Des faux-semblants, faisons table rase !

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Le rôle de la société civile (associations, organisations non gouvernementales, organisations communautaires) peine à imposer sa marque en Algérie, face à une administration et à une bureaucratie imbues de leur position dominante et outrageusement centralisatrice.

 Par Amar Naït Messaoud

En lieu et place d’organisations autonomes, représentatives des franges de la population dont elles entendent défendre les intérêts, l’on a affaire à des reliques de l’ancien parti unique qui coltinent un vieux passé fait de désir de domination, de participation au partage de la rente et d’  »embrigadement » de la population. C’est comme si la jeunesse algérienne n’est pas majoritaire, et d’une manière écrasante, dans ce pays; comme si octobre 88 n’est pas passé par là (inaugurant un Printemps algérien précoce); comme si, non plus, le Mur de Berlin n’est pas tombé un certain 9 novembre 1989. L’on fait également table rase, sauf chez certaines personnalités républicaines et quelques organisations indépendantes, des grands sacrifices des Algériens durant la décennie 1990. On n’évoque cette période que pour repousser le spectre d’un « Printemps arabe », dont pourtant on a découvert les limites et le destin perverti. L’ironie du sort a fait que même la Ligue des Droits de l’homme, celle qui porte encore le doux parfum des luttes clandestines de 1985, subit de graves déchirements, dont certains motifs relèvent de…l’intendance et de la trésorerie! 

Les événements se suivent, se bousculent et donnent l’impression de produire l’encre de seiche que déverse la  »poche du noir » des seiches pour faire diversion. Face à la dure et incertaine transition économique, au laborieux et confus processus de démocratisation politique, et, enfin, devant la perte des valeurs éthiques et culturelles, une indicible angoisse tient en tenailles la jeunesse algérienne, la poussant sur les rivages du désespoir et de la violence. Une violence que l’on rencontre chaque jour dans la rue, dans les quartiers, et même dans les villages de montagne. À raison de près de 5000 morts par an, le « terrorisme » routier a décidément inscrit son action dans la durée. Le banditisme, le cambriolage, le vol de voitures, la drogue, le suicide  »classique » et par immolation ignée, les agressions contre les femmes et les personnes âgées, l’aventure de l’émigration clandestine au gré des eaux océanes, sont le signe d’une étrange déréliction humaine que n’ont pu prévenir ni guérir les organisations dites de la société civile ni, à plus forte raison, les pouvoirs publics. 

L’Algérie entretient des chômeurs de « luxe » par la  »grâce » d’un enseignement général et universitaire ravalé au rang d’un ânonnement réglé comme du papier à musique. Les dispositifs de pré-emploi ont accumulé au fil des années, une  »armée de réserve » de 600 000 jeunes qui s’apprêtent à marcher sur la capitale à la fin du mois de septembre. 

L’on voudrait bien suivre Farouk Ksentini, le monsieur Droits de l’homme du gouvernement, dans son raisonnement habituel qu’il tient sur les principes de tolérance, de liberté individuelle et collective, de liberté syndicale, des droits de la femme, mais aussi des droits sociaux sur lesquels l’avocat a met particulièrement l’accent dans les rapport qu’il transmet annuellement au président de la République. On se rappelle même l’inanité de l’action de ses prédécesseurs, en l’occurrence Kamal Rezzag Bara et Ali Haroun, ayant occupé un poste qui nous projette, presque par enchantement, dans une luxueuse modernité politique. 

Inquiétant statisme

L’Algérie s’est offert au cours des deux dernières décennies, et de façon simultanée, une administration officielle des Droits de l’homme, et des organisations de même nature censées représenter la crème de la société civile (une ligue présidée par Mre Boudjema Guechir, et une autre, dirigée par Mre Norredine Benissaâd,  actuellement contesté dans son poste de président).  Dans un pays qui avance dans un flou artistique sur tous les plans, l’hypertrophie des organisations de ce genre tiendrait plutôt d’une certaine « ceinture de chasteté » qui peine à faire ses preuves sur le terrain des luttes quotidiennes, qu’elles soient politiques, syndicales, sociales ou culturelles.  Dans ce contexte peu amène, inscrit dans un déterminisme qui n’a rien de contingent, l’on eût aimé que la défense des droits politiques, culturels et économiques des citoyens fussent publiquement assumés par l’ensemble des acteurs d’une élite supposée postée aux avant-gardes des luttes sociales et politiques. 

Or, aujourd’hui, le constat se révèle d’un inénarrable tragique où l’absurde le dispute au tragique. En pleine transition économique supposée gardée et encadrée par une manne financière sans précédent, pour qu’elle réussisse le bond historique attendu d’elle, les ahans et les déconvenues ne se comptent plus. Cette prétendue mue a jeté sur les marges de la société et loin des lisières de la république de larges franges de la population que l’on a beaucoup de peine à comptabiliser. Il arrive même que, par de sournois et spécieux procédés, l’on dissimule les chiffres et fausse les calculs de la détresse sociale. Mais, les faits sont têtus et les têtes de nos responsables apparemment assez fêlées pour ignorer les bas-fonds et l’underground de ceux qui, à la moindre sollicitation vers les chemins du crime ou de la subversion, jugeraient qu’ « ils n’ont rien à perdre ». Les efforts de l’Algérie tendus vers la vraie relance économique, le progrès social et la démocratie politique, sont toujours parasités par la rente, la médiocratie, la décote des principes éthiques et des valeurs culturelles.  Que valent les vocables d’ « élite », de société civile, d’  »intelligentsia » dans une situation historique de société bloquée, où tous ces concepts sont « siphonnés » par le vortex d’une histoire trop tumultueuse, qui installe pourtant la jeunesse de ce pays dans un inquiétant statisme ? 

 A. N. M.

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