Tiwriqin ou le bouillon de culture radiophonique

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Avec son émission "Tiwriqin" (Les feuillets), diffusée depuis plusieurs années sur les ondes de la radio chaîne 2, Rachid Mokhtari nous plonge dans la magie des mots et dans l'envoûtement des images dès les premières heures du matin.

Notre journée commence avec un ressourcement de quatre à cinq minutes qui nous fait revisiter les écrivains classiques algériens, certaines nouvelles publications et quelques noms de la littérature universelle. Mieux qu’une biographie succincte des auteurs, Rachid Mokhtari, lui-même auteur d’essais et de romans, sait nous éviter l’accessoire au profit de l’essentiel, en déclinant la vie des auteurs en deux ou trois phrases, mais en s’arrêtant pertinemment sur ce qui fait la quintessence de la pensée et de l’esthétique des œuvres proposées aux auditeurs. Pour ceux qui suivent les émissions littéraires sur les médias français, le travail de Mokhtari rappelle quelque peu l’émission d’Olivier Barrot, « Un jour, un livre », diffusée sur France 3 et reprise par TV5-Monde, avec une durée n’excédant pas 5 minutes, à la différence que, Rachid Mokhtari n’a d’invités que les extraits de textes, contrairement à Barrot qui se met face à l’auteur du livre. Y a-t-il, en effet, meilleurs convives que les mots? D’autant plus que les auteurs choisis pour les auditeurs de la radio kabyle ne sont pas tous de ce monde. Il en est ainsi la semaine passée, lorsque Mokhtari nous fit voyager, avec une ardeur et un élan peu coutumiers, avec les « Chercheurs d’os » de feu Tahar Djaout. Ce roman, publié en 1984, raconte l’histoire de survivants de la guerre de libération nationale, habitant dans un village de Kabylie, qui décident d’aller chercher les os de leurs martyrs disséminés un peu partout dans la nature. Ils ramèneront les restes humains à dos de baudet pour les enterrer dans leur terre natale. Le livre garde toute sa fraicheur et son actualité. Les séquelles et les blessures symboliques de la guerre sont toujours là ainsi que les désillusions postindépendance. Derrière son microphone, Rachid Mokhtari nous transporte dans le monde féerique de la littérature, un monde dont le territoire tend malheureusement à se réduire comme une peau de chagrin dans notre pays. C’est pourquoi, les quelques minutes matinales dont l’écrivain-journaliste Rachid Mokhtari régale ses auditeurs, au moment où ils prennent leur petit-déjeuner ou lorsqu’ils se rendent à leur travail en écoutant la radio, constituent un baume au cœur de ceux qui se sentent réconciliés avec le livre et l’univers ensorcelant des mots. C’est une invitation à reprendre les habitudes de lecture pour ceux qui l’on abandonnée, et c’est une initiation, au sens quasi mystique, pour ceux qui en sont à mille lieues. Rachid Mokhtari, au travers de ce « bouillon de culture » qu’il nous propose sur la radio chaîne 2, nous « apostrophe »- pour reprendre l’expression fétiche d’un des grands initiateurs de ce genre d’émission, à savoir Bernard Pivot- pour faire de la lecture notre plat quotidien. En Algérie, la lecture a perdu de son faste. Les lecteurs sont devenus une sorte de « secte » mal comprise et qui n’arrive pas à drainer de nouveaux adeptes. L’école ne développe aucune méthode à même de ramener les élèves sur le terrain de la lecture. C’est pourquoi le travail de sensibilisation, par un travail de proximité basé non sur des conseils de lecture qui n’ont presque aucune chance d’être suivis, mais sur l’implication de l’auditeur dans les sensations fébriles générées par les mots et l’acte de lecture, doit être poursuivi et diversifié. On a vu que les salons de livres, aussi hauts en couleurs qu’ils soient, le festival « lire en fête », et d’autres occasions festives en relation avec le livre, ont eu peu d’impact sur l’acte de lecture lui-même. Les médias (radio, télévision, journaux et magazines) ont une lourde responsabilité dans la mission de rapprocher le citoyen du livre par des émissions et des tribunes bien adaptées. Canal-Algérie et BRTV font un effort honorable dans ce sens, qu’il y a de prolonger et d’étoffer. À la radio chaîne 2 et à Rachid Mokhtari reviennent tous les honneurs pour la réussite de l’émission « Tiwriqin ». Rachid Mokhtari fait partie de ces porteurs de message invitant à lecture dans toutes ses déclinaisons. Écrivain, essayiste, il a aussi présenté des fiches de lecture, des critiques littéraires et des interviews d’auteurs dans les journaux où il a exercé (Alger-Républicain, Le Matin). Actuellement, il collabore, avec le même profil, à la revue culturelle Passerelles.

Amar Naït Messaoud

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