est difficile de vérifier l’authenticité et le contenu-, et de quelques images circulant sur Youtube. En dehors de certains débats dont la pertinence demeure indiscutable, la chaîne (ou les chaînes, puisqu’il y en a trois), peine à se frayer un chemin dans une mission difficile marquée par la double vocation: s’adresser aux Berbères de France et à ceux du pays d’origine. L’on est légitimement fondé à nous poser la question de savoir en quoi la sphère de l’information et de la communication audiovisuelle a changé en Kabylie depuis l’émission ‘’Houna Bariz’’ de Radio-France diffusée au début des années 1970 à l’intention des auditeurs de cette région. La question peut paraître farfelue et étrange dans un monde maillé par les ondes hertziennes, les satellites, la presse papier et la presse électronique. Pourtant, pour les habitants de la Kabylie profonde qui ne maîtrisent que la langue de leurs aïeux, comme pour les jeunes passionnés par la réhabilitation de leur langue maternelle, la question demeure pendante un demi-siècle après l’Indépendance du pays. L’émission citée plus haut ayant versé dans l’opposition au régime politique de l’époque, elle a fini par être censurée par Paris sur intervention des autorités algériennes. Puis, dans la foulée du conflit du Sahara occidental, Radio Tanger (actuelle Médi 1) s’est mise à diffuser, à partir de 1976, des émissions en kabyle qui évoluèrent rapidement en pamphlets contre le gouvernement algérien et en littérature de subversion. Ces deux stations étaient très suivies dans les villages de Kabylie en raison de la liberté débridée de ton qu’elles avaient adoptée, et surtout parce qu’elles s’exprimaient dans la langue courante, sans sophistication ni fioritures, et passaient les artistes interdits d’antenne en Algérie à l’image de Slimane Azem. S’agissant de la Chaîne 2, radio publique de langue kabyle, on sait que, comme l’ensemble des médias publics gouvernementaux, elle était bridée par la politique de la censure et reproduisait le discours des maîtres de l’heure dans une fade langue de bois. Sur un autre plan, son rayon d’émission était limité- avec tous les parasitages possibles- à la Kabylie et à certaines communes d’Alger. De même, sa plage horaire, jusqu’au lendemain du Printemps berbère de 1980, était limitée à huit heures de diffusion par jour; les vides étaient remplis par la connexion à la chaîne 1 (de langue arabe). Des hommes de valeur ont évolué et résisté à l’intérieur de cette machine étatique au point que l’on ne peut citer la radio chaîne 2 sans faire référence à certaines figures comme Ben Mohamed, Ahmed Oumaziz, feu Benhanafi, Hadjira Oulbachir,Boukhalfa Bacha,…etc. Dans le  »goulag » de la culture du parti unique et de l’arabisme agressif, ces personnalités et d’autres de leurs compagnons ont formé une petite oasis dans le désert, voire une école: celle de la résistance, de la vulgarisation et de l’éveil des consciences. Après la timide ouverture des médias publics en 1990, les téléspectateurs et les auditeurs de Kabylie ont voulu croire au miracle d’autant plus que le radio a commencé à parler du pays réel et la télévision, pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie, a ‘’toléré’’ des bribes de dialogue en kabyle. Cela a duré ce que dure le printemps des jeunes filles, comme le dit La Colline oubliée. L’Algérie sombrera, quelques temps après, dans l’une des épreuves les plus dures de son histoire, le terrorisme islamiste. L’introduction d’un journal télévisé en tamazight à la télévision, outre son aspect technique discutable et sa plage horaire très limitée, ne change rien au fade contenu de l’information officielle, puisque, de toute façon, on peut mentir et délirer aussi bien en arabe qu’en kabyle.

S’insérer dans le « village planétaire »?

Les radios locales créées à Béjaïa, Bouira et Tizi Ouzou, tout en essayant de développer une politique de proximité sont encore loin du compte pour s’imposer comme organes d’information, de culture et de divertissement. Ce ne sont apparemment pas les moyens qui manquent. C’est plutôt le « péché mignon » d’être des organes publics. Le manque de professionnalisme a tendance à transformer les radios publiques régionales en général en organes appendices de l’administration de la wilaya. S’agissant de la presse écrite, si certains journaux ont leurs pages  »Kabylie », l’on est visiblement loin du vœu le plus partagé par la jeunesse kabyle, celui de voir des journaux écrit en tamazight. L’expérience de notre journal, avec son cahier hebdomadaire en tamazight, a largement confirmé cette soif de lecture directe dans la langue de Si Moh U M’hand et d’Aït Menguellet. Quant aux sites électroniques « dédiés » à la Kabylie et au monde berbère en général, il y a lieu de ne pas exagérer leur impact immédiat. Le déficit de connexion Internet et la faiblesse de son débit en Algérie, et particulièrement dans les villages et bourgades de la campagne, ainsi que la faiblesse du contenu des sites en question, sont des facteurs qui ne militent pas encore pour la floraison immédiate d’une cyberculture en tamazight ou en direction des populations amazighophones. Il se trouve que, même une certaine tradition de revues produites au cours des années 80 et 90 du siècle dernier par des APC, des universités et même des lycées, tarde à se renouveler et à se donner un nouveau destin. Le résultat des courses est que, dans un monde qui change et qui évolue à une vitesse jamais connue auparavant, dans ce qui se dessine maintenant comme un village planétaire dans le domaine de la communication, selon l’expression de Mac Luhan, le défi de la communication concerne non seulement les pays et les gouvernements, mais il étend ses tentacules à l’échelle des régions, des villages, des entreprises, des foyers et des individus. En ce début du 21e siècle, le monopole sur les médias audiovisuels ne peut être vu et vécu que comme un honteux stigmate de la pensée unique et du jdanovisme culturel. Il est aux antipodes de la perspective démocratique et de la promotion de la citoyenneté. Pour la Kabylie, la question qui se pose maintenant est de savoir comment son élite culturelle et ses capitaines d’industrie, détenteurs de capitaux, vont exploiter les brèches qui sont en train de s’ouvrir progressivement dans le paysage audiovisuel algérien, afin de créer un paysage audiovisuel kabyle susceptible de travailler à la promotion des valeurs de la culture berbère, à l’animation et à la densification du réseau d’information, à la consécration des medias de proximité avec le maximum de professionnalisme et à la promotion des valeurs de la citoyenneté.

A. N. M.

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