De toutes les dates emblématiques de la guerre de libration nationale, sans aucun doute possible, le 11 décembre 1960, après le 1er novembre 1954, est à marquer d’une pierre blanche.
C’est pour ainsi dire une date fondamentale. Dès lors qu’elle a mis fin au doute et à l’ambiguïté quant au désir du peuple, vaille que vaille, de vivre libre. C’est, pour l’Algérie combattante, un repère calendaire éminemment politique. Voire, un Dien-Bien-Phu diplomatique qui a persuadé De Gaule de négocier avec la FLN. Ni les opérations incessantes, ni les promesses, autant vaines qu’illusoires, ni les discours lénifiant et creux n’y pourront désormais rien. Le peuple en a décidé ainsi. Dans la plupart des villes et villages, il (le peuple) est sorti dans la rue réclamer son droit à l’autodétermination. Hartmut Elsenhans, professeur allemand des relations internationales, parlant de l’événement du mois de décembre, y entrevoyant les prémices de l’indépendance de l’Algérie, dira : “À partir de décembre 1960, la solution du problème algérien ne peut être obtenue que par les négociations d’égal à égal sur la base du repli de la France”. Dans les conditions d’une réalité politique internationale qui évolue, l’attitude de la France est sommée d’évoluer, même si “la grande majorité des forces politiques françaises rejette aussi l’indépendance pure et simple de l’Algérie et souhaite une solution intermédiaire”. Comme le souligne le professeur allemand, “les manifestations de décembre 1960 constituent la victoire des nationalistes algériens sur le plan politique et constituent donc un véritable Diên Biên Phu de l’armée française dans la guerre d’Algérie”. Dans un autre registre, celui de l’émotion lorsqu’elle atteint son comble, le poète Bachir Hadj Ali nous décrit l’événement dans Chants pour le 11 décembre : « Je jure sur la raison de ma fille attachée, hurlant au passage des avions, je jure sur la patience de ma mère, dans l’attente de son enfant perdu dans l’exode. Je jure sur l’intelligence et la bonté d’Ali Boumendjel, et le front large de Maurice Audin, mes frères mes espoirs brisés en plein élan. Je jure sur les rêves généreux de Ben M’Hidi et d’Inal. Je jure sur les silences de mes villages surpris, ensevelis à l’aube sans larmes sans prières. Je jure sur les horizons élargis de mes rivages , à mesure que la plaie s’approfondit hérissée de lames. Je jure sur la sagesse des Moudjahidine maîtres de la nuit. Je jure sur la certitude du jour happée par la nuit transfigurée. Je jure sur les vagues déchaînées de mes tourments. Je jure sur la colère qui embellit nos femmes. Je jure sur l’amitié vécue sur les amours différées. Je jure sur la haine et la foi qui entretiennent la flamme, que nous n’avons pas de haine contre le peuple français» La manifestation de ce jour-là bien qu’elle fut sanglante, avec plus 96 morts et 300 blessés, a permis au regard du monde de scruter l’Algérie et de faire pression sur le pouvoir colonial, pour l’amener à se mettre autour de la table des pourparlers et négocier d’égal à égal.
Sadek A.H

