L’administration publique algérienne est grevée d’un retard historique, lui faisant rater ses principales missions de puissance publique et d’encadrement de l’économie nationale, pour des missions, hérités de l’ancien système du parti unique, consistant pour cette administration à gérer elle-même, et parfois à investir au-delà de ce que commande et autorise la dépense publique pour les équipements et les transferts sociaux. Le colloque international, organisé lundi et mardi à l’Université de Constantine, portant sur « l’administration publique en Algérie, entre les impératifs de la modernisation et les défis de l’évaluation, regards croisés sur les bonnes pratiques internationales », n’a pas manqué de relever cette contradiction ou ce « double emploi », au moment où l’économie du pays exige une intervention offensive de l’entreprise et où l’administration est appelée à d’autres missions, d’autres défis, consistant à moderniser le fonctionnement des institutions de l’État, assurer le cadre de vie au citoyen et encadrer l’action économique menée par les entreprises algériennes et les partenaires étrangers. Le découplage n’est pas encore effectué et ce, malgré les tentatives de réformes menées depuis 1989. Le rappel de la nécessité du traitement de ce dossier épineux par le président de la République, au cours de sa prestation de serment lundi dernier, sorte de prolongement des promesses faites dans le discours du 15 avril 2011, est la preuve que la vision moderne et rénovée de l’administration est encore loin de s’imposer dans la vie de chaque jour. À l’occasion du colloque de Constantine, l’expert Mustapha Mekidèche a appelé à « une nouvelle définition du rôle de l’État dans le domaine économique, afin qu’il puisse jouer son rôle de régulateur et d’être de moins en moins gestionnaire », en ajoutant que » la réforme de l’administration est tributaire directement de la réforme de l’État qui a fait défaut pour faire aboutir les premières grandes réformes économiques lancées après 1988″. Avec deux millions de travailleurs, la Fonction publique, par laquelle est assurée la mission de l’administration de l’État, est, aujourd’hui, happée par des questions inextricables de statuts, de salaires et de primes, qui finissent par oblitérer les grandes questions de la compétence, de la formation et du service public. Le président de la République a créé en septembre 2012, le poste de ministre des Réformes du service public afin de suppléer, d’abord, aux insuffisances des services de l’administration et de corriger les excès, les abus et les négligences de ces derniers, dont les conséquences retombent toujours sur le citoyen. Même si la problématique du statut et du salaire relève d’une incontestable légitimité au vu de l’infernale dégradation du pouvoir d’achat des agents de l’État, exposés un certain moment à toutes sortes de prévarications et de tentations corruptrices, réduire les question de l’administration publique à cette seule question serait un signe d’une myopie politique par laquelle est traitée un secteur, où le personnel civil, militaire et paramilitaire est aujourd’hui proche de deux millions de personnes. L’administration, par laquelle l’État use de sa puissance souveraine et assure les services en direction des populations et des autres usagers, principalement les partenaires économiques, est censée être l’armature du pays qui encadre l’action de l’État (ordre public, services publics, solidarité nationale,…) et régule l’économie (par le moyen des impôts, des taxes, de la mise à disposition du foncier industriel, …). Le professeur Mohamed Belmihoub, directeur de l’École supérieure de management d’Alger (ENSM), s’est posé la question, au cours du colloque de Constantine sur l’administration publique algérienne, de savoir si « l’administration est au service de l’économie », ou bien, c’est l’inverse qui se passe en Algérie. b La confusion, entretenue sous le régime de l’économie administrée, entre l’économie et l’administration, a inexorablement laissé des stigmates dans la typologie la vision actuelle, même si une volonté ferme de dégager le champ économique et lui faire assurer son autonomie commence à faire ses premiers pas. Quant à l’administration publique, malgré le divorce définitif de l’État d’avec le parti unique, des faiblesses structurelles et des retards managériaux continuent à prendre en otage ses structures et leurs différentes articulations. La médiocrité des services publics offerts aux Algériens en est un signe patent. Retard technologique dans la numérisation et la communication instantanée, déficit de flexibilité dans les méthodes et les rythmes de travail, déficit en formation des agents de l’État (à qui est confié le suivi des mégaprojets d’équipements publics dont les montants se chiffrent en plusieurs dizaines de millions de dinars), et d’autres travers encore, qui rendent l’action de l’administration inefficace, lourde et même parfois contreproductive. Ce sont tous ces chantiers qui attendent d’être ouverts, en même temps que les réformes politiques et économiques.
Amar Naït Messaoud
