Avec Chafiâa après une séance de chimio…

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Sur 1671 malades atteints de cancer et pris en charge par le service oncologie de Tizi-Ouzou en 2011, 443 sont des cas de cancer du sein, soit un taux de plus de 26%. Des chiffres en perpétuelle recrudescence et qui interpellent au plus haut point.

Elle doit avoir la trentaine, Chafiâa (appelons-là ainsi) semble un peu épuisée. Assise au bord d’une chaise, elle a le regard perdu est semble ne rien percevoir de ce qui se passe autour d’elle. Elle est fatiguée, et comment ne pas l’être après une séance de chimiothérapie. Son visage, un peu pâle, n’inquiète pas pour autant sa maman, debout devant elle. Au contraire, la dame trouve que sa fille «a bonne mine, par rapport aux autres jours», ne cesse-t-elle d’ailleurs de répéter, toute en cherchant du regard un signe affirmatif, un soutien de la part des infirmières présentes dans la salle. La jeune fille, quant à elle, parle à peine, et après sa toute première expérience avec la chimiothérapie, elle a besoin d’un pansement que la maman est venue réclamer à l’infirmière «pour que le voyage du retour vers la maison ne l’amoche pas» ajoute sa mère. Il faut dire que depuis le Sanatorium (hôpital Belloua), sur les hauteurs de Tizi-Ouzou, le trajet n’est pas des moindres, et il l’est encore moins pour une personne malade. 

L’absence de statistiques cache l’ampleur de la maladie

Pansement en main, l’infirmière, un peu tremblante, qui semble être nouvellement recrutée, tente de rassurer la jeune patiente, et par la même occasion se rassurer elle-même. Car il faut dire que l’état de la malade n’est pas des moindre. Sa tumeur est à un stade bien avancé et a pratiquement ravagé le sein gauche. «Chafiâa s’est présentée dans un état que nous jugions critique. On ne pouvait même pas effectuer une ablation du sein. Quelques séances de chimiothérapie se sont imposées pour tenter de diminuer la taille de la tumeur avant l’opération», nous expliquera un membre du personnel médical au niveau du service Oncologie médicale au Sanatorium de Tizi-Ouzou. Une de ses collègues signalera, au passage, que la plupart des malades qui s’y présentent sont déjà à un stade trop avancé de la pathologie, le dépistage n’ayant pas été effectué à temps. «Les tabous et encore les tabous ! Plusieurs femmes ont honte de parler, elles préfèrent se taire plutôt que de dire ce qui ne va pas. Il y a aussi une part d’inconscience et d’ignorance. De l’autre côté il y a aussi le cas de ces nombreuses patientes qui ne consultent qu’en dernier recours, malheureusement. Elles commencent par tenter de se faire soigner en faisant appel à la médecine traditionnelle, en « consultant» la doyenne du village ou autres Marabouts aux potions miracles, laissant ainsi le temps à la maladie de s’étendre», nous expliquera la même interlocutrice. Elle signalera, dans la foulée, que les malades «sont de plus en plus jeunes. Nous voyons défiler, ici au niveau du service Oncologie de plus en plus d’enfants et d’adolescents. On savait, par exemple, que le cancer du sein risquait d’apparaître chez la femme au-delà de 35 ans, mais ici, notre plus jeune patiente n’a que 19 ans ». On apprendra, aussi, qu’une autre jeune fille, âgée uniquement de 23 ans, souffre de cancer au niveau des deux seins. En cette journée de début d’octobre, le service affiche complet, comme à son habitude d’ailleurs. Un service qui accueille quotidiennement bien plus que se capacité (32 lits).

Près de 90 % des malades au niveau du service Oncologie ne savent pas qu’ils sont atteints d’un cancer

Chafiâa fait partie des ces quelques 500 femmes atteintes du cancer du sein et prises en charge au niveau du service oncologie de Tizi-Ouzou. Un cancer muet qui touche de plus en plus de femmes. Selon les chiffres transmis par le directeur général du centre hospitalo-universitaire Nedir Mohamed de Tizi-Ouzou, le professeur Ziri, elles étaient 436 malades atteintes du cancer du sein au niveau de l’hôpital en 2010. Le chiffre est passé à 443 l’année d’après. Malgré l’absence de chiffres concordants au niveau de la direction du CHU, le nombre de décès est tout autant important. Même connus, les chiffres seraient loin de la réalité dans la mesure où de nombreux malades décèdent, en effet, chez eux, dans l’ombre d’une maladie «obscure» non dépistée. Le service est toujours saturé il accueille jusqu’à 2 000 personnes cancéreuses par année, selon le DG du CHU, le Pr.Ziri. « en 2006, lorsque le service a été ouvert, seuls 3 à 4 malades y étaient hospitalisés. Et d’année en année, le chiffre augmente à un rythme effréné. Actuellement, le service ne répond plus aux besoins de la wilaya. De même qu’on ne peut plus accueillir des malades étrangers à la région», nous expliquera-t-on aussi du coté du personnel médical. On saura, par la même occasion, qu’il y a de cela quelques années, on projetait d’aménager de nouvelles chambres à l’étage en dessous des locaux du service oncologie, ce qui devait réduire la pression au niveau de ce service, mais, en fin du compte, il n’en fut rien. Comme pratiquement chaque jour, au niveau de chaque pièce des deux couloirs parallèles du service oncologie, trois patients reçoivent une cure de sérum en vue de préparer leur corps à la séance de chimiothérapie. Allongés sur des lits, parfois assis sur des chaises aux coins de ces chambres mixtes aux murs blancs, ils attendent patiemment leur séance de chimiothérapie. Le liquide transparent pénètre leurs veines à petites gouttelettes, et l’attente se fait de plus en plus latente. Et entre occupants d’une même chambre, trop exigüe pour accueillir plus de deux personnes, on essaye de passer le temps comme on peut. Et unis dans cette Mahna (misère), des amitiés se tissent facilement. Les patients tentent au mieux d’oublier leur maladie, l’endroit et, surtout, la séance de chimiothérapie redoutée par tous. Ceci, même si en réalité la plupart des malades ne savent pas au juste de quoi ils sont atteints. «90 % des malades ne savent pas qu’ils ont un cancer. Dans l’esprit des gens, parler de cancer est synonyme de condamnation et de décès. Nous prévenons les familles et c’est à eux de décider, par la suite, de mettre en courant ou pas le malade. Et afin que ce dernier ne désespère pas, la plupart préfèrent ne pas leur en parler», nous dira membre du personnel du service. La peur de la réaction du malade qui viendrait à apprendre qu’il est atteint d’une maladie incurable empêche les médecins de lui préciser ce qu’il a réellement. Les infirmiers, eux, ne supportent plus de détourner la tête à chacune des questions d’un malade un peu trop curieux. «Des fois je ne trouve pas de réponse. Je tente de changer de sujet. Il faut dire que depuis l’incident qui s’est produit la première année de l’ouverture du service, les médecins préfèrent se taire plutôt que de dire la vérité au malade. Cette année là une jeune fille, qui ne devait pas atteindre les 25 ans et qui faisait partie des malades hospitalisés au service, en apprenant qu’elle avait un cancer du sein, et profitant d’un moment d’inattention du personnel et des membres de sa famille, s’est jetée du balcon. Elle a préféré mettre fin à ses jours, se jugeant déjà condamnée.

Une maladie coûteuse

Au niveau des chambres, on discute et on rit parfois. «On devrait constituer une liste pour participer au prochaines élections», balance un quadragénaire dans l’une des chambres du service, laissant tout de suite place à un long débat entre occupants de la petite pièce au sujet de l’actualité politique à Tizi-Ouzou. De l’autre côté du couloir, certains membres des familles des patients conversent et échangent leurs expériences. Pendant la discussion, on ne pourra occulter le sujet des problèmes rencontrés depuis la découverte de la maladie chez les leurs, notamment l’inaccessibilité aux soins. Les parents mentionneront, aussi, la cherté des médicaments, des produits et des drogues nécessaires pour la «chimio», difficiles à trouver, mais aussi les différentes radios, pour lesquelles les rendez-vous sont impossibles à obtenir. C’est le cas des rendez vous pour la radiothérapie que les patients doivent subir au niveau du CPMC d’Alger. «Les rendez-vous sont tellement espacés, qu’à plusieurs reprises, des patients décèdent avant le jourJ», déclarera un membre du personnel. Pour illustrer ces dires, on saura que les femmes atteintes de cancer du sein ont été programmées pour une séance de radiothérapie au mois d’octobre 2013 au CPMC d’Alger ! Il leur faut attendre une année, alors que la maladie, elle, n’attend pas. Des thérapies indisponibles ou bien qui coûtent cher. Ainsi, pour les malades du cancer du sein, « la mammographie est effectuée chez un particulier monnayant la “modique“ somme de 4 000DA», nous fera savoir le parent d’une malade. Même chose pour la DMO (Ostéodensitometrie) que les patientes paient 5 000 dinars chez un privé pour une seule séance.

Une prise en charge limitée

L’autre solution, se déplacer vers les centres spécialisés de la capitale, chose qui n’est pas évidente pour la plupart des malades. Leur état de santé ne permettant pas un déplacement ou tout simplement leur situation financière précaire les pousse, parfois, à abandonner leur cure. «Il y a des personne qui n’ont même pas assez d’argent pour le voyage vers la capitale, alors comment peuvent-ils bien se prendre en charge», dira une infirmière. On se demande, en effet, pourquoi on ne met pas à la disposition des malades une ambulance ou un autre moyen de transport, depuis l’hôpital de Tizi-Ouzou, pour ces rendez-vous et ces cures hors wilaya, pour au moins les soulager du poids du transport. Les patients se retrouvent voués à eux même, avec les charges et tous les frais. N’ayant personne pour l’accompagner dans ses péripéties et sa lutte contre la maladie (un cancer de la gorge), une patiente faisait les va et viens entre sa maison à Freha et Aïn Naâdja, pour sa séance de radiothérapie. Elle « faisait»… car la maladie a eu raison d’elle. Maman de deux enfants, dont le dernier est un petit garçon d’à peine quatre mois, elle est décédée la semaine dernière.  L’IRM au niveau de l’hôpital de Tizi-Ouzou n’a pas été mise en marche depuis près d’une année, selon une source proche de l’établissement. Même chose pour le scanner, qui n’est plus disponible en raison du manque de radiologues. Chose que nous confirmera, d’ailleurs, le directeur général qui signalera, par ailleurs, que l’IRM « était en panne, mais a pu être remise en marche la semaine dernière». Des disfonctionnements qui pénalisent le malade et amenuise ses chances de guérison. Ceci, en attendant l’ouverture du Centre anti cancer (CAC) prévu à Draâ Ben Khedda, dont les travaux ont à peine débuté. Malgré tout ces problèmes, les malades atteints de cancer du sein ne perdent pas espoir et attendent toujours qu’une aide réelle leur soit apportée afin de bénéficier des traitements disponibles, loin des belles promesses sans lendemain. Car, comme dira un homme atteint d’un cancer, qui lisait dans une salle d’attente une revue pour cancéreux dans laquelle un médecin demandait aux malades de ne pas avoir peur, «nous, nous n’avons pas peur, mais malheureusement, nous ne voyons rien arriver». Chafiaâ, après avoir reçu les soins nécessaires, sort de l’«infirmerie», et repart comme elle était arrivée, timide et tout autant silencieuse. Les yeux rivés au sol, le pas lent, elle traverse avec sa maman le couloir de service. Un service qu’elle fréquentera, désormais, très souvent dans ce long combat contre la maladie qu’elle vient d’entamer.

Tassadit Chibani

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