Kabylie, la faille numérique

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Par Amar Naït Messaoud

Alors que les Algériens font montre d’un engouement inégalé pour la téléphonie de 3e génération (3G), qui sera lancée à partir d’aujourd’hui, des dizaines de villages en Kabylie enregistrent ce que, à l’échelle de la planète, les experts en communication ont appelé la “faille numérique” entre pays développés et pays du Sud. Depuis plus de vingt ans, les promesses de raccorder au réseau de téléphonie fixe les communes et les villages de la montagne kabyle n’ont pas manqué. Dans le meilleur des cas, ce sont quelques quartiers des chefs-lieux de daïra et de communes qui ont reçu le fil, le reste étant appelé à subir le destin de l’incommunication, au moment où l’Algérie engrange ses meilleures recettes financières. L’on a encore devant les yeux ce spectacle de vieilles femmes se rendant au chef-lieu de la commune de Aïn El Hammam, Azazga ou Ouadhias, pour passer un coup de fil à leurs enfants installés en France ou au Canada. Cela se passe dans ce qui est appelé chez nous, les KMS (kiosques multiservices) où il fallait souvent poireauter quelques quarts d’heures avant d’accéder à la communication. En hiver, lorsque la neige pèse sur les fils téléphoniques, ils rompent souvent et laissent un silence inquiétant, entre les enfants installés à l’étranger et les familles du bled. Il faut savoir gré à la téléphonie mobile, laquelle, à partir du milieu des années 2000, a commencé à faire son apparition dans les foyers de Kabylie. Même les vieilles femmes analphabètes ont été contraintes à trouver les astuces iconographiques ou des pictogrammes permettant de se souvenir des numéros les plus usités par elles. Cependant, en raison de certains obstacles topographiques, le champ de la téléphonie des trois opérateurs rencontre souvent des zones de silence. On a eu même à remarquer que, suite à l’érection de certaines constructions, serrées et verticales, le champ a presque disparu dans certains endroits de villages kabyles. Les cybercafés installés dans les villes de montagne ne cessent de subir moult désagréments en hiver, suite à des coupures d’électricité induite par les intempéries; ils vivent presque la même situation pendant les délestages de la période estivale. Outre le silence imposé aux communications par Skype entre membres d’une même famille séparés par les océans, les gérants de ces unités commerciales subissent des pertes sèches dans l’administration de leurs unités. Dans plusieurs villes et villages des wilayas de Tizi Ouzou, Bouira et Béjaïa, on est encore à l’attente de l’installation de la fibre optique, censée rendre plus performante la téléphonie fixe, là où elle existe bien sûr. Ailleurs, c’est le silence radio sur lequel vient se greffer la 3G, performance qui va certainement profiter, en premier lieu, aux jeunes qui raffolent de gadgets numériques, les faisant accéder au monde virtuel (réseaux sociaux, films et divers téléchargements). Tout en recevant à bras ouvert la nouvelle technologie, laquelle exigera les moyens de son exploitation (tablettes, micros et prix de l’abonnement), la Kabylie, et particulièrement ses villages nichés sur les monts du Djurdjura, des Bibans et des Babors, voudraient accéder aussi, au même titre que le reste du territoire nationale, au réseau filaire de la fibre optique à bon marché pour un usage domestique et vraiment utilitaire de la téléphonie. C’est sans doute à ce prix que sera vaincue la faille numérique.

A. N. M.

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