La Dépêche de Kabylie : Pourquoi organiser une marche à Bouira pour des revendications d’ordre national ?
Aliouat Lahlou : Depuis plusieurs mois, nous avons menés plusieurs actions dans différentes wilayas, comme à Tiaret, Skikda, Béjaïa, Sétif, Tizi-Ouzou, El Bayadh, Ain Defla, Msila, Tipaza, Médéa et, aujourd’hui, Bouira, wilaya qui a vu naître ce mouvement. Nous élargissons notre champ d’action à travers le territoire national et nous engagerons, sous peu, des actions nationales, car la lutte continue toujours. Il faut que l’Etat sache que nous revendiquons un statut de dignité. Il y a eu, de longues années durant, une exploitation des gardes communaux, avec une classification identique à celle d’un agent de bureau, alors que nous accomplissions des opérations militaires, telles que les embuscades et les ratissages. Vous ne pouvez pas donner un Kalachnikov ou un Seminov à quelqu’un qui est payé comme agent administratif. Aujourd’hui, nous sommes victimes et du terrorisme et de la législation du travail.
Le ministère de l’Intérieur affirme avoir répondu favorablement à vos revendications, notamment par l’attribution des primes de rendement, qu’en est-il au juste ?
Le dossier relatif aux familles des gardes communaux doit être minutieusement étudié dans le cadre des victimes de terrorisme. Combien de nos mères, sœurs, épouses ont contracté des maladies chroniques, comme le diabète, l’hypertension artérielle, l’asthme… etc. La wilaya de Bouira recense environ 3 000 éléments de la garde communale, et ces derniers sont totalement désemparés face au mépris affiché par le ministère de l’Intérieur en charge de ce dossier, qui a été étudié superficiellement et sans qu’on prenne en considération la spécificité de notre cas. Il faut savoir que nous sommes confrontés au problème d’absence de législation sur le statut des éléments qui ont pris part activement à la lutte antiterroriste. On a voulu dissoudre le corps de la garde communale, comme on dissoudrait une entreprise publique. C’est aberrant de vouloir nous octroyer des primes, sans prendre en compte les réels préjudices subis et nos droits qui ne sont pas uniquement d’ordre matériel et financier. La décision de dissolution de notre corps a été prise à la va vite, on ne peut prétendre à cette dissolution sans prendre en considération les paramètres ayant trait à la sécurité du citoyen ainsi que des familles des GLD, des patriotes et des gardes communaux. Des mesures s’imposent pour assurer la sécurité de tous. On veut nous acheter avec une prime de rendement. Nous, nous voulons que soit réglé en profondeur le problème de notre statut, lequel, il faut le dire, doit être considéré au même titre que celui des victimes du terrorisme.
Comment ce « statut de dignité » pourrait se concrétiser sur le terrain ?
La dignité pour nous, c’est de vivre en paix, sans avoir, chaque jour, à avoir peur pour nous ou nos familles, car nous sommes menacés. Une paix pour laquelle nous avons combattu depuis près de 20 ans. Le premier détachement de la garde communale a été créé en 1994 à Saharidj, pour votre information. Nous avons pris les armes pour assurer la sécurité et la dignité des citoyens et des biens de l’Etat. Nous sommes toujours ouverts au dialogue, mais nous voulons un dialogue sain et non unilatéral, nous ne voulons pas de propositions faites uniquement pour nous faire taire. Les GLD, les patriotes et les gardes communaux sont confrontés, hélas, à une politique où il n’y a aucune volonté de voir le problème se régler. Je dis, et cela n’engage que moi, qu’il n’y a pas de volonté affichée de voir ce conflit, qui s’éternise, prendre fin. Comment expliquer, sinon, la dissolution de ce corps. Un corps constitué n’a pas le droit de s’exprimer, ni de constituer un syndicat, c’est à cause de la mauvaise gestion. Les dépassements multiples, tout au long de notre carrière, ont prouvé qu’aucune autorité ne voulait prendre en charge nos préoccupations. Imaginez-vous que pas moins de 4 600 gardes communaux sont morts pour la patrie durant cette décennie et qu’aucune école primaire n’a été baptisée en leur nom. Les autorités nous refusent le droit de créer une fondation. Nous n’avons même pas le droit de nous réunir dans un centre culturel et encore moins d’ouvrir une permanence. Nous voulons bien tourner la page avec la décennie noire, mais nous ne voulons pas qu’elle soit déchirée. On revendique des réparations morales et matérielles et pour cela, nous irons vers la création d’un front national de la décennie noire, pour la dignité et contre l’oubli. A l’époque, les éléments de la garde communale ont été recrutés dans l’urgence, sans exiger un niveau scolaire, ni autre aptitude professionnelle et sans même avoir, au préalable, fait l’objet d’un contrôle médical. Aussi, lors de la dissolution de notre corps, on ne nous a pas fait passer d’examens médicaux. Les autorités savaient d’ailleurs que durant toute notre carrière, aucune prise en charge sanitaire ne nous a été accordée. Avant notre dissolution, notre corps comptait, à travers la wilaya de Bouira, 98 détachements, sans compter les postes avancés, maintenant entre 18 et 22 détachements sont encore présents. Les populations des zones isolées nous ont fait part de l’insécurité qui sévit dans leurs régions et, d’ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que cette insécurité existe bel et bien avec la réapparition des faux barrages.
Propos recueillis par Hafidh B.