Hamid Tibouchi, enfant de Béjaïa a succombé dès son jeune âge aux charmes de la poésie. C’est dans les montagnes de Tibane, où il a grandi, que prendra forme sa sensibilité artistique. Au contact d’hommes façonnés par la rudesse du milieu, de femmes récitant à bout de champ de la poésie venant des âges farouches, soumis aux influences de son milieu montagneux, il se découvre très tôt une âme d’artiste. Dans la modeste maison familiale peinte en argile blanche, entourée d’Ikoufan, de jarres, de métier à tisser… il découvre à l’âge de six ans le monde merveilleux du livre, des manuels scolaires de son frère aîné. Subjugué par la magie du papier, l’écriture intrigante et les images envoûtantes, il en devient un véritable passionné. Les dessins sur les jarres, les motifs sur les couvertures, les burnous et les ustensiles de cuisine et tous les rituels observés parmi les siens vont susciter sa curiosité et participeront à aiguiser en lui sa soif du savoir et partant de là sa soif de s’exprimer, de dire et de créer. Né en 1951 à Tibane, Hamid Tibouchi avait appris ses études secondaires au lycée de Béjaïa, avant de rejoigner l’école Normale supérieure de Kouba (Alger), où il a rencontré plusieurs poètes at artistes qui pèseront énormément dans son parcours artistiques, comme Tahar Djaout, Abdelmadjid Kouah, Jean Sénac et bien d’autres poètes du mouvement artistique appelée « Jeune poésie algérienne de graphie française ». Après avoir exercé comme assistant de français en Angleterre, puis enseignant d’anglais en Algérie, Hamid Tibouchi se consacre entièrement à l’art. Il jongle avec la plume et le pinceau, en privilégiant dans certaines périodes l’un plutôt que l’autre. « Il n’y a jamais de métamorphose. J’ai toujours mené les deux de front. Le mot « osmose » convient mieux. Pour moi, même si elles ont recours à des moyens d’expression différents, la poésie et la peinture sont une seule et une même chose », dit-il à ce sujet. S’étant imprégné des idées du mouvement littéraire parrainé par Jean Sénac, Tibouchi se posera en chantre de ce nouveau mouvement. Novatrice, foncièrement contestataire, la poésie de ce mouvement qui se veut une sorte d’électrochoc dans l’atmosphère léthargique dont laquelle vit la littérature algérienne post-redressement révolutionnaire, a séduit beaucoup de monde et a ouvert la voie à une création artistique des plus fécondes.
Un peintre né
L’assassinat en 1973 de Jean Sénac, mentor de ce mouvement, n’a fait que renforcer les convictions des ses membres qui continueront de plus belle, malgré la chape de plomb qui couvre le pays, à dire l’Algérie qu’ils rêvent. Ayant commencé à peindre très tôt, à l’âge de dix ans, il s’orientera rapidement devant les difficultés qu’il peint pour se faire entendre et montrer ses œuvres vers la poésie. Poète par le pinceau et par la plume, il va devenir très tôt parmi les auteurs qui comptent dans le paysage artistique algérien. Tahar Djaout a vu juste en disant de lui que « C’est l’un des poètes les plus exigeants et les plus aventureux de sa génération ». Tibouchi écrit comme il peint. Il façonne, avec la même passion, la glaise et l’écriture. Nourri aux sèves de sa Kabylie natale, son art tend doucement ses tentacules pour être pénétré d’autres influences bienfaisantes. Son ambition est d’unir tout le monde par un métissage culturel. « Le signe et l’écriture (au sens large), qui sont récurrents dans mon travail, je les dois en grande partie à l’artisanat maghrébin et à l’art rituel africain. Mais aussi à ceux des peuplades anciennes (souvent dites primitives), qu’elles soient d’Asie, de Mésopotamie, d’Océanie, des Amériques, de Scandinavie ou d’ailleurs. Toutefois, ces signes et ces écritures apparaissent rarement dans mon travail, tels que je les ai observés », dit-il. S’étant fait connaître d’abord comme poète dans les années soixante-dix par deux importants recueils « Mer ouverte » et « Soleil d’herbe », respectivement parus en 1973, aux Editions caractères et en 1974, aux Editions Chambelland, Tibouchi va, peu à peu, être absorbé par la peinture surtout avec son départ en France, où tous les moyens ont été mis sa disposition, lieux d’exposition, galeries de peinture, musées… L’année 1983 sera, pour lui, le véritable point de départ d’une aventure passionnante qui continue jusqu’à ce jour.
Son empreinte est partout
Il commence à exposer en France et à l’étranger, à faire des choix artistiques loin des canons esthétiques imposés et loin des sentiers battus. Utilisant dans sa peinture des matériaux de récupération, carton, verre, bouts de ficelle, bouts de ferraille, l’artiste veut nous offrir une belle leçon de morale. « De vos déchets, j’en fais des objets d’art », semble-t-il vouloir nous dire. « J’éprouve un plaisir jouissif de créer quelque chose à partir de matériaux triviaux » se confie-t-il. Auteur prolifique, il publiera plus de quinze recueils de poésie, il réalisera des centaines de peintures et de dessins. C’est un artiste pluridisciplinaire. Il concevra même des décors de films. Il a engagé tout récemment, pour la réalisation d’un vitrail destiné à un portail de l’Eglise Saint-Médard, dans les Ardennes. Nombreux livres et revues portent les illustrations de cet artiste diplômé en Arts plastiques de l’Université de Paris VIII. Son œuvre est partout, dans les manuels scolaires algériens, dans des anthologies, dans des périodiques…
En 2000, un catalogue illustré lui a été consacré par L’ADEIAO, ouvrage préfacé par le poète et philosophe écrivain d’art, Michel-Georges Bernard. Il a reçu, au Salon Découvertes 94 Paris, le Prix du Public. « Pas d’argent, pas de voyage de plaisance en première classe dans les îles, mais la satisfaction d’avoir été choisi par un public amateur anonyme et hétérogène. Je dois dire que cela m’avait fait alors plus d’effet que si ce prix m’avait été décerné par un jury de professionnels de l’art. » Comptant plus d’une soixantaine d’expositions personnelles, trois cents expositions de groupes, des textes et des poèmes plein la gibecière, Hamid Tibouchi n’a pas encore vidé tout son carquois, il continue aujourd’hui encore à écumer les galeries d’art, les cafés littéraires, les médiathèques …à semer ses rimes, ses signes et ses fusains…
Boualem Bouahmed