Que reste-t-il de l’œuvre de Tahar Djaout ?

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«Que reste-t-il de son œuvre, 20 ans après ?», ce fut l’intitulé du colloque international, dédié à Tahar Djaout, organisé hier et aujourd’hui, au niveau de l’auditorium de l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, à l’initiative du département de français de la faculté des lettres et des langues. L’objectif de ce colloque étant de revisiter l’œuvre de Djaout, un homme au destin tragique, dont l’assassinat en mai 1993 inaugura la traque des intellectuels algériens lors de ce qu’il est convenu d’appeler «les années noires», et dont le nom figurait sur une listes noire, à côté d’autres figures dont les seules armes étaient les idées et les mots, et dont le seul crime était d’ambitionner d’un futur lumineux pour leurs concitoyens.  La première communication, intitulée «circulations structurelles entre formes brèves et formes romanesques dans l’œuvre de Tahar Djaout», fut présentée par Yamilé Ghebalou, enseignante de littérature maghrébine et contemporaine au département de français de l’université d’Alger. Selon la conférencière, l’usage de la poésie est très présent dans les textes de Djaout, ce qui donne à son œuvre un rythme particulier qui implique la condensation, une présence de l’implicite, «le sous entendu», de même que des langues maternelles y sont présentes. Elle nous déclarera, à l’occasion, qu’il y a encore beaucoup de recherches à faire sur l’œuvre Djaoutienne et que cette dernière est «celle d’un visionnaire au sens poétique du terme». Selon elle, son écriture se présente sous une forme poétique ou romanesque, qu’elle soit «lisible» ou portée par la force de la métamorphose de la création poétique, qu’elle semble être « transparente et accessible dans la narration, déliée et calmement ironique, qui la porte, ou au contraire, débridée, insaisissable dans la force des images énigmatiques, violentes et belles qui la scandent».  «Comme celles d’autres écrivains maghrébins, je pense à Kateb,  Dib, Chaibi ou même à Khatibi, il s’agit d’une écriture plurielle qui exploite toutes les possibilités et tente toute les aventures du dire pour mieux exploiter les cheminements qui mènent de langue en langue vers le dépassement de soi et de la loi pour découvrir les territoires qui sont intimement liés à l’ouverture polyphonique, pluriculturelle, créative de la densité diversifiée du chaos-monde.» ajoutera-t-elle. La deuxième conférence, présentée par le professeur Mohamed Allalou, professeur en science du langage à l’université d’Alger, portait sur le choix du titre par l’éditeur du dernier roman de Djaout, paru à Titre posthume, «Le Dernier été de la Raison». Selon le communicant, le titre d’un livre quel qu’il soit, est toujours discutable, d’autant que plusieurs facteurs déterminent ce choix. Selon le professeur Allalou, dans le choix d’un intitulé il s’agit de trouver une sorte d’équilibre entre les différentes exigences. Dans le cas du dernier roman de Djaout, il estimera que «Le Dernier été de la Raison» ne lui parait pas être le titre qui indique le contenu global du texte. Il enchaînera déclarant que «le titre qui conviendrait le mieux à cette œuvre serait plutôt «Les Frères vigilants».  «Nous pourrions même lui attribuer le titre Les Vigiles, sans trahir le contenu du livre, d’autant que ce titre peut-être à la tête d’une multitude de récits, voire même une infinité. De ce point de vue, les deux derniers romans de Djaout constituent, en quelque sorte, deux actualisations particulières du roman du même titre, Les Vigiles». Ces titres Les frères Vigilants et Les vigiles , nous semblent être ceux qui condensent le mieux ce qui a été développé dans le livre. En d’autres termes, le texte constitue une sorte d’expansion du titre». Le conférencier s’appuiera pour soutenir sa thèse sur ce que feu Tahar Djaout écrivait à ce sujet: «Pour moi, un texte (…) naît toujours à partir d’un mot, d’un titre, d’une phrase, d’une sensation. Parfois, je trouve le titre ou la première phrase (…) et toute la nouvelle en découle». Allalou ajoutera qu’«une étude comparative à différents niveaux nous indique que le titre qui conviendrai le mieux serait Les frères Vigiles qui renvoie aux frères musulmans et au système de valeurs qu’est la religion».  Il ajoutera que dans ses deux derniers romans, les thèmes abordés par Djaout sont la place de la religion, des femmes, de l’école, des projets et des conflits de notre société… On retrouve les mêmes structures narratives, tissées autour de la même trame. Selon le professeur,  «il y a inévitablement l’action de surveiller et de veiller pour identifier les éléments perturbateurs dans le titre Les Vigiles».  Enfin, et  pour défendre sa théorie, l’intervenant s’appuie sur un passage à la page 13 du roman  Le Dernier été de la Raison : «Collectionner le maximum de scalps de mécréants et de contrevenants aux lois de Dieu», qui renvoie à la vigilance, du point de vue religieux, d’où le titre suggéré Les Frères Vigilants.

Karima. Talis

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