Imesdhourar, sis à 50 kms au nord-est de Bouira et perché à plus de 1 200 m d’altitude, est l’un des plus anciens villages de la haute Kabylie.
Mais la situation qui y prévaut inquiète énormément les habitants, car d’énormes rochers risquent à tout moment de leur tomber dessus, notamment en cette période hivernale. Les plus nantis parmi eux ont pris les devants pour aller habiter des endroits plus sécurisés. En 2009, les autorités se sont intéressées à cette menace qui pèse sur Imesdhourar et le principe de délocaliser le village y a été retenu en 2010, mais depuis rien n’a été fait. Imesdhourar est le dernier village de la commune de Saharidj niché en haute montagne. Ses premiers habitants, arrivés sur les lieux au milieu du 15ème siècle, ont été attirés par les vastes pâturages et les nombreuses sources naturelles aux débits importants. Cela, en plus de sa position stratégique facile à défendre contre les invasions et razzias de divers types de l’époque. Le village est situé sur les flancs ouest du sommet de Tamgout, à environs 04 kms au sud du col de Tizi N’koulal, en bordure de la RN30 l’un des principaux axes routiers qui relient les deux flancs nord et sud de la chaîne montagneuse du massif de Djurdjura. Il est entouré à l’est par Ivelvaren, un autre village de haute montagne de Saharidj, à l’ouest par Islan, localité dépendante administrativement de la commune d’El Adjiba, au sud par Ath Illithen et enfin au nord par la commune d’Iboudrarène, de la wilaya de Tizi-Ouzou. Il s’étend sur un territoire d’environ 50 km² au relief en majorité rocailleux, boisé et fort accidenté ajouté à un climat des plus rude. Sur le volet sociologique et communautaire, Imesdhourar est rattaché au Aarch Imchedalen. Il est composé de deux fractions (Adhroum en kabyle) : Les Ath Bourai et Ath Vaanou. La première fraction est composée, selon l’organisation sociologique, de cinq familles, à savoir : les Bourai, Bahi, Nouri, Zedam, Aimene et Mazid. La seconde, elle, comprend les familles Banouh, Addar, Aggad, Aissaoui, Oufni, Beghach et Taleb. Au total, le village est composé de douze familles.
Ouvert aux quatre vents
Le village Imesdhourar a été depuis la nuit des temps à vocation agro-pastorale eu égard à l’existence en ces lieux de potentialités naturelles appropriées. A commencer par les nombreuses sources naturelles, comme la source noir « El Ainser Averkane », qui alimente actuellement, en eau potable, pas moins de quatre communes de la daïra de M’Chedallah, après captage et canalisation de 40% seulement de son phénoménal débit. On peut aussi citer les sources d’El Aïnser Guechra, El Ainser Ath Vaanou, Ameziav et El Ainser Ath Vourai. En plus de ces importantes ressources hydriques, le village est parcouru d’importants pâturages dont nous citerons les plus connus : Agouni N’bouzid, Amane M’loulen, Ain Tsefah, Takhersant, El Hamam et enfin Thamdoucht. Ce sol très riche en eau et en végétation a permis aux villageois de se lancer dans l’élevage d’ovins, bovins et caprins. D’ailleurs, ce créneau compose l’essentiel des activités des villageois. Ces derniers sont aussi tournés vers l’agriculture et plus particulièrement l’arboriculture et le verger agricole est essentiellement composé d’oliviers en majorité de figuiers et de vignobles. La plupart des villageois ont aussi aménagé de petits vergers, où ils cultivent quelques espèces de maraîchères les plus consommés, tel que la courge, l’oignon, la pomme de terre et l’ail. Des activités laissées principalement aux femmes qui exploitent de petits clapiers des basses cours et qui s’adonnent aussi à la poterie en temps perdu. Toutes ces activités ont permis à ces montagnards d’arriver à une auto suffisance alimentaire. Le surplus du cheptel qu’ils vendent leur permet d’acheter tout ce qui est indispensable tel que les céréales, voir même les indispensables armes dont ne peuvent s’en passer ces montagnards.
Le colonialisme est passé par là
Le village a vécu dans la quiétude jusqu’à la fin du XIXe siècle. En 1900, l’armée française a commencé par réquisitionner la principale source El Ainser Averkane pour l’exploiter dans la production de l’énergie électrique, en lançant en parallèle la construction de la centrale électrique d’Ath Illithen. Celle-ci était dotée de turbines que fait tourner l’eau de la source noire. S’agissant de la canalisation, et en raison de l’itinéraire fort accidenté les ingénieurs français ont opté pour la réalisation d’un tunnel souterrain de 04 kms, un ouvrage de quelques cinq mètres de hauteur sur cinq autres de largeur renforcé de l’intérieur par des murailles de pierres. Pour ce faire, les français ont mobilisé des déportés de l’insurrection du Rif marocain et tous les jeunes valides d’Imesdhourar. Ils ont été affectés sur les chantiers qui interviennent sur la route dénommée Avrid Ouroumi (l’actuelle RN30). La plupart des ouvriers réquisitionnés ont trouvé la mort dans ce chantier, comme en témoigne l’ancien cimetière Gueghrivène (à proximité du village). Les survivants ont été par la suite, transférés à Jijel et à Kherrata. Ils ont été mis à la disposition de la société électricité et gaz algériens (EGA). C’est dans ces régions que ces villageois feront la connaissance des militants et encadreurs du PPA et du MTLD qui les ont initiés au nationalisme. Parmi ceux revenus plus tard vers Imesdhourar, nous citerons Bourai Mohand Arab, dit Mohand Bouarav. Ce dernier est revenu au village avec le statut de commissaire politique, selon M. Bellal Yahia, président de l’association Thagmats d’Imesdhourar, qui affirme que ce militant de la cause nationale de la première heure a réussi à mobiliser les citoyens pour défendre la cause nationale. A l’heure actuelle, le village Imesdhourar, comptant 4 000 âmes, est déserté à 70% à cause de la terrible menace que font peser sur lui les énormes rochers qui le surplombent et qui se détache du mont, à chaque perturbation climatique. Tous ceux qui avaient les moyens ont déménagé pour mettre leurs familles en sécurité. Ainsi, on les retrouve éparpillés à travers plusieurs communes de la région, tel que le chef-lieu de Saharidj, de M’Chedallah, d’Ahnif, d’El Adjiba et de Bechloul. Ceux qui n’ont pas où aller vivent toujours sous la menace des pans entiers des flancs de montagne ébranlée par l’érosion.
Quel devenir ?
Cet état de fait a suscité l’intérêt des autorités locales. Des commissions techniques de la wilaya ne cessent d’interpeller qui de droit, depuis le début des années 90. Au final, il a été retenu la délocalisation des villageois vers des lieux sécurisés. C’est en tout cas, la décision qui a été prise par l’ex-wali, Ali Bouguerra, en 2009. Ce dernier ordonna la confection, en urgence, d’un dossier. Il a été ficelé et déposé à la wilaya en 2010. Une assiette de terrain, sise à proximité du CEM d’Ath Hamadh au lieudit Thissighit, a été dégagée par la commission de choix de terrain pour la réalisation de 100 logements (formule habitat rural), au profit des habitants de ce village. Il est utile de rappeler que les travaux engagés pour contrecarrer les menaces, qui y pèsent, ont été gelés en raison de cette décision de délocalisation. Nous apprenons du même président de l’association qu’en raison du spectaculaire recul du nombre d’habitants, ajouté à la défaillance de l’éclairage public, les animaux sauvages qui peuplent le parc national du Djurdjura (PND), commencent à envahir le village. Les quelques villageois qui y habitent encore vivent toujours la peur au ventre, en attendant des jours meilleurs.
Oulaid Soualah