Un traumatisme et des leçons

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Après la journée du 26 décembre 1991, correspondant au premier tour des législatives pluralistes, le général Larbi Belkhir, ministre de l’Intérieur, la mine défaite et le verbe hésitant, annonçait le vendredi matin, 27 décembre, les résultats de l’élection.

Il y a 21 ans, jour pour jour, le bulletin de vote, présenté par le nouveau climat pluraliste de l’après octobre 88 comme un acte ‘’salvateur’‘ destiné à faire instaurer une seconde république, accoucha d’un monstre qui a failli emporter, presque deux décennies avant le ‘’printemps arabe’&lsquo,; un pays dont la vocation à laquelle le destine sa révolution anticoloniale était tout autre; c’est-à-dire, une vocation démocratique et sociale telle qu’elle est souhaitée et fixée par le Congrès de la Soummam. Après la journée du 26 décembre 1991, correspondant au premier tour des législatives pluralistes, le général Larbi Belkhir, ministre de l’Intérieur, la mine défaite et le verbe hésitant, annonce le vendredi matin, 27 décembre, les résultats de l’élection. Le ciel de l’Algérie s’assombrit. La république vacille. On n’avait pas besoin d’attendre le 2e tour pour savoir que l’Assemblée populaire nationale était acquise au Front islamique du salut (FIS)- un parti agrée contre la lettre et l’esprit de la Constitution de février 1989- avec une majorité absolue. Dans l’histoire contemporaine, l’Algérie n’a jamais eu à négocier son destin comme elle le fit dans l’intervalle entre le 26 décembre 1991 et le 11 janvier 1992, date de la création du Haut Comité d’État (HCE) qui sera présidé par Boudiaf. L’interruption du processus électoral, que certains assimilent trop facilement à une violence contre la légalité sera l’œuvre des forces et des énergies- société civil regroupée dans le Comité national de la sauvegarde de l’Algérie (CNSA) et Armée nationale populaire- qui ont pris sur elles d’arrêter la grande dérive historique qui a failli reléguer le pays, au mieux, dans les dédales du Moyen-âge, et, au pire, dans une guerre civile dont on ne peut imaginer les conséquences. Ce choix a un prix. Il a été payé au cours des années d’un terrorisme barbare, par les meilleurs fils de l’Algérie, qui sont tombés par dizaines de milliers : policiers, militaires, gendarmes, écrivains, journalistes, enseignants, cadres de l’État et citoyens.  Les enfants qui avaient moins de dix ans au commencement de l’aventure terroriste n’ont connu que peur, violence et réflexes de paranoïa pathologique. La société tout entière est pénétrée par la logique de la violence. Les dérives actuelles en matière de délinquance et de banditisme ne sont pas tout à fait étrangères à cette conjoncture particulière de la vie de la nation, même si elles sont nourries également par la perte actuelle de repères qui affecte la société sur le plan socioéconomique, politique et culturel.  Entre les élections législatives de décembre 1991 et le dernier scrutin ayant intronisé la nouvelle Assemblée nationale en mai 2012, beaucoup de sang a coulé une multitude de malentendus ont parasité la relation entre le peuple et le pouvoir, des dizaines de partis politiques- nés dans la précipitation du début de l’ère pluraliste- se sont estompés et dissous de facto, et d’autres formations politiques, parfois aussi précaires que les premières, ont vu le jour en 2011/2012. Après les législatives de mai et les locales de novembre, le collège des électeurs, constitués des élus locaux, pourvoiront samedi prochain aux postes de sénateurs devant siéger au Conseil de la nation. Malgré le recul évident du courant islamiste, la décantation politique tarde à se réaliser complètement. La gérontocratie demeure une réalité que l’on ne peut cacher, malgré une effervescence d’une jeunesse délurée voulant s’ouvrir sur les réalités du nouveau monde. Un monde fait de défis en matière de nouvelles technologies de l’information et de la communication et en matière de nouveaux modèles culturels et de canons esthétiques.  Sur le plan économique, le pays est passé d’une situation de débiteur, en cessation de payement (fameuse dette extérieure de 26 milliards de dollars), à une situation d’ ‘’aisance’‘ financière qui mérite bien…des guillemets! Oui, avec presque 200 milliards de dollars de réserves de change et des recettes extérieures basées quasi exclusivement sur les hydrocarbures, la fragilité de notre économie ne se dément pas. Les transferts sociaux annuels avoisinent les 16 milliards de dollars, dont une grande partie est destinée au soutien des prix de produits jugés de première nécessité.  L’Algérie en a-t-elle tiré toutes les leçons pour fermer la parenthèse des errements et de la perversion de l’ordre politique qui, en vérité a pris ses origines dès les premières années de l’Indépendance lorsque les idéaux de la révolution et du congrès de la Soummam furent mis sous le coude? Devant des grands bouleversements qui sont en train de déchirer l’aire géoculturelle arabe sous la déplaisante appellation- car mortellement sarcastique- de Printemps arabe, l’Algérie peut se ‘’flatter’‘ d’échapper à un destin aussi morbide du fait, dit-on, que la société a été ‘’vaccinée’&lsquo,; par Octobre 88 et la décennie rouge, contre de tels suicides collectifs. Cependant, un tel sentiment de ‘’satisfaction’‘ ne peut être conforté et raffermi que par des réformes politiques hardies, la consécration d’une culture nationale authentique ouverte sur l’universalité  et une révolution économique qui nous sortira de la ‘’mélasse’‘ de la rente, une rente qui est à l’origine de tous nos déboires en matière de corruption et de perte des valeurs du travail. 

 Amar Naït Messaoud

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