Même si les désagréments et les défaillances de l’administration algérienne sont vécus et ressentis par le simple citoyen tout au long des douze mois de l’année, il n’en demeure pas moins que les quelques semaines qui précédent la rentrée sociale- et dans la foulée, les rentrées scolaire et universitaire- sont les plus éprouvantes et les plus stressantes. Les bousculades et les rixes dans les salons d’attente du service d’État civil sont devenues légendaires. Elles font partie d’un quotidien déjà largement chargé par moult désagréments professionnels, familiaux et autres. Dès la troisième semaine d’août, les halls des mairies sont pleins comme un œuf. Des résidents, des habitants hors wilaya à qui il est exigé dans les dossiers administratifs des actes de naissance n°12. L’on ne comprend plus pourquoi le livret de famille, qui permet normalement de se faire délivrer des actes de naissance dans une autre mairie hors du lieu de naissance, est tenu en ‘’suspicion’‘ lorsqu’il sert de support pour un tel document. Le chemin de croix pour un candidat à un dossier administratif est, en tout cas, semé d’embûches venant aussi bien de la part de l’organisme qui lui réclame le dossier que de la partie sollicitée pour les pièces du dossier (mairie, daïra, impôts, wilaya,…). Plus de vingt ans après sa sortie, la chanson du groupe Ideflawen (nnan-iyid arud tabrats, saddoud achrine d alkaghedh), dans laquelle est racontée la folle équipée d’un candidat à un poste de travail, est plus que jamais d’actualité. Des guichets sont normalement ouverts dans les services d’État civil pour les habitants hors wilaya nés dans la commune considérée. Mais les bousculades et autres désagréments connus par ces services pendant et après le mois de Ramadhan, tombé en pleine canicule de juillet-août, font exaspérer plus d’un. Pire, des scènes de bagarres sont quotidiennement enregistrées devant les guichets. Ces quelques symptômes d’une de services administratifs valétudinaires à l’échelle locale renseignent largement sur le fonctionnement du reste des volets de l’administration publique en ce début du troisième millénaire pour un pays qui compte son budget et ses plans quinquennaux en milliards de dollars. Toutes les promesses de modernisation des prestations de l’administration sont demeurées lettre morte. Hormis quelques exceptions d’APC ou daïras ayant numérisé leurs fichiers et ayant installé le réseau Internet ou Intranet, la majorité des structures administratives travaillant directement avec le public sont en retard d’une bataille, voire d’une ‘’guerre’‘ informatique. À cela s’ajoute l’insuffisance du personnel et…les erreurs de transcription. Depuis que les actes d’État civil sont arabisés, des milliers d’erreurs de transcription ont été signalées; il y’en a même qui ont valu à des citoyens de sempiternelles batailles judiciaires pour espérer rétablir les vrais noms et prénoms ou d’autres données (date et lieu de naissance, mariage,…). La déliquescence de certaines services a même conduit des garçons à devenir filles et inversement, par la grâce d’une désinvolture qui a décidé de faire correspondre un sexe qui n’est pas le sien au nom d’une personne. Les choses se corsent en ce moment précis de l’année, avec tous les dossiers administratifs réclamés par les employeurs, les lycées, l’université et même par les écoles primaires (pour pouvoir bénéficier de la prime de scolarité de 3 000 dinars). Au vu du capharnaüm de l’administration algérienne dans tous ses démembrements, il s’agit d’un véritable paradoxe lorsqu’on considère les budgets qui sont alloués aux différents corps de l’administration. Par rapport aux pays voisins, et même à certains pays de l‘Afrique noire, l’Algérie accuse un énorme retard en termes de numérisation et d’informatisation de ses services. Le peu de mairies qui ont accédé à ces outils modernes ne sont pas exemptes de grossières erreurs dues à des négligences ou un patent déficit de compétence.
Un rapport mis sous le coude
Le sous-développement ayant affecté l’administration algérienne a charrié l’inévitable phénomène de corruption. Depuis la banale fiche individuelle, jusqu’au complexe acte de naissance ‘’12 S’&lsquo,; il est des mairies où tout se monnaie au détriment du citoyen et de la crédibilité des services de l’État. Sous cet angle, la faiblesse et la perversion des services de l’administration publique peuvent être considérées comme le miroir insolent de la déliquescence de l’État dans ses fondements les plus précieux. Car, le souffle et la dynamique que l’on prétend imprimer aux réformes économiques et politiques se perdent nécessairement en cours de route si le cadre administratif n’a pas subi les réformes et les évolutions que commande l’étape historique que traverse le pays. L’autre paradoxe que traîne l’administration publique est la revalorisation des salaires de ses fonctionnaires depuis qu’une nouvelle loi a été établie en 2007 pour la Fonction publique. Pour le commun des citoyens-contribuables, cette réhabilitation ‘’salariale’‘ des fonctionnaires de l’État est censée se prolonger et se matérialiser par un surcroît de rendement et d’amélioration de la qualité du travail. Il n’en fut rien. Les retards dans l’établissement des pièces administratives, la médiocrité des prestations, les erreurs qui débouchent souvent sur des litiges, sont là pour dire que le salaire seul ne fait pas la réforme de l’administration. Les axes développés par le rapport élaboré en 2001 par Missoum Sbih, président de la Commission de réformes de l’administration et des missions de l’État, ont été malheureusement mis sous le coude depuis dix ans maintenant. Le diagnostic de l’administration qui s’était figé naguère sur certains signes extérieurs (pléthore du personnel, bureaucratie et archaïsme des méthodes de travail), a été dépassé dans ce rapport pour aller dans des investigations profondes faisant état de la médiocrité de l’encadrement, de l’inefficacité des méthodes de travail, du manque d’adéquation entre la formation scolaire et universitaire avec les véritables missions de service public et de puissance publique et, enfin, des incohérences et distorsions induites par le jacobinisme centralisateur des pouvoirs de décision et les déséquilibres entachant la division territoriale du pays.
Amar Naït Messaoud