À qui profitent les dérives ?

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C’est devenu une forme de tradition par laquelle l’Algérie convoque, chaque mois de Ramadhan, le ridicule et l’insensé pour alimenter, en chroniques et en cancans, le Landerneau local en mal de divertissement et de défoulement. Sinon, comment peut-on expliquer cette manie de dénicher des non-jeûneurs pour les brutaliser ou les auditionner au commissariat? L’acte de ‘’répression” ainsi décidé par l’autorité publique donne une portée et une ‘’publicité’‘ qui sont sans commune mesure avec la “peccadille’‘ – si tant est qu’elle en soit une- des mis en cause. Les choses se corsent davantage lorsqu’on s’en prend à des étrangers, à l’exemple de la chanteuse libanaise chrétienne ‘’interrogée’‘ la semaine passée à Constantine sur son geste, celui de fumer en plein jour. La chronique algérienne en matière de casuistique religieuse consistant à monter en épingle tous les gestes et actes qui sont censés relever de la liberté de conscience, assurée par la Constitution du pays, est, en réalité loin de se limiter au seul mois de Ramadhan. Elle va plus loin pour s’étendre sur toute l’année, particulièrement au cours de ces dix dernières années. Une certaine presse arabophone ne manque pas d’en tirer un malin plaisir en amplifiant les faits et en s’érigeant, non seulement en donneuse de leçons, mais pire, en tribunal religieux. Cela s’est à maintes fois vérifié à chaque fois qu’il est question de chrétiens algériens dont ces organes n’arrivent même pas à admettre l’existence, mais que, paradoxalement, ils descendent en flamme dans leurs commentaires belliqueux. Ainsi, dans une “alliance’‘ peu innocente, le zèle de certains agents de sûreté le venin de quelques organes de presse et l’absurde attitude que prend parfois l’administration, se liguent pour tirer le pays vers une régression culturelle et sociale à laquelle la vocation de sa révolution ne le destine nullement. Cette triste entreprise de vouloir faire du pays de Abane et Benmhidi un terrain d’intolérance et de sous-développement culturel, touche malheureusement plusieurs domaines de la vie nationale. L’on se souvient de l’épisode rocambolesque où, en 2006, un certificat de conformité était exigé par l’administration de la wilaya de Tizi-Ouzou, de deux églises protestantes implantées dans la ville. Cela rappelle, mutatis mutandis, le certificat que le ministère de l’Éducation exigea la même année pour les écoles privées. C’était un document attestant que les programmes enseignés sont réellement ceux du ministère et que les cours se font effectivement en arabe. La différence est que, dans le cas qui nous occupe présentement, à savoir le domaine religieux, la situation est un peu plus délicate puisqu’elle déborde sur les questions de la liberté de conscience et des droits de l’Homme. D’ailleurs, des ONG et même le département d’État américain ont eu à critiquer notre pays sur certains aspects liés à la pratique du culte et à la liberté religieuse. Ce sont là des observations qui sont de nature à induire des questions embarrassantes, aussi bien pour les autorités du pays que pour l’élite culturelle de la première religion du pays, à savoir l’Islam, d’autant plus qu’un certain esprit d’ouverture et de tolérance du pays a été un moment, chanté sur tous les toits et même revendiqué à hue et à dia. Quel ne fut l’adhésion des franges les plus éclairées du pays lorsque le président Bouteflika, aux premières années de son premier mandat, a voulu faire revivre une convivialité que l’on croyait enterrée pour de bon; ce fut un moment malheureusement fugace, où Saint-Augustin et les Juifs d’Algérie avaient repris droit de cité dans une patrie qui fut la leur. Le climat qui prévalait à l’époque avait même intégré cet effort de réappropriation de certains pans de notre histoire dans la grande réconciliation nationale prônée par le président. C’est ainsi que Hadj Messali, Ferhat Abbas et d’autres figures de l’histoire nationale firent leur réapparition et de leurs noms furent baptisés des rues, des places ou des aéroports. De même que fut levé le tabou qui a pesé pendant des décennies sur l’usage de la langue française en Algérie. Après l’ouverture de telles brèches, auxquelles avaient cru une grande partie de la société l’on comprend très mal, à présent, ces nouvelles formes d’inquisition et on n’arrive pas à s’expliquer comment on a pu installer, au cours de ces dernières années, un autre climat, fait de suspicion, de bigoterie et d’exclusion. Pour une société et un État qui font l’effort surhumain de remonter la pente de l’histoire après presque deux décennies de terrorisme islamiste, il serait sans doute suicidaire de continuer à patauger dans ces faux problèmes et ces polémiques artificielles, au moment où des défis historiques se posent avec moins de pitié et plus d’aplomb aux Algériens. « Nous demandâmes [à l’artiste] la religion qu’il confesse, pour que nous en suivions le bréviaire. Nous voulions savoir le nom du prophète à qui il adresse ses prières. Alors que nous attendions sa réponse, il retourna son visage et se met à rire » ; c’est en ces termes, où se mêlent belle ironie et éclatante lucidité que le poète Aït Menguellet montre la hauteur que nous devons prendre par rapport au raidissement confessionnel ou idéologique qui grèvent les valeurs spirituelles, lesquelles, au lieu de nous fédérer sur les valeurs de la tolérance et de la modernité risquent de nous entraîner sur d’éternelles querelles.

Amar Naït Messaoud

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