Par Amar Naït Messaoud
Quels que soient les itinéraires suivis, les slogans choisis et les obédiences politiques sous l’égide desquelles ont eu lieu les marches commémorant l’anniversaire des deux avrils- Printemps de 1980 et Printemps noir de 2001- dans les différentes contrées kabyles, le fait est que la Kabylie demeure attachée non seulement au souvenir des luttes pour la reconnaissance de son identité et de sa langue, mais, poursuit une revendication populaire qui n’a rien d’élitiste, et continue à croire fermement à une libération politique et citoyenne par le moyen de la revendication culturelle. Il faut dire que, à l’échelle du monde, ce genre de préoccupations, souvent classées dans la rubrique de ‘’luxe’’- a fortiori lorsque les grandes problématiques sociales et économiques prennent en étau les populations concernées- sont souvent le porte-étendard d’une classe ‘’embourgeoisée’’; en tout cas, située au-dessus des besoins primaires de la vie. La particularité de la revendication amazighe, dès son éclosion dans la rue- pourtant survenue d’abord dans l’enceinte universitaire-, est qu’elle se situe au-dessus d’un élitisme de mauvais aloi, prise à bras-le-corps par toute la population, toutes classes confondues. Le professeur Salem Chaker a eu à mettre en relief ce phénomène, rare dans les annales du 20e siècle. Il conteste une éventuelle relation de cause à effet entre, d’une part, l’existence d’une élite économique et sociale en Kabylie et, d’autre part, la revendication identitaire et linguistique qui remonte au moins à l’après deuxième Guerre mondiale. S. Chaker écrit dans son livre Imazighèn Assa : «Ce n’est (…) pas l’existence d’éventuelles élites intellectuelles ou économiques qui déterminent la personnalité idéologique et politique de la Kabylie, c’est fondamentalement la dimension culturelle et son histoire récente qui lui donne son visage particulier«. Dans ce contexte, il cite la thèse du chercheur H. Roberts, qui avance que «le facteur décisif dans la formation de la conscience nationale kabyle est l’appartenance à une communauté fortement spécifiée. L’essence de cette conscience est bien de nature culturelle, et les données sociologiques et économiques n’en sont que des accidents qui l’ont peut-être favorisée ou renforcée, mais qui ne la créent ni le l’expliquent». Donc, quelles que soient les élucubrations qui essayent de positionner la revendication culturelle amazighe sur le terrain d’un élitisme de classe, dans le but bien évident de discréditer les luttes sur le terrain, les marches, les autres formes de commémoration, la transmission du message au fil des générations (dans ses formes conscientes et inconscientes), le caractère multiforme et diversifié de la prise en charge de la revendication, la situant au-dessus des classes sociales et des catégories professionnelles, font de la revendication berbère un projet civilisationnel, comme en parle Mouloud Mammeri, qui pend racine dans l’histoire tumultueuse de notre pays et dans l’infortune du destin qui a grevé notre culture pendant plusieurs siècles. En raison même de ce déterminisme historique et de la nécessité pour notre culture et notre langue, de ressurgir dans le grand fleuve de l’aventure humaine, ce qui apparaît aujourd’hui comme divergences entre plusieurs acteurs (partis politiques, acteurs associatifs, collectifs culturels,…), ne peut être considéré que comme une étape dans la grande et exaltante épopée de la reconquête de notre identité. Dans un mouvement de convergence qui finira un jour par faire valoir la force du fil conducteur de l’amazighité les organisations qui ont pris en charge les marches et les manifestations de la journée d’hier ont montré à la fois, le but suprême de leur entreprise, à savoir la réhabilitation entière de la culture et de la langue amazighes, et l’éventail des choix politiques sur lesquels un tel objectif peut s’appuyer. C’est aussi cela la démocratie. Et il a été dit déjà en pleine effervescence d’avril 80, que le recouvrement de l’identité amazighe est aussi une problématique qui relève du combat démocratique. Il reste que, par-delà les marches et les différentes formes de commémoration, le grand combat, comme y a fait allusion le militant Saïd Khelil dans notre édition d’hier, demeure celui de la production culturelle (littérature, cinéma, presse écrite, accès à l’audiovisuel,…) et du renforcement de l’enseignement; deux volets qui, arrivés à maturité seront à même d’orienter certains aspects techniques- à l’image du caractère de transcription- et de bien aiguiller le débat qui s’amorcent déjà sur l’officialisation de la langue.
A. N. M.