Parmi les réformes promises en avril 2011 par le président de la République, celle de l’ouverture de l’audiovisuel sur le privé paraît des plus attendues et des plus exaltantes, même si les conditions culturelles et professionnelles dans lesquelles sont appelées à travailler les futures boites ne sont pas toutes réunies. Le beau et concluant « saut dans l’inconnu » réalisé avec la presse écrite en 1990 pourra-t-il être réédité avec la télévision et la radio? Même s’il s’agit du même créneau, celui de la communication en général, de grandes différences caractérisent ces deux supports. D’ailleurs, n’est-il pas révélateur que le pouvoir politique se soit plus ou moins « accommodé » de cet « encombrant » compagnon qu’est la presse écrite-contre-pouvoir, aux yeux de ses praticiens et de la société politique-,alors qu’il trouve mille difficultés et autant de subterfuges à céder sur l’audiovisuel? Ceci, à tel point que ce volet, en figurant dans l’agenda des réformes annoncées dans le climat du début du Printemps arabe, a fini par prendre la dimension et l’aspect d’une révolution, si, toutefois elle arrive à voir le jour. Une révolution médiatique qui aura retenu l’attention de l’opinion publique et de la presse plus que les autres réformes annoncées concomitamment – loi sur les partis politiques, loi électorale, nouvelle loi sur les associations et le projet d’une nouvelle Constitution-qui, pourtant, sont des outils et des instruments déterminants dans la construction démocratique du pays. L’enjeu de l’audiovisuel, dans une société où l’analphabétisme a pris ses quartiers dans une grande frange de la société- y compris une partie de ceux qui ont reçu une instruction scolaire jusqu’au lycée- est autrement plus décisif et plus stratégique que celui induit par la libération de la presse écrite. Le pouvoir politique a longtemps compté sur cette différence; et il a maintenu le monopôle de l’État sur l’audiovisuel. La parole et l’image ont un pouvoir magique que le pouvoir politique hésite longtemps avant de les rendre accessibles à tous les citoyens. Les retards dans le secteur de la communication audiovisuelle- sous tous ses aspects: production culturelle, émissions sociales et politiques, sports, information générales et de proximité…-, et la soif des Algériens dans ce domaine, ont fini par être faussement comblés par les télévisons étrangères que la grâce du satellite a introduites dans tous les foyers du pays depuis plus de vingt ans. Le ciel parabolique a complètement happé le téléspectateur algérien. Aux assiettes collectives du milieu des années 1980, se sont vite substituées des assiettes individuelles; parfois, plusieurs unités par foyers. C’était, et c’est toujours valable aujourd’hui, pour fuir la chaîne publique algérienne, déclinée en cinq variantes d’un seul canal qui dit tout, sauf l’algérianité et la proximité. Sur tous les plans, se sont accumulées frustrations et désillusions face à ce qui est présenté au public. Mais, le sommet de la bêtise et de la stupidité est généralement atteint dans le créneau de l’information. Lorsque des événements qui se produisent à vingt mille kilomètre d’Alger sont répercutés le jour même- par la grâce d’un « copier-coller » rendu possible par les agences et TV étrangères- et que des événements nationaux de première importance sont sciemment occultés, minimisés, ou parfois retardés de quelques jours, cela ne produit aucune espèce d’attachement à ce média public, supposé assurer le service public, et payé par le contribuable. La mort du chanteur targui Othmane Bali, emporté par les eaux furieuses de l’Oued Djanet, était annoncée avec 48 heures de retard. La mort de l’écrivain Mouloud Mammeri en 1989 était renvoyée- en une seule phrase- aux »divers » du journal télévisé après une heure d’ « informations » politiques débités sur le mode de la langue de bois. Les salles de cinéma se réduisaient en peau de chagrin jusqu’à n’en garder que 10 sur les 400 héritées de l’administration coloniale. Les Algériens, en dehors de quelques privilégies qui ont connu la cinémathèque ou le Mouggar dans la capitale, n’ont eu aucune chance de suivre l’évolution de l’art cinématographique dans le monde. Ahmed Bejaoui leur a ouvert une fenêtre dans ce sens pendant les années 70 et 80 du siècle dernier, à travers son émission télé- cinéclub de chaque, diffusée chaque mardi sur l’ancienne RTA. La belle et exaltante expérience a tourné court, comme a cessé de parution la revue de même facture Les Deux Écrans, dirigé par A.Bejaoui, Abdou Benziane et Mouny Berrah.
Quel nouveau paysage audiovisuel?
Après tant de déconvenues, et face au flamboiement du ciel parabolique par de centaines chaînes de télévision, l’Algérien s’est vu contraint de faire mille acrobaties pour capter les images et les voix qui peuplent les satellites. Assiettes collectives, assiettes individuelles, démos analogiques, démos numériques, flashage,… sont, entre autres astuces, dont ont eu à user les citoyens d’un pays déclaré désert culturel, pour espérer se donner cette sensation ou impression qu’ils font partie de ce monde et qu’ils veulent sentir battre le cœur des hommes là où ils élisent domicile. L’entreprise, on le sait, n’est pas dénuée de tout inconvénient. En fuyant le »canal zéro », comme aiment à ravaler beaucoup de citoyens la chaîne nationale, ou « Al yatima », comme se plaît à l’appeler une partie de la presse, l’on n’a pas nécessairement touts les repères et les bases culturelles qui nous évitent l’aliénation dans les médias étrangers. Les choses se sont encore plus corsées avec la multiplication des satellites et la prolifération de chaînes arabes où la médiocrité l’intégrisme, la danse du ventre et la désinformation font allègrement bon ménage. Comment se présentera le paysage audiovisuel algérien avec le projet de libéralisation soumis à l’actuelle session de l’APN? L’on sait que quelques chaînes ont eu, par anticipation, pignon sur rue. On dit d’elles qu’elles sont des chaînes »off shore », diffusant à partir de l’étranger, mais que, étrangement, elles reçoivent des officiels (ministres, directeurs, P/APC,…) qui s’y expriment avec un plaisir non dissimulé. L’ouverture légale de chaînes de télévision et de radio privées sera, en tout cas, soumise non seulement à un agrément, mais également à un cahier de charges qui définira les règles administratives et déontologiques qui devront régir leur fonctionnement. Offusqués par la liberté de parole- y compris d’expression verbale, mêlant arabe populaire et français- adoptée par certaines chaînes tunisiennes et marocaines, des »intégristes » algériens de la langue arabe commencent à piaffer d’impatience de n’entendre que la langue arabe sur les nouveaux écrans privés. Ils le font savoir sur certains journaux. Il appartient au gouvernement, en se lançant dans un projet aussi sensible et aussi précieux pour la construction démocratique, de faire valoir lucidité et détermination de façon à ce que le nouvel outil informatif et culturel soit au service des Algériens et ne devienne pas la parodie ou la pâle copie d’une chaîne dépassée par les événements.
Amar Naït Messaoud.
