Les chaînons manquants de la décentralisation

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Par Amar Naït Messaoud

Depuis quelques semaines, des mairies sont cadenassées, pour quelques heures ou pour quelques jours, par la furie populaire à travers le pays, et particulièrement en Kabylie. Rien que dans la wilaya de Tizi Ouzou, plusieurs municipalités ont été paralysées au cours des deux dernières semaines: Ath Zikki, Boudjima, Makouda, Timizrart, Illoula, Beni Douala. De même, des agences de l’ADE et de Sonelgaz ne cessent de subir la colère de citoyens qui s’élèvent contre la médiocrité des services publics que ces structures assurent aux ménages, particulièrement des zones rurales et des régions de montagne. Mercredi passé des émeutes ont éclaté dans la commune de Bousellam, dans la daïra de Bouandas (Kabylie de Setif) lorsque des gendarmes sont intervenus pour mettre fin à la paralysie du siège communal. C’est que ce dernier a été scellé par des habitants de la commune en… soudant carrément le portail d’entrée. La gendarmerie a dû passer la nuit du mardi au mercredi à l’intérieur même du siège de la commune, pour intervenir le lendemain, dans une indescriptible confusion, afin de rouvrir les portes de la mairie. Les habitants, qui ont reçu des promesses que les problèmes soulevés en août dernier (approvisionnement en eau potable et réfection des routes dégradées) allaient être résolus dans 20 jours, sont visiblement arrivés au bout de leur patience, comme c’est le cas un peu partout dans certaines communes  enclavées où les populations peinent à trouver un interlocuteur valable, investi de toutes les prérogatives, pour solutionner les problèmes liés à la prestation des services publics (eau, électricité gaz, routes, pistes rurales,…) et au cadre de vie en général (ramassage des ordures, lutte contre les décharges sauvages, hygiène publique,…). Le phénomène de fermeture des institutions publiques, et particulièrement des sièges de mairies, par des citoyens protestataires est devenu si banal et si répétitif que des journalistes cèdent au réflexe d’écrire que  »les populations ont procédé (sic) à la fermeture de la mairie », comme s’il s’agissait d’un acte régulier, solennel, inscrit dans l’agenda des activités de l’APC. Tout en s’écartant de la réalité de l’acte, le verbe  »procéder » enlève même une partie des nuisances que charrie un tel phénomène.   Et dire que les nouveaux maires, élus en novembre 2012, n’ont pas encore bouclé une année d’exercice. Il arrive parfois même que ce sont les déchirements internes de l’Assemblée populaire communale, dus à des différents strictement partisans ou à des intérêts étroits, qui déteignent sur la relation commune-citoyens. Les élus arrivent alors à  »contaminer » une partie de la population et à la dresser contre ce qu’ils appellent la  »gestion personnel du maire et de ses affidés ». Le pluralisme politique, greffé dans certains cas sur un fonds de culture tribale, a été à l’origine de moult tiraillements et blocages au sein des exécutifs communaux. Mais, une grande partie du malaise de la gestion communale face aux besoins toujours grandissants des citoyens-électeurs demeure liée au mode de gestion du pays en général et au déficit de bonne gouvernance. Si ce dernier concept présente un caractère de nouveauté et reste toujours largement usité dans les cercles universitaires et académiques, son contenu n’est pas très loin des aspirations des citoyens à vivre, dans une bourgade ou dans une ville, selon les règles d’un cadre de vie sain, en bénéficiant de fournitures de services publics à la hauteur des potentialités du pays et en participant à la vie sociale et culturelle dans un esprit de promotion citoyenne. À cela s’ajoutent naturellement les facteurs vitaux de la vie en société à savoir la sécurité la justice sociale et l’équité dans la participation politique. C’est souvent dans une confusion quasi générale que sont soulevés les problèmes de la vie quotidienne et que se passe la confrontation avec des responsables locaux qui, eux aussi, ont des « arguments » à faire valoir pour justifier la défaillances des services publics qu’ils sont censés assurer correctement.

Un schéma d’organisation qui a atteint ses limites

Dans cette espèce de dialogue de sourd, il se peut que, d’une moins partiellement, les deux parties, soient victimes d’un système, celui de la  »mal-gouvernance », bâti essentiellement sur la centralisation politique, administrative et économique. Chaque maillon de la chaîne se plait à renvoyer la balle aux autre maillons, jusqu’à rencontrer ses  »lettres ouvertes » au président de la République, payées à coups de millions dans les pages publicitaires de la presse écrite, et par lesquelles des citoyens désemparés espèrent régler leurs problèmes avec le maire, le chef de daïra, le wali, le procureur, le directeur des Domaines,…etc. Cette ingénuité même, par laquelle les auteurs de ces lettres pensent que le président de la République ou le Premier ministre allaient se pencher illico presto sur leur cas, est un bel exemple de l’esprit centralisateur. Bien sûr que le simple citoyen en est la victime, même s’il finit d’intérioriser un tel schéma d’organisation. Le nouveau code communal, adopté en 2012, n’a rien apporté de nouveau en matière de décentralisation. Les grandes décisions, et malheureusement aussi, certaines  »petites » décisions, sont toujours concentrés entre les mains des segments supérieurs de la hiérarchie. Il arrive même que ces derniers soient désarmés devant la nécessité d’imaginer des initiatives nouvelles et se rabattent sur le dernier maillon de la chaîne, le président de l’APC. C’est le propre même du système bureaucratique de se mordre la queue, évoluant, et faisant évoluer avec lui la société dans un cercle vicieux.  Un cercle vicieux que ne rompent- brutalement et sans garantie de résolution de problèmes- les fermetures forcées de mairies et de daïras ainsi que les éventuelles émeutes qui les accompagnent. Toutes les initiatives locales (associations, notables, et même la  »charte intercommunale » des communes de la Kabylie maritime,…), initiées çà et là en vue de suppléer aux défaillances d’un État hégémonique et inefficace et d’une administration rongée par son excès de centralisation et de suffisance, ont buté contre un terrible mur d’incompréhension. Le schéma d’organisation du pays- économie, politique, institutions administratives- est en train de montrer chaque jour ses limites, comme il est en train de crier son impuissance à assumer les nouvelles aspirations de la société au bien-être et à la prospérité.                                                            

A. N. M.

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