Tizi-Ouzou face au "désert" industriel

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Le transfert de l’usine de production d’insuline vers Constantine, après qu’elle eut été programmée à Draâ Ben Khedda, est un exemple éloquent d’une volonté délibérée de maintenir la région dans un « désert industriel ».

En ces temps de chômage chronique, qui affecte une frange importante de la jeunesse en Kabylie, et de désarroi social s’exprimant sous diverses formes (banditisme, échec scolaire, suicide, commerce de la drogue,…), les yeux des ménages, des élus locaux et de l’administration se tournent vers les projets d’investissement productifs susceptibles de générer des postes d’emploi  et de la fiscalité pour la région. Il se trouve que, de ce côté le constat est loin d’être flatteur. Pire, les horizons suscitent de légitimes inquiétudes. Si, généralement, les administrations de la wilaya avancent dans leurs bilans des chiffres  »optimistes », particulièrement lorsqu’ils comptabilisent les dispositifs de pré-emploi et de rares postes budgétaires dans la fonction publique, les élus, quant à eux, sont loin d’être satisfaits de ces bilans qui ne disent que ce qu’on veut bien leur faire dire. Ce qu’a révélé le président de l’assemblée populaire de la wilaya de Tizi Ouzou, Hocine Haroun, le 17 mars dernier, à savoir la perte d’investisseurs au profit des autres wilayas, est un phénomène qui tend à devenir une réalité inscrite dans la durée. Autrement dit, une sorte de  »fatalité » qui obère les chances de relance économique dans la wilaya. On parle de 70 délocalisations au cours des dix dernières années. Un chiffre qui est, selon le premier élu de la wilaya, « révélateur d’un processus de désinvestissement et d’appauvrissement effarant, confirmé d’ailleurs par le montant des recettes budgétaires, en l’occurrence la taxe sur l’activité professionnelle et par le taux de chômage galopant » (voir notre édition du 18 mars 2013). Le taux d’entreprises par 1000 habitants au niveau de la wilaya de Tizi Ouzou est de 6,5, alors que la moyenne nationale est 12,5, soit le double. Cela se passe dans une région où les potentialités agricoles, en dehors du mini-couloir du Sébaou et des menus vergers de montagne, ne peuvent pas équivaloir les wilayas de plaine. Il se trouve que même l’exploitation de la ressource halieutique bat de l’aile, en l’absence de véritables ports de pèche et de soutien aux hommes de métier. Les anciennes unités industrielles, héritées de l’économie administrée, sont peu nombreuses et souvent qualifiés de « canards boiteux » au vu de leurs faibles capacités techniques et managériales. Les programmes sectoriels de développement, censés installer les infrastructures pour accompagner l’investissement productif et satisfaire les besoins de la population en matière de services,  marchent au ralenti. En effet, il a été relevé au cours de la dernière session de l’APW, que moins de 30 % de crédits de payement ont été consommés sur l’exercice 2012. Plusieurs raisons à cela. Des raisons qui sont communes à plusieurs wilayas du pays, comme la bureaucratie dans les procédures de passation de marché la non-maturation de certaines études, les différentes réévaluations des projets,…le président de l’APW appellera à ce propos à  »débureaucratiser l’investissement pour forcer l’allure du développement ». Il y a, aussi, des  »justifications » bien spécifiques à la wilaya de Tizi Ouzou que l’on présente comme facteurs de blocage non seulement à la mise en œuvre des programmes d’équipements publics, mais également des investissements privés. Le déficit du foncier et l’insécurité sont situés au sommet de ces justifications. Et si la première insécurité est celle générée par le chômage effarant des jeunes et l’état d’oisiveté et de désespoir dans lequel ils évoluent, le ministère de l’Intérieur ne semble voir la solution au problème du banditisme que dans le renforcement des structures chargées de la sécurité. Et ça sous entend que, quelque part, il y a maldonne. La jeunesse, poussée dans ses derniers retranchements par une situation sociale intenable, aussi bien sur le plan matériel que psychologique, se sent marginalisée de facto. L’intégration sociale et la revalorisation de la personnalité ne peuvent pas se réaliser en dehors du travail et de ses valeurs pérennes. La réputation qui a faisait des villages de la Kabylie des petits rentiers (émigration, pensions de moudjahidine) est chaque jour oblitérée davantage. Aujourd’hui, le nombre de vieux pensionnés se réduit en peau de chagrin; les jeunes émigrés nouvellement installée en Europe, légaux ou sans papiers, dépensent leur euro sur place, sur les lieux mêmes où il est gagné. La valeur de cette monnaie n’a pas la proportion mythique qu’elle acquiert sous nos latitudes, par l’intermédiaire du taux de change en Algérie. Indubitablement, la lutte contre le chômage, la revalorisation des revenus et l’augmentation du pouvoir d’achat ne pourront devenir des réalités que par le retour à l’investissement. Il s’agit d’abord d’arrêter la saignée des délocalisations d’entreprises vers des cieux jugés plus « cléments ». La première « inclémence » qu’il y a lieu de débusquer et de traquer est le jeu politicien qui consiste à condamner la Kabylie au sous-développement. Le transfert de l’usine de production d’insuline vers Constantine, après qu’elle eut été programmée à Draâ Ben Khedda, est un exemple éloquent d’une volonté délibérée de maintenir la région dans un « désert industriel ». Le reste des réflexes de vigilance qu’il y a lieu de développer est de faire adhérer les populations aux projets d’investissement de façon à ce que la leitmotiv des oppositions à tout va cesse. L’État aussi a un grand rôle à jouer pour relancer la machine économique, et ce, à travers le levier des incitations fiscales. Comme région industriellement « sinistrée », la wilaya de Tizi Ouzou est en droit de bénéficier des avantages de zone, consistant en des abattements fiscaux pour les entreprises de production créatrices d’emplois. Ce sont tous ces efforts cumulés et mis en synergie- entre autorités locales, élus, État, partis politiques et société civile- destinés à redonner force et attractivité au climat local des affaires, qui pourront faire bouger les choses dans le sens du changement positif. La prise en charge d’un tel thème par l’APW, au cours de la première session de sa nouvelle mandature, est déjà un signe de bonne santé politique, même si des tiraillements continuent à grever la marche de l’assemblée. 

     

 Amar Naït Messaoud 

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