Une démagogie à la mesure du taux de réussite promis : 95%

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Par Mohamed Beddal, ancien enseignant

De toutes les façons, il ne pourrait en être autrement pour la simple raison que les programmes et les livres présentés à tous les niveaux étaient dépourvus de “sève nourricière”, d’esthétique attrayante et d’exécutants irréprochables et motivés. Loin alors de nourrir les esprits de connaissances recherchées, d’intéresser les jeunes regards et faire naître le désir de l’effort dans la “conscience enseignante”, les soi-disant programmes n’ont fait, dans la majorité des cas, qu’assombrir les leçons, désintéresser les élèves du primaire à la fin du secondaire, démobiliser le personnel traitant et produire l’effet auquel on n’a peut-être pas songé ou réfléchi : la perte de contrôle de l’éveil et de l’attention juvénile.Ce n’est d’ailleurs pas avec “l’eau à Médéa”, “Le pin d’Alep”, “L’apprenti menuisier”, “La balance Roberval” ou “Béjaïa” avec photos en noir, par exemple, qu’on peut fixer l’intérêt et l’attention d’un collégien qui aspire au savoir utile pour son avenir et sa culture.L’échec de presque toutes les “missions” concernant le français se découvre en grande partie dans la présentation, le contenu, la mise en pratique et le dosage des thèmes conçus pour les différentes leçons et les centres d’intérêt choisis à cet effet. Avant de dérouler la suite qui est encore assez intéressante, je me dois de vous parler tout de suite de trois faits qui ont eu lieu dans trois écoles, lesquels faits étaient en rapport direct avec le niveau d’instruction.Le premier événement s’est passé à El-Harrach, à l’école d’une cité limitrophe. Je venais alors d’hériter d’une classe de cours de fin d’études primaires. Le test que j’ai imposé aux élèves a débouché sur des résultats catastrophiques : 5 élèves sur plus de 40 arrivaient à faire comprendre leur lecture. La plupart des autres ne connaissaient pas les sons composés et certains ne pouvaient même pas lire et écrire l’alphabet. Sans trop attendre, je l’ai fait constaté par le directeur qui, à son tour, en fit part à l’inspecteur principal.Celui-ci vint quelques jours plus tard et eut à observer et constater ce que je viens de citer.Cependant, à mon désir de tout reprendre dès le début, il rétorqua ainsi que suit : “Je reçois d’en haut” l’ordre de faire appliquer les programmes. Je ne puis vous permettre de revenir en arrrière.— Les élèves, dans l’état où ils sont ne pourront rien faire, monsieur l’inspecteur, lui ai-je dit.— Ce n’est pas ma faute, me répondit-il, vous devez continuer à appliquer le programme tracé par leMinistère.— Dans ce cas, ai-je poursuivi, n’attendez pas grand-chose de moi car ces élèves ont besoin d’une “base”, ai-je précisé.Le deuxième événement, lui, a eu lieu à Baraki, avec une directrice, et c’étaient deux classes de 6e AF que m’avait léguées une enseignante qui venait de Bab El-Oued.Avec ces élèves, la directrice entendit : “n” à la place de “i”, et il n’y avait pas plus de six élèves qui parvenaient à déchiffrer plus ou moins correctement. Je fis encore la même demande.A ce sujet, j’eus encore à écourter le même refus et la même “explication”.J’en fus écœuré et, à mon corps défendant, je me voyais encore obligé de laisser ces élèves sans gouvernail, à la dérive…Quant au troisième événement, il a eu pour théâtre, une école sise à Badjarah, lors d’une visite bien “préméditée” par l’inspecteur principal, de la circonscription, auquel j’avais dit : “Comme vous le savez, je n’utilise guère le programme et la méthode officiel, ce qui ne m’a pas empêché, jusqu’à présent, d’avoir de très bons élèves”…, et puisque vous tenez tant à la méthode et au programme qui envoient les enfants dans la rue, je vous prie de passer au tableau et dérouler pour les élèves et moi quelques leçons. Je voudrais tant vous voir à l’œuvre afin que je m’imprègne de votre savoir-faire parce que, jusqu’à ce jour, je n’ai pas du tout vu un quelconque conseiller ou inspecteur “jouer” au maître-d’application. Allez-y, monsieur l’inspecteur ! Moi, je vais aller au fond de la classe pour prendre des notes sur le travail magistral que vous n’allez pas manquer de nous présenter.— Ah ! Non ! Je ne suis pas là pour faire votre travail ! me lança-t-il.— Dans ce cas, ai-je ajouté, rien ne vous empêche de vérifier mon travail en interrogeant les élèves. Ils sont l’unique preuve des connaissances que je leur inculque. Allez-y donc, sans oublier aucune matière et pendant trois jours si vous voulez.— Cessez de me narguer, s’écria-t-il, et sachez que je suis venu exprès pour vous, pour faire un rapport sur ce que vous faite.— Je me savais visé, lui ai-je fais savoir, et c’est pourquoi vous me voyez agir de la sorte.— Puisque vous refusez tout, je pars. De toutes les façons, vous ne vous en tirerez pas comme ça, je vous le promets, menaça-t-il.— Vous entendez, les enfants ! C’est votre inspecteur ! Il ne s’intéresse pas à ce que vous faite, et que vous progressez ou non, ça lui est égal, expliquai-je.— Vous allez trop loin ! hurla-t-il. Vous verrez ! Cela ne s’arrêtera pas là !”Sur ce, les élèves éclatèrent de rire et l’inspecteur, vexé et éconduit malgré lui, s’empressa de sortir pour cacher sa gêne.Ce sont surtout cette affaire et celle du baccalauréat qui m’ont mené devant le “tribunal-arbitraire” de la commission de discipline. A ce niveau, c’est toujours la raison du plus fort qui est la meilleure.

Ces trois “faits divers”, révélateurs d’un manque de conscience significatif, au point de faire passer les règlements de compte avant l’intérêt social et national, donc au bénéfice des enfants de la patrie, ne sont qu’une infime partie du mal qui n’a jamais cessé de miner, ronger, ralentir, saboter pour enfin dévaloriser notre système d’enseignant et porter préjudice à la personnalité de l’enseignement-même, lequel je dois le dire, ne se sent fier de son travail que si ses élèves manifestent, eux aussi, leur joie et leur fierté devant des résultats positifs et prometteurs… C’est comme si ses propres enfants venaient de réussir à un examen important et difficile. De toutes les manières, et quel que soit l’angle sous lequel ou duquel on suivra la décadence du français dans nos écoles et dans la société, on constatera ce qui suit :1- Lecture. Temps insuffisant, lenteur exagérée dans l’écoulement du programme, peu d’exemples de consolidation, quand il s’agit de l’alphabet et des sons, peu d’élèves qui lisent, donc mise en pratique défaillante, et les résultats le prouvent, surtout lorsque cette matière perd son sens dans l’étude de la gravure, les questions sur la compréhension, le vocabulaire, la grammaire et la conjugaison. Il faut réserver les 90% — déjà en deçà —, du temps à la lecture proprement dite.2- Vocabulaire. Très vaste domaine très peu et maladroitement exploité. Insuffisance dans les choix, la diversité, la qualité d’emploi et la quantité. L’élève ignore très souvent le nom de l’objet qu’il manipule, qu’il utilise pour sa nourriture, ses loisirs, son repos, son travail… Les synonymes, homonymes, antonymes, prépositions, adverbes et autres noms, déterminants, adjectifs ou verbes aux différents emplois sont pour lui trop nombreux et compliqués… Il finit, à la longue, par abandonner. Le rôle du maître est de savoir sélectionner ce qui est immédiatement utile puis décider intelligemment du dosage, de telle sorte que l’élève, rendu curieux et désireux de savoir, s’intègre dans le cours de la leçon avec amour, chaleur et passion, surtout s’il constate qu’il commence à s’exprimer aisément sur des sujets de son milieu et de son entourage ou encore de ses contacts et fréquentations.3- Grammaire. Pilier de l’ordre des mots, des expressions et des groupes de mots dans la construction de la phrase, tout en étant un centre de renseignements sur tous ces éléments, la grammaire n’est pas exploitée à sa juste mesure car, en dehors de l’adjectif qualificatif et du complément d’objet direct (pronoms mis à part !), les autres appellations sur la nature sont un monde inconnu pour la majorité des élèves et ce, du primaire au secondaire. Par exemple, à la question : “Quelles sont les propositions ?”, beaucoup citeront “à, de, pour, sans”. C’est tout. La communication est dès lors limitée et l’élève, se trouvant en présence d’autres prépositions comme auprès, hormis, parmi, outre, pour ne citer que celles-ci, se dira qu’on ne lui apprend pas assez pour lui permettre de comprendre ce qu’il lit, pour parler. C’est alors qu’il commencera à douter… Pourtant, une leçon, quand elle est complète, donne tout à l’élève pour le mettre à l’aise. Aussi, en ce qui concerne les prépositions, il faut aller plus en avant, en se mettant en tête qu’il y a presque une quarantaine de prépositions simples et une trentaine de locutions prépositives.Avec l’ignorance de tant de mots et d’expressions, comme moyens de compréhension et de construction, quelles capacités posséderait un élève, même brillant, à l’introduction des compléments nécessaires aux phrases qui feront son paragraphe ou son texte ? Comment aussi pourrait-il se situer ou situer quelque chose, par exemple, quand il ne sait pas ce que sont sur, avec, sous, près, devant, auprès, non loin, en face de, au-dessus de, au-dessous de ou avant encore ? Voilà pour cette très importante leçon.Le reste du programme n’échappe pas à cette insuffisance voulue puisqu’il est également livré au compte-goutte, comme si l’on avait peur de doter les enfants de “ces connaissances “jalousement gardés” afin de les empêcher de devenir “écrivains en langue française”.Viendrait-on maintenant à donner toute la liste ?… Les exemples d’emploi, pour le tout, ne suivent pas et l’élève, ne sachant quoi faire, continuera à traîner sa faiblesse et son ignorance avec très souvent la langue “engluée” et le stylo levé ou déposé.La solution à la “mauvaise expression” réside, en grande partie, dans le déroulement très détaillé des leçons de grammaire.4- Conjugaison. La conjugaison est la source principale de l’expression orale et écrite. Le verbe sans les temps est, quant à lui, ainsi qu’un couple vivant sans enfants car son existence est alors remise en cause…Le verbe, on ne le répétera jamais assez, est le cœur-même d’une phrase. A l’infinitif ou conjugué, sa présence est “presque” toujours indispensable. Pour traduire, dans le temps, les situations vécues ou constatées, ou qui le seront plus tard, on a besoin de connaître sa conjugaison dans les différents modes et temps et à toutes les personnes.Il est d’une importance capitale, pour cette raison précisément, de lui accorder tout l’espace nécessaire afin de pouvoir s’imprégner de l’aisance qu’il assure en toute situation et en toute circonstance. Son utilisation aux différents modes et temps, ainsi qu’aux diverses personnes, libère le langage et l’expression écrite, donc la communication, de toute hésitation dans ce qu’on doit dire.Aussi, ne pas rendre effective son étude accélérée et efficace dans la majorité des modes et des temps dès le début du cycle moyen, sans omettre la 6e AF, c’est comme laisser des plantes sans eau et se mettre à attendre d’elles une nourriture saine et suffisante.En fait, la conjugaison qui semble être, pour bien d’enseignants et d’élèves, une montagne difficile à escalader, n’est en vérité qu’une basse colline aux pentes très accessibles. Dans une école d’El-Harrach, en réponse à la directrice de l’école de filles voisine, qui voulait savoir comment j’avais fait pour apprendre à son fils, qui ignorait la majorité des lettres de l’alphabet, à lire et à conjuguer en très peu de temps, j’ai dit :“En lecture, je ne donne qu’un mois à un mois et demi à l’alphabet, lecture et écriture, puis je passe aux sons composés. Tout est fait le premier trimestre. Le deuxième, je le réserve au déchiffrage de mots plus ou moins longs ainsi qu’à la lecture de courtes phrases et de petits paragraphes. Le troisième trimestre, je demande aux élèves une lecture correcte et soutenue, pour ne pas dire magistrale.”Pour la conjuguaison, je lui ai fait savoir que j’utilisais le verbe dans le plus grand nombre de situations possibles, avec des qualifiants et des compléments différents en face de chaque personne, sans oublier, bien sûr, d’expliquer les permutations dans le singulier comme dans le pluriel et du singulier au pluriel ou encore du pluriel au singulier. Voilà, lui ai-je annoncé, ma façon de faire, à peu de choses près.Verbe être au présent :Je suis fort (faible, gentil, méchant, triste, content). Tu es rapide (lent, heureux, malheureux…) Il ou elle est aimable (détestable, charitable, égoïste, abordable). Nous sommes chez notre oncle (avec…, auprès, bien chez…) Vous êtes parmi des amis (avec, devant, chez…) Ils, elles sont à l’école (la maison, au travail, au marché…)Verbe avoir au présent.J’ai un beau livre (un vélo, des fleurs, un chien, un jouet…) Tu as froid (chaud, soif, faim, peur, du chagrin, du courage) Il ou elle a mal au ventre (à la tête, à la gorge, aux yeux…) Vous avez peur de parler (d’expliquer, dire la vérité, crier…) Ils ou elles ont le sentiment d’être forts (intelligents, respectés, mauvais).“C’est ainsi, madame, ai-je ajouté, que j’arrive à de bons résultats, et votre fils n’est qu’un exemple” parmi les élèves dont j’ai la charge. C’est là, le meilleur moyen d’arriver à une expression riche et aisée”.Sans cette richesse dans le corps d’un élève, comment voudrait-on qu’il fasse pour parler, faire ses phrases ou son paragraphe ? Comment encore traduira-t-il ses idées s’il ne sait pas employer le présent, le futur, le passé, le doute ou le vœu, la condition avec respectivement l’indicatif, le subjonctif, le conditionnel ou encore l’impératif pour le conseil, l’ordre… ?D’ailleurs, tous les élèves auquels j’ai eu à donner des cours à domicile s’en sont plaints… Et quand, un peu plus tard, ils se sont mis à conjuguer avec assurance, ils n’ont pas manqué de dire leur satisfaction : “Nous comprenons très vite avec vous. En classe, on ne nous fait pas tout ça. On a appris jusqu’à maintenant le présent, le futur et un peu l’imparfait et le passé composé.”Cette déclaration venait même des élèves du secondaire. Pour preuve, une jeune lycéenne qui avait échoué au baccalauréat ne savait pas grand-chose de la conjugaison. De plus, et là c’était la catastrophe, elle ne savait pas lire. J’ai été obligé de lui refaire les sons. Quelques mois après, elle lisait couramment… Ce qui lui a permis de continuer ses études, et en conjugaison, elle a appris en un temps court, ce qu’elle n’a pas pu avoir du primaire au secondaire (3e AS).

A suivre M.B

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