C’était leur journée hier et ils l’ont fêtée comme il se devait, dans la joie et le bonheur.
Les enfants de Bouira, comme ceux du monde entier, étaient au rendez-vous.
La journée de l’enfant est tombée un dimanche, mais « la crèche L’innocence » l’a célébrée jeudi dernier. Et cette initiative de sa directrice, Mme Messaoudi Farida en l’occurrence, a eu l’assentiment de la direction de la culture, qui, à cette occasion, lui avait prêté sa salle de spectacle. Alors, encadrés par huit éducatrices et la responsable de l’établissement, les cinquante enfants de la crèche, alignés pour la circonstance, ont fait entendre leur petite voix gazouillante devant un parterre d’adultes qui les écoutaient, ravis. Et ces chérubins, qui dans leurs jolis costumes bien coupés, qui dans leurs belles robes élégamment taillées, ont fait et dit beaucoup de choses qui ont, certes, bien fait rire et amusé le public, mais qui l’ont aussi fait réfléchir, des fois. Par exemple le poème sur le clown qui commence par cette strophe : « J’ai un grand nez rouge /Deux traits sous les yeux/ J’ai le chapeau qui bouge/ Et l’air bien malicieux. C’était délicieux en diable », et qui a été vivement applaudi. Et puis, il y a eu cette saynète intitulée « La poule rouge », tirée d’un manuel scolaire, nous avouait la directrice de la crèche, en marge de cet divertissement, et adaptée par ses soins à la scène. Eh bien, on le croira si l’on veut, mais jouée avec infiniment de talent, a eu la faveur des spectateurs qui l’ont chaleureusement applaudie. La récitation de poèmes choisis, de chansons chantées en chœur, de danses bien exécutés, les garçons d’un côté les filles de l’autre, puis en couple, comme cette danse de fox trot, tous ces jeux, tous ces rires ont fini par créer une ambiance de vraie fête. Il y a eu quelquefois des pleurs, car quand on est petit et face à la scène, on a peur, mais une peur vite partie, car, quand les autres rient, c’est qu’il n’y a pas de quoi avoir peur, et le courage revient bien vite à force d’être remonté : On vous répète tant que vous êtes un homme, et qu’un homme est courageux, on finit par le croire… et puis il faut bien que le courage revienne quand tous vos camarades restent calmes, quand, eux rient, chantent et dansent. Alors on fait comme eux, on devient à son tour gai et insouciant. Et puis, il a fallu parler et là que dire ? Attention, les adultes jugent. Il faut être sûr de soi, sûr de ses mots, savoir sur quel ton ils doivent être prononcés pour qu’ils produisent leurs effets. Sinon, ça ne sert à rien de parler, les adultes ne comprendraient pas. Ils riraient certes, battraient des mains, mais sans plus. L’essentiel leur échapperait. Alors, il faudrait qu’un adulte lui-même se mêle de cette affaire-là et montre ce qu’un enfant de quatre ans doit faire pour intéresser les grandes personnes. Et la directrice a choisi encore les mots et les a fait répéter assez en classe pour que les petits anges en attrapent et le sens et l’accent. Et les voilà sur scène, en face des adultes, bien campés sur leurs petites jambes le petit torse bien bombé et la parole raffermie qui martèle sur un ton sans réplique : « Le droit à l’identité le droit à l’éducation, le droit à l’égalité le droit de s’exprimer et de donner son avis, le droit d’être soigné de rêver et de jouer, d’être protégé de la violence… » Certains articulaient bien comme Sallas ou Nassim et leurs voix bien timbrée portait bien, mais d’autre ont dû se reprendre à deux ou trois fois pour faire passer leur message d’espoir, au reste, écrit sur une petite pancarte. Le trac leur nouait la gorge. Mais les adultes, forte indulgence, ont saisi la portée des mots et manifesté leur compréhension et leur enthousiasme par des ovations. Après, il a fallu encore danser sur la chanson ; la danse de Lolita pour les filles et celle des canards pour les garçons. Puis ensemble sur le pont d’Avignon, et ça, c’était le clou, sans doute du spectacle, car les mouvements des couples qui s’étaient formés pour danser étaient harmonieux et sans la moindre fausse note. Puis de nouveau, les poèmes revenant à l’honneur, une dame, dont le fils ne figurait pas sur la liste, car étant inscrit dans une autre crèche, s’est présentée à l’organisatrice de la fête pour lui demander de permettre à son garçon de réciter un poème. Ce n’est pas dans le programme, mais comme c’était la journée de l’enfant, qu’à cela ne tienne, l’enfant récitera son poème. A ce propos, il faut signaler la belle diction de Mohamed et son joli poème : « Je suis un petit enfant/Et tout le monde m’aime bien. » Mais où la directrice prenait ces poèmes et comptines ? Nous le lui avons demandé au cours d’un bref entretien que nous avons eu avec elle et nous dira : « Ce sont les miennes. Quand j’étais enfant, on nous apprenait de la poésie et des chants, et j’en ai retenue quelques-uns. Je m’en sers aujourd’hui à mon tour, pour les faire passer aux enfants. » Considérant qu’une crèche est « un milieu éducatif et non un lieu de gardiennage » qui « prépare l’enfant à l’école primaire», elle révèle quelques qualités qui doivent présider à un tel apprentissage pour le réussir. « Il faut beaucoup de conscience et de patience », déclara-t-elle avec gravité. La journée de l’enfant, célébrée deux jours avant par « la crèche de L’innocence », ouverte il y a huit ans, s’est poursuivie avec un défilé de mode, un concours de dessin et une distribution de cadeaux.
Aziz Bey