De la colonisation à Tamazight

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L’un des arguments du rejet du berbère, en Algérie et dans le reste du Maghreb, la revendication berbère a été encouragée, voire suscitée par les puissances coloniales, notamment la France. Comme la Rome antique, celle-ci aurait pratiqué la politique du divide ut imperus, diviser pour régner, opposant les « Berbères » aux « Arabes ». Il est vrai que les Français ont développé un « mythe berbère », aussi bien en Algérie qu’au Maroc, mais les efforts de singulariser les berbérophones pour les détacher des arabophones, voire de l’Islam, ont été voués à l’échec. Il suffit de rappeler quelques faits pour en être édifié.Si les Français ont essayé tout au long de la colonisation de montrer sous une forme favorable, pour se les concilier, ils les ont, tout au début de la conquête d’Alger, présentés comme des « barbares » (on revient à l’étymologie du nom des Berbères et des Barbaresques). C’est ainsi que dans un ouvrage, publié en 1848, Tableau historique et politique sur les Kabyles, E. Lapene écrit : sur les Kabyles « lls sont vains, entêtés, ignorants et fanatiques, capricieux et méchants, fourbes et voleurs… « Les premiers auteurs de la colonisation leur préféreront même les arabophones d’Alger (appelés « maures »), selon eux, plus civilisés et surtout plus pacifiques. Il est vrai que les Kabyles, nombreux à l’époque à Alger, ont refusé le diktat colonial et ils allaient, plus tard, opposer une résistance farouche à la conquête de leurs villes et de leurs montagnes.Mais les Français vont découvrir le particularisme linguistique des berbérophones et tenter de l’exploiter à leur profit. « Si le pays des Kabyles nous est fermé, écrit Tocqueville en 1837, l’âme des Kabyles nous est ouverte. » C’est pour pénétrer cette âme que Brosselard publie, en 1844, sur ordre du ministère de la Guerre, le Dictionnaire francais-berbère, réunissant les mots en usage dans la région de Béjaïa. Il devait être suivi d’autres études, linguistiques, littéraires, sociologiques et historiques sur cette « race » qu’on cherchait à se concilier, malgré la farouche résistance des Kabyles à la conquête. Le capitaine Carette, auteur d’un ouvrage sur la Kabylie, écrit : « La Kabylie, demeurée jusqu’à ce jour en dehors de notre contact direct, doit devenir, d’ici à quelques années, l’auxiliaire le plus intelligent de nos entreprises à l’associé le plus utile de nos travaux ».A partir de là, le Berbère n’est plus un barbare et on découvre singulièrement qu’il est plus « proche » de l’Européen que l’Arabe : il est laborieux et industrieux (alors que l’Arabe est paresseux), il est indifférent en matière de religion (alors que l’Arabe est fanatique), sondroit coutumier s’inspire du droit romain, il pratique la démocratie etc. Des théories pseudo-scientifiques vont étre développés sur l’origine (européenne) des Berbères et de leur langue. Les mêmes déclarations seront faites au Maroc, après l’établissement du protectorat sur le pays, en 1911.

Mythe berbère et réalité

Des initiatives vont être prises en Kabylie, notamment dans le domaine juridique où on a essayé de donner de l’importance aux djamaâ, les assemblées de village, on a construit aussi des écoles et on a créé des sections kabyles dans les délégations financières. Mais on oublie souvent de dire que la France n’a pas cessé, tout au long du l9ème siècle, de réprimer sévèrement les velléités d’indépendance des Kabyles, de détruire les structures de leur organisation sociale et économique et de spolier leurs terres. A titre d’exemple, plus de 20 000 personnes ont trouvé la mort au cours de l’insurrection de 1871, des centaines d’autres ont été déportées à Cayenne et en Nouvelle Calédonie, des milliers de jeunes ont été enrôlés de force pour la campagne de Madagascar… Quant au séquestre, il a fait passer plus de 2,5 millions d’ha des mains des autochtones à celles des colons. Pour ce qui est de la langue berbére, elle n’a jamais été, pour les Français qu’un objet d’étude, on n’a jamais envisagé son enseignement ni sa promotion. On ne peut pas dire, au vu de ces faits, que la France coloniale a favorisé les berbérophones ni aidé leur langue à émerger.Au Maroc aussi, des actions ont été également entreprises, pour favoriser les Berbères mais ici aussi on oublie que les Berbères ont mené une lutte achamée contre les conquérants. Qu’il suffit de citer la guerre de Assu ou Ba-Slam, dans les montagnes du Saghro ou celle de Abdelkrim au Rif. Mais les mythes ne retiennent que ce qu’ils veulent retenir et c’est l’image du Berbère « supérieur » à l’arabe a été ici aussi répandue. Au Maroc, les Français ont voulu aller plus loin qu’en Algérie, en tentant d »’arracher », selon l’expression utilisée, le Berbére à l’emprise de la religion musulmane et de la langue arabe. Une importance est accordée aux tribunaux coutumiers et, pour leur donner un fondement légal, les autorités françaises, promulguent, en 1930, le fameux Dahir berbére, décret préconisant l’application aux Berbêres des lois coutumiéres, en place et lieu des lois musulmanes, réservées aux « Arabes ». On voulait donner une base ethnique à la distinction Arabes-berbères, mais en réalité, au Maroc comme en Algérie, les Arabes ne sont que des Berbères arabisés ! Le mouvement nationaliste marocain va rejeter le Dahir et, avec lui, la langue berbére. Les nationalistes marocains ne vont cesser, jusqu’à l’indépendance, en 1956, à entretenir l’amalgame entre berbérisme, anti-islamisme et anti-arabisme. Le mot « berbère » est alors perçu comme une atteinte à l’unité nationale et les stigmates qu’il génère sont tels que même les nationalistes ne demanderont pas la reconnaissance de la langue berbére.En Algérie aussi, la revendication nationaliste va s’attacher, à partir des années 1930 à démonter le mythe berbère de l’idéologie coloniale et à charger de stigmates les mots berbère et langue berbère. Une crise éclate même en 1949 entre les partisans de la prise en compte de la dimension berbère de l’Algérie et ses adversaires : c’est la fameuse crise berbériste. Les chefs nationalistes vont dénoncer le mouvement de reconnaissance berbère comme un complot colonialiste, destiné à diviser les Algériens et à retarder l’émancipation du pays. A l’indépendance, le mot berbère sera prohibé des textes et de la presse officielle, et l’enseignement du berbère, d’abord supporté à l’université, va disparaître. Le printemps berbère de 1980, qui porte la revendication linguistique et culturelle berbère dans la rue, va aussi lever les amalgames : la langue berbère n’est pas une « création » du colonialisme, la revendiquer est un acte légitime…

De berbère à Amazigh

Ceux qui, en 1980, ont revendiqué la langue berbère ont employé le mot « berbère » mais à cause des stigmates qui lui ont été associés, beaucoup lui ont préféré, même quand ils s’expriment dans une langue autre que le berbère, la dénomination autochtone, amazigh. Préfaçant le livre de A. Ouerdane, La question berbère, Kateb Yacine écrit : »Tous ces termes (kabyle, berbère, chaouïa) sont étrangers, ils proviennent des puissances ennemies qui nous ont envahis,ce sont des termes péjoratifs, dirigés contre nous, et leur emploi par nous est la preuve accablante que nous n’avons pas encore entiérement relevé le défi (…) Il suffit simplement d’appeler les choses par leur nom: le pays, c’est Tamazgha, et l’homme libre de ce pays, c’est Amazigh. Ses habitants, c’est le pluriel d’Amazigh, Imazighen. La langue, c’est Tamazight… »Singulièrement, la consécration du mot viendra des autorités : grâce à un emploi constant dans les textes officiels algériens et marocains, il a acquis un caractère quasi-officiel et même offficiel en Algérie puisqu’il figure désormais dans la Constitution où, depuis 2002, la langue berbère est reconnue comme une langue officielle. Si berbère, pendant plusieurs siècles, a été porteur de stigmates, amazigh, lui, réhabilite les Berbères et leur langue.Le mot amazigh, en effet, signifierait « homme libre », et même si cette étymologie ne fait pas l’unanimité, il a le mérite de rompre avec la tradition du Berbère sauvage, ou alors du Berbère, instrument du colonialisme européen.

M.A Haddadou

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