La sorcellerie, l’autre monde des affaires !

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Tout d’abord, cette anecdote sur le sujet, racontée par Khaled, la star planétaire algérienne du raï : Il ne chante pas le Gnaoui dans les fêtes. Et pourtant, il aime beaucoup. 

C’est une musique pour laquelle il avoue même un grand faible. Mais demandez le lui, insistez autant que vous voulez, il ne le fera jamais. Vous avez beau avoir les plus merveilleux yeux du monde, niet… Et pour cause ! Un Djinn (démon) le lui a interdit depuis qu’il avait seize ans ! 

C’était lors d’une fête familiale. Et c’est lui qui se confessait sur Mélody TV. A sa manière. Dans le style « comme il a dit lui ! ».  En plus, cette fois en égyptien s’il vous plait ! Un vrai spectacle, pour ne pas dire catastrophe, comme il en offre à chaque sortie médiatique où il doit…juste parler. Mais là c’est une toute autre histoire.  « C’était un Djinn qui avait envahi le corps d’une jeune fille la soirée de ses fiançailles. La fille je la connaissais bien, en plus. C’était une parente à un musicien de mon orchestre. Nous avons dû prolonger la fête pendant trois soirées de suite pour pouvoir l’exorciser. Au bout du rituel, le Djinn m’a parlé avant de « sortir ». « C’était effrayant et impressionnant. J’ai toujours l’image de cette fille qui me parlait avec la voix grave d’un homme », se souvient encore Khaled. « On t’aime, mais tu es protégé. Tu seras un grand artiste. Mais fais attention, ne chante jamais ce genre de chansons », confia Khaled. Dit-il vrai ? Normalement oui, puisqu’il raconte une mésaventure qui lui est arrivée devant pas mal de monde. Il précise même que la fille s’appelle…Aïcha. Et puis, jusque-là on lui connaît certes pas mal de casseroles mais pas de mensonges. De confidences en confidences, il racontera que les Djinns auraient horreur de la musique Gnaoui, car ils ne supportent pas, affirme-t-il, le bruyant son des qarqabous… « Les plus dangereux sont les rouges. Ils n’aiment pas du tout la couleur blanche. Le Djinn rouge quand il vous habite, il est violent. Il vous pousse à errer dans les rues et parfois même à vous suicider, à vous jeter dans le vide ou face à une voiture… ». Khaled dit en connaître un rayon de ce monde parallèle. « A une certaine époque, j’ai fait partie d’un groupe d’exorcistes… Je chantais avec eux !». Il dit cela avec son sourire traditionnel, comme le ferait un innocent petit garçon ! L’exorcisme, il y croit ! Et comment ! Il explique même que « Boulehmar » (le Djinn qui a habité Aïcha) a fini par « sortir » après avoir été « épuisé et poussé à bout par le son de qarqabou, trois jours durant… ». Dans ce registre, les exemples sont légion. Et à travers tout le pays. La Kabylie n’est pas en reste. Les Djinns, la sorcellerie, les chouyoukhs et les charlatans font partie du décor, de l’histoire et sans doute de l’avenir… On voit le mauvais sort et la malédiction partout ! Les guérisseurs pullulent forcément. Et les ‘’cabinets’’ se multiplient ! Y a à boire et à manger dans ce créneau aussi. Quasiment à chaque région son « cheikh ». Et à chacun « sa spécialité ». Y en a même qui se prévalent d’être capables de créer des sentiments d’amour d’une personne à une autre. Vous vous imaginez  faire d’Obama un ami intime, d’un simple sort jeté ? En plus c’est lui qui viendrait chercher après vous… Ou encore que Sophie Marceau devienne dingue de vous ? C’est fou, inimaginable, mais on dit que c’est possible. « C’est juste qu’il faudra se procurer un habit de celui qui est visé. Le cheikh doit l’avoir entre ses mains. » Pour celui qui n’a pas totalement cerné le sens du charlatanisme, c’est désormais fait. On peut aussi vous jeter un mauvais sort pour vous provoquer un accident de voiture par exemple, un divorce, une grosse perte d’argent, une mauvaise récolte agricole… Tout y passe ! C’est l’autre mal au business florissant. Alors certains en profitent aveuglément, sans se soucier des drames dont ils se rendent coupables. Tout ça pour du fric ! Ou parfois juste pour assouvir une jalousie obsessionnelle. Voire meurtrière. 

Le couscous, ce plat succulent et ensorcelant…

Il en fut question dans cette affaire (vraie ou fausse ?) qui avait défrayé la chronique, il y a quelques années, dans la région d’Ath Douala, par « son » couscous ensorcelant. Un plat succulent qui procure des jouissances gastronomiques mais aussi des malheurs… Vite étouffée certes, l’affaire de cette vieille qui est allée jusqu’à sacrifier une gamine pour se servir de la main de son cadavre afin de peaufiner de macabres sorcelleries, restera une affligeante notoriété à cette contrée. Elle n’est malheureusement pas la seule. Deux autres vieilles ont été également surprises, dans un passé pas très lointain, dans un bus, avec un sac rempli d’ossements de cadavres sur l’axe Ouacifs – Beni Yenni. Comme tout ce qui brille n’est pas or, toutes les grands-mères ne sont pas des Saintes non plus… Les légendes historiques  sont effarantes. Les faits sont têtus. Et face aux limites de la médecine, les charlatans se proposent en alternatives pour guérir les plus absurdes des maux et pathologies. Ils surfent sur cette nébuleuse du monde des Djinns pour monter des affaires machiavéliques !  Certains se vantent même d’avoir des pouvoirs pour rendre la parole aux muets, soigner l’impuissance, rabibocher les couples aux humeurs opposées, remettre debout des invalides condamnés… Tout ça avec la seule magie des… œufs. C’est le point commun à tous les voyants,  sorciers et autres guérisseurs de ce genre. C’est la recommandation suprême qui précède toute séance de « soin ». Le malade est tenu de dormir avec des œufs sous son oreiller. Et le tour est déjà à moitié joué…  Le lendemain, il faut se présenter, les œufs dans les bras, devant le « cheikh » (le guérisseur), avant la levée du soleil pour certains et avant la prière de T’hor (qui intervient juste après la mi-journée), pour d’autres. A chacun ses « horaires »… Il se dit en effet que les pouvoirs fuiraient les « cheikhs » (sorciers) à une certaine tranche de la journée. Ils seraient particulièrement à leur pouvoir optimum aux toutes premières lueurs de l’aube. Certains voyants, paraît-il, vont non seulement tout vous dire de votre avenir mais en plus ils prétendent avoir l’aptitude d’en changer le cours… prédire un mari riche à la plus désespérée des demoiselles, rendre féconde l’épouse stérile ou redonner la vue à un aveugle… Dans ce tas d’extraordinaires prouesses et miraculeux « remèdes », les soulagements des rhumatismes, des handicapes physiques, d’anxiété d’angoisse, de stress, de pathologies mentales ou même de souffles cardiaques passent pour des gestes à la guérison assurée ! Et il s’en trouve tout un monde qui croit à tout ça. Et au sortir, même si aucun tarif n’est fixé le malade se doit de laisser au moins un billet. Ou plus. Et comme l’on est convaincu que la guérison tient au montant de l’offrande, les patients se veulent généralement très généreux. Et ça fait l’affaire du cheikh… Il faut bien qu’il vive du reste. Surtout qu’il y a une certaine catégorie qui en fait sa profession, pendant que d’autres n’assurent qu’à mi-temps, avec un autre job en parallèle. Généralement, ces derniers sont les moins sollicités, les moins réputés. Et forcément, la rente est faible… 

« Des sorciers charlatans, mais aussi des médecins charlatans… »

« Je sais ce qui se dit autour des cheikhs. Mais croyez moi ils sont différents. Il y en a des vraiment forts. J’en ai fait l’expérience. J’en ai consulté un qui m’a proposé de venir dans ma maison. Une fois chez moi, je vous assure qu’il détecté et extrait des talismans de sorcellerie du mur de ma chambre. Nous avons dû faire un trou avec un marteau pour retirer l’amulette… Depuis ce jour-là j’y crois. Vraiment ! Auparavant, je ne supportais, alors là pas du tout ma femme. Après, tout est redevenu normal. C’est comme si je convolais en de nouvelles noces avec elle, malgré nos cinq enfants », se confesse cet homme d’un âge moyen, rencontré à la Zaouia Hadj Belkacem, sur la route des Ouacifs. Sur place, un rituel d’exorcisme a lieu chaque jeudi après-midi. « Avant, c’était chaque dimanche en soirée. Avec l’insécurité c’est désormais chaque jeudi dans la journée ». La tradition est scrupuleusement respectée. On y vient de partout. Même des wilayas du Sud. L’hadj est un marabout très vénéré. Certains viennent pour juste une visite, chercher la bénédiction du Saint, d’autres sont à la recherche d’une santé perdue. On procède à des offrandes. On implore le Saint et Dieu. A chaque visiteur ses soucis… On découvre les malades à l’entame du rituel qui intervient généralement en après-midi. Les femmes et les hommes sont bien entendu séparés. Avec le lancement des chants, des sujets entrent alors en transe. Ils ne se contrôlent plus. Il se dit que le Djinn s’empare alors du corps de sa victime. Harcelé par les sonorités et la chorale, il devient bruyant, agité dérangé… C’est alors que certains se mettent à parler, exigeant un sacrifice pour libérer le corps envahi. Généralement ça finit comme ça ! Après plusieurs séances d’exorcisme ! « Je sais que beaucoup de gens n’y croient pas, mais tout ça est pourtant vrai. Je connais même des médecins qui s’en sont remis aux cheikhs qui ont soigné et guéri leurs maux. Des diplomates aussi », témoigne un citoyen. Un cheikh récemment installé dans la région de Ouaguenoun révèle et confirme : « Je ne peux pas parler au nom des autres. Mais me concernant, je ne prétends pas avoir de supers pouvoirs. Je suis juste chargé d’une mission que le bon Dieu et la nature m’ont confiée. Le monde des Djinns existe. Ils font partie de ce que l’humain ne peut pas voir ». Les écrits anciens narrent qu’ils vivent généralement dans le désert, dans les endroits malpropres… Loin des humains. Mais parfois, la rencontre et le mal surviennent. Pour nous, le remède c’est avec la parole de dieu, et uniquement avec la parole de dieu. On récite le coran pour guérir le sujet malade. Mais il faut juste dire la bonne sourate (les versets coraniques adéquats), il n’y a rien d’extraordinaire. Juste avoir la foi en Dieu ». Le charlatanisme ? « Le monde est fait de tout. Comme il y a d’honnêtes gens partout, il y en a malheureusement des malhonnêtes, partout aussi. Dans une usine, dans une maison, dans une corporation, parmi les fellahs, même chez les gardiens de parkings ou chez ces médecins qui te reçoivent à l’hôpital le matin pour te donner rendez-vous dans l’après-midi dans une clinique privée », se défend le cheikh. Il n’a pas tout à fait tort !

 

Djaffar Chilab.                    

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