Ebauche d'un chant de guerre

Partager

Poème de Jean Amrouche écrit en juin 1958, à la mémoire de Larbi Ben M'hidi, torturé et tué par le général Aussaresse le 4 Mars 1957

Ah! Pour un mot de ma langue

pour la seule grâce d’un mot

de schiste ou d’argile

(le vent le porte tel l’oiseau des rêves)

pour cette flèche empennée de foudre

pour l’éclair de la Liberté

 

Pour ce mot orphelin

cueilli aux lèvres sèches de l’Ancêtre

goutte de sang sur la rose de l’enfance

étincelant dans la roue du soleil

 

Pour ce mot de musique âpre

et de timbre sauvage

cri orphelin des entrailles immémoriales

Pour cette parole sombre et fixe

comme un regard de veuve berçant son enfant

assassiné

Pour ce mot de tendresse ovale

formé d’exil qui rompt l’exil

Pour cette goutte de lait bleu

Pour l’ombre sur l’oeil sans paupière

et l’eau de Zem-Zem aux lèvres mortes

du pèlerin au désert

 

Pour ce mot rond, pour le zéro

sceau de silence incorruptible

sceau sacré transmis d’âge en âge

de deuil en deuil

de tombe en herbe

 

Pour un mot à la mer

Pour l’horizon cette fleur de sel

Pour le sourire du passé

Pour le surgeon de l’arbre sec

Pour une braise sous la cendre

Pour cet enfant de l’avenir

Pour le navire du retour

Pour le repos d’une nuit

Et pour cette escale d’un jour

Pour cette main sur la fièvre

Et pour l’ombre sous la palme

 

Pour ce salut sans équivoque

Et pour ce signe d’or pur

 

Pour le baptême d’un instant

Et ces fiançailles des frères

Pour la présence au temps des morts

D’une parole souveraine

 

Pour ce Rien sans feu ni lieu

Pour cet élixir de l’absence

où os ni cendre, chair ni sang

Brume de l’aube ou de serein

Sous-bois, ni mirage au désert

chant de flûte ou parole de vent

essaim de songe ni d’abeilles

ne se mêlent au pur néant

 

Pour la neige à peine entrevue

entre deux gifles de la nuit

 

Pour cet appel d’on ne sait où

Pour ce soupir du coeur profond

 

Pour une rose de ténèbres

au fond de l’âme

 

Pour la jeunesse brandie

et le printemps irrésistible

Pour l’agneau blanc

Pour l’agneau noir

Pour l’angle pur de ce regard

et le col promis au couteau

Pour un seul jour

au dernier soir

Gloire et grâce

Amine Amane

Connaissance

 

Aube de sang aube d’azur

au libre jour

Un mot d’eau vive

dans la main

le coeur du monde…

  Jean-El Mouhoub Amrouche

Partager